« Je peux affirmer que je n’ai jamais trouvé en lui la moindre ombre ou tentative de cacher ou de minimiser quoi que ce soit », écrit de Benoît XVI le cardinal Fernando Filoni, grand-maître de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem et ancien proche collaborateur du pape émérite allemand.
Le cardinal Fernando Filoni, grand-maître de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, ancien préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, est sorti de sa réserve habituelle, dans un article publié sur le site internet BeeMagazine, pour témoigner de la « profonde et très haute honnêteté morale et intellectuelle » du pape Benoît XVI.
Le cardinal souligne le désir qu’avait le pape émérite de rencontrer les victimes d’abus au cours de ses voyages apostoliques et son « profond respect » pour celles-ci : « il prêtait attention à chacune d’elles, il écoutait, avec une émotion visible et palpable et à la fin, il confiait à chacune un chapelet », raconte celui a côtoyé le pape Benoît pendant des années et qui faisait partie des « rares personnes présentes » à ces rencontres.
Il insiste sur l’ « engagement » de Benoît XVI, qui mit en oeuvre « des mesures jusqu’alors inexistantes », conjuguant « la miséricorde et la justice ». Un engagement vis-à-vis des victimes, auxquelles il « offrait le baume d’une prière et le soulagement d’une solidarité au nom de ce Dieu qui s’était humilié et avait pris sur lui la condition humaine et ses péchés », et à l’égard de Dieu « dont il fallait implorer la miséricorde ».
Depuis la publication d’un rapport sur les abus sexuels sur mineurs dans le diocèse de Munich (Allemagne), le 20 janvier 2022, faisant état de 497 victimes en 74 ans, si certains « s’acharnent contre » le pape émérite, d’autres voix s’élèvent en revanche pour rappeler la détermination avec laquelle il a, le premier, dénoncé, condamné et combattu tout acte de pédophilie au sein de l’Eglise.
On peut trouver ici la déclaration de Mgr Gänswein, son secrétaire particulier, et le communiqué d’Andrea Tornielli, directeur éditorial du dicastère pour la Communication.
Voici notre traduction du texte signé du cardinal Filoni et intitulé « Qui est Benoît XVI ? ».
Qui est Benoît XVI ?
C’est la question qui vient à l’esprit d’un grand nombre ces jours-ci, jours de grande souffrance pour lui et pour l’Eglise.
Au début de son pontificat (2005), il a voulu dire de lui-même qu’il se percevait comme un humble serviteur dans la vigne du Seigneur, en pensant à la parabole rapportée dans l’Evangile de Matthieu (21, 33-43). Dans cette parabole, Jésus stigmatisait le comportement de ceux qui, par leur infidélité, ruinent cette vigne plantée avec sacrifice et dévouement. Dans cette vigne, aimée de Dieu, le maître avait envoyé des ouvriers. Elle lui appartenait et les ouvriers auraient dû en prendre soin et non en prendre possession.
J’ai personnellement connu Benoît XVI, surtout à partir du moment où, au début de son ministère pontifical, il m’a appelé à Rome des Philippines, où il m’avait envoyé un an plus tôt comme son représentant pontifical. Je me souviens bien de notre première rencontre ; c’était au début du mois de juillet 2007. Il m’avait nommé substitut de la Secrétairerie d’Etat, c’est-à-dire l’un de ses plus proches collaborateurs. Cela m’a permis de le fréquenter au moins une fois par semaine, pour parler des questions qui lui tenaient à cœur et recevoir des indications opportunes sur de nombreux aspects de la vie de la Curie et de l’Eglise.
Le bureau du substitut était en charge de l’organisation des voyages pontificaux ; c’est ainsi qu’au cours des quatre années où je suis resté en fonction, avant d’être nommé préfet de la Congrégation des missions dans le monde, j’ai eu l’occasion de l’accompagner dans les différents pays où il effectuait ses voyages apostoliques.
Au cours de ces années, la ‘question de la pédophilie’ dans l’Eglise émergeait avec virulence. Elle n’était pas connue dans les termes dans lesquels elle est apparue progressivement. Mais la volonté de Benoît XVI de s’y attaquer avec détermination a toujours été très claire à mes yeux.
En cela, je peux témoigner avant tout de sa profonde et très haute honnêteté morale et intellectuelle. C’est incontestable, même si ceux qui s’acharnent contre lui aujourd’hui ne manquent pas. Ils sont libres de le faire, mais je peux affirmer que je n’ai jamais trouvé en lui la moindre ombre ou tentative de cacher ou de minimiser quoi que ce soit. Et la délicatesse avec laquelle il aborde les questions profondes d’ordre moral ne peut pas non plus être prise pour de l’incertitude ou pour autre chose.
Je connais bien également son trouble immense face aux graves questions ecclésiales et je me souviens clairement d’une expression qu’il avait l’habitude de prononcer avec un profond soupir : « Qu’il est impénétrable, l’abîme dans lequel la misère humaine nous fait tomber ! ». Cela l’angoissait intimement et il restait parfois longtemps silencieux. D’autant plus si ces misères humaines touchaient des hommes d’Eglise.
Il avait une sensibilité perceptible pour les victimes. Lorsque, en préparant les voyages apostoliques, il a reçu des demandes de rencontres avec les victimes d’abus, il m’en a parlé ; il voulait avoir mon avis sur la manière d’accueillir ces demandes. Je peux affirmer qu’il recommandait deux aspects auxquels il tenait énormément :
- un profond respect pour les victimes dont il fallait protéger l’identité ; c’est pourquoi il voulait que les rencontres se tiennent à l’abri des regards des caméras ou d’autres outils visuels. Il ne voulait pas de témoins, mais il a tenu à ce que je fasse partie des rares personnes présentes discrètement ;
- il désirait que la rencontre ne soit pas une sorte d’‘audience’ avec une simple poignée de main et un regard rapide, mais une véritable rencontre de prière, qu’elle ait une dimension spirituelle et qu’elle se déroule devant Dieu dont il fallait implorer la miséricorde.
C’est pourquoi il avait accueilli l’idée que les rencontres se tiennent dans la chapelle, devant la Sainte Eucharistie. Ainsi, après quelques minutes de prière avec les victimes, après de lourds moments relationnels, il avait l’habitude de réciter le Notre Père avec elles ; il prêtait attention à chacune d’elles, il écoutait, avec une émotion visible et palpable et à la fin, il confiait à chacune un chapelet.
Lors de ces rencontres, il n’y avait pas seulement le sentiment de l’humiliation subie par les victimes, mais l’on voyait aussi l’humiliation d’un homme d’Eglise qui n’aurait jamais pu imaginer que des actes aussi dégradants puissent se produire et, cependant, il offrait le baume d’une prière et le soulagement d’une solidarité au nom de ce Dieu qui s’était humilié et avait pris sur lui la condition humaine et ses péchés. Chaque rencontre revêtait toujours un véritable sens de l’humain et du spirituel, qui avaient été violés.
Il y avait aussi le fait de confier à Dieu des frères et des sœurs profondément émus ; il y avait une demande de pardon de la part de toute l’Eglise à Dieu et il y avait un engagement à travers lequel Benoît XVI allait unir la miséricorde et la justice. C’est ce qu’il a fait avec des mesures jusqu’alors inexistantes.
C’est le Benoît XVI que j’ai connu de près. Un « pasteur » et un « ouvrier » de la vigne du Seigneur, qui a eu à cœur – toujours – une profonde « sollicitude pour toutes les Eglises » et pour une humanité affligée, déchue et sans Dieu, conformément à ce qu’il avait dit en visitant, ce lointain après-midi du 25 avril 2005, la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, de l’apôtre des Gentils.
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© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat