Jésus n’a pas craint, « sur son chemin vers le salut universel, d’être proche d’une famille aimée et petite comme celle de Marie, Marthe et Lazare » : d’où l’invitation à « retrouver la grandeur de ce qui est petit ». Jésus, recherchait la « proximité de la vie quotidienne avec cette famille qu’il aimait tant »: sur les deux pages consacrées aux nouveaux « saints de Béthanie », Marthe, Marie et Lazare, par L’Osservatore Romano en italien du 13 février 2021, Marcelo Figueroa signe un article dans lequel il souligne l’expérience qu’a faite Jésus « de l’esprit de famille et de l’amitié ».
Rédacteur en chef de l’édition argentine de L’Osservatore Romano, lancée en 2017, Marcelo Figueroa est un presbytérien argentin, bibliste, ami du pape François.
En cette période de pandémie planétaire, l’auteur invite à accepter la tension entre la « fraternité » mondiale et la « famille », les « proches » qui représentent « ce qui est tangible, quotidien et familier » ; entre le « regard universel », et celui, « incontournable », qui se concentre « sur ce qui se passe dans mon village, ma famille, ma communauté ».
Rappelons que, depuis le 2 février dernier, Marthe, Marie et Lazare, qui ont accueilli Jésus chez eux à Béthanie, sont désormais inscrits au Calendrier romain général, pour être célébrés dans toute l’Eglise le 29 juillet.
Dans un décret publié le 2 février 2021, le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, le cardinal Robert Sarah, explique que « dans la maison de Béthanie, le Seigneur Jésus a fait l’expérience de l’esprit de famille et de l’amitié » : « Marthe lui offrit généreusement l’hospitalité, Marie écouta attentivement ses paroles et Lazare sortit rapidement du tombeau sur l’ordre de Celui qui a humilié la mort. »
Voici notre traduction de l’article de Marcelo Figueroa.
HG
La grandeur de ce qui est petit
Voir l’universel sans perdre de vue le familier. Éprouver de la compassion pour le monde sans négliger la miséricorde pour vos proches. Équilibrer la tension entre la fraternité en tant que prochain et la famille parce qu’elle est proche. Traverser ce temps de pandémie tenus par la main par un Christ incarné, symbole d’une humanité complète, comprenant son kairos d’amour infini pour la faiblesse individuelle. Avoir la capacité d’examiner l’histoire actuelle à la lumière des événements dramatiques vécus, sans perdre la grandeur de s’arrêter sur ce qui est petit, comme un instant infini. Une goutte d’éternité dans une espace petit et proche au milieu d’une mer fouettée par une tempête inattendue et planétaire.
Le 26 janvier dernier, en la mémoire liturgique des saints évêques Timothée et Tite, le cardinal Robert Sarah et l’archevêque Arthur Roche, respectivement préfet et secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, ont signé un décret de modification dans le Calendrier romain général concernant la date du 29 juillet, qui célèbrera à partir de cette année les saints Marthe, Marie et Lazare. Le décret rappelle que « dans la maison de Béthanie, le Seigneur Jésus a fait l’expérience de l’esprit de famille et de l’amitié de Marthe, Marie et Lazare ; c’est pour cette raison que l’évangile de Jean affirme qu’il les aimait ». Puis il ajoute : « Marthe lui offrit généreusement l’hospitalité, Marie écouta docilement ses paroles et Lazare sortit promptement du tombeau sur l’ordre de celui qui a humilié la mort ». Et il conclut : En accueillant la proposition de ce Dicastère, le souverain pontife François a établi que figure dans le Calendrier romain la mémoire des saints Marthe, Marie et Lazare le 29 juillet ».
Dans cette histoire évangélique johannique, on perçoit comme rarement ailleurs, la tension entre les opposés dans les temps qui précèdent le chemin de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Le Seigneur se dirigeait vers Béthanie, tout en sachant qu’il s’exposait ainsi à une accélération du processus final déjà orchestré par le Sanhédrin, qui cherchait seulement une opportunité pour le mettre en œuvre. Dans une certaine mesure, percevant cette dangereuse tension, certains de ses disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » (Jean, 11, 8). Il apparaît clairement, dans la réponse énigmatique de Jésus, que sa vision des temps et des événements ne coïncidaient pas avec la leur : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui ». Il s’exprima ainsi, puis il leur dit : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil » (ibid. 11, 9-11). De la même façon, on en déduit que, pour Jésus, le voyage pédagogique qui devait conduire à la résurrection de son ami Lazare était nécessaire pour témoigner de son pouvoir sur la mort et sur ses temps, mais également pour accélérer définitivement sa fin : « A partir de ce jour-là, ils décidèrent [le Sanhédrin] de le tuer » (ibid., 11, 53). Sa victoire sur la tension entre la vie, la mort et ses temps chronologiques et infinis était l’élan qui dépassait la tension des opposés. « Je suis la résurrection et la vie ; qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (ibid., 11, 25).
Dans son récent message pour la XXVème Journée mondiale de la vie consacrée, le pape François a affirmé : « J’aime évoquer Romano Guardini qui disait : la patience est une façon dont Dieu répond à notre faiblesse, pour nous donner le temps de changer ». Avec ce voyage inattendu, dangereux et apparemment inopportun et inutile, Jésus désirait donner également une leçon de patience, en raison de leur faiblesse, à ses disciples, pour qui cette tension était insupportable. C’est la même impatience qu’ont éprouvé auparavant Marthe, puis Marie lorsqu’elles accueillirent Jésus après la mort de son ami : « si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! » (Jean, 11, 21 et 32). Jésus aussi désirait passer un temps de guérison, dans la proximité de la vie quotidienne avec cette famille qu’il aimait tant. La maison de Marie, Marthe et Lazare était pour le Seigneur un lieu accueillant, avec le parfum des villages et la saveur de l’amitié paysanne. Jésus, qui allait se lancer dans un univers infini, après son passage dans la majestueuse Jérusalem, ne se priva pas, même en cette circonstance du temps nécessaire pour visiter ces périphéries paysannes qui faisaient partie de lui et qu’il aimait.
Suivant l’œuvre et la pensée de Guardini, Der Gegensatz développe la signification profonde de l’importance de la tension des opposés. Opposés qui, loin d’être un problème, représentent une solution qui va au-delà de tout raidissement d’une vision binaire et hégémonique de la réalité théologique, sociale et anthropologique. Parce que cette vision statique et unipolaire paralyse, obnubile la pensée et ne laisse pas de place à l’action rénovatrice de Dieu. Guardini soutenait ceci : « Nous ne pouvons pas accepter que se consolide une société duelle ». En ce sens, nous pourrions dire que s’applique également la devise de l’Hypérion de Hölderlin : « Ne pas mettre de limite à ce qui est grand, mais se concentrer sur ce qui est petit ».
Il convient de regarder la pandémie mondiale avec un regard universel. Et de constater l’inégalité de l’accès aux services sanitaires pour les pays et continents pauvres et maintenant la scandaleuse asymétrie dans la disponibilité des vaccins sur la base des possibilités économiques de chaque Etat singulier. Mais il faut également « tendre l’arc » des opposés pour se rapporter à ce qui est petit et qui, précisément, représentant ce qui est tangible, quotidien et familier, assume une dimension de cicatrisation de la situation dans une optique chrétienne. C’est pourquoi se concentrer sur ce qui se passe dans mon village, ma famille, ma communauté, représente un regard incontournable que, comme pour certains disciples de Jésus, beaucoup ne comprendront pas. Nous avons besoin de patience pour regarder le quotidien, ce qui est proche et familier, la patience qui peut transformer notre être faible en conversion spirituelle pour Jésus, Seigneur du temps et de l’histoire. Naturellement, nous ne devons pas oublier qu’en harmonie avec notre catholicité spirituelle, la limite est l’humanité tout entière et la justice intégrale, à la lumière de l’herméneutique du royaume de Dieu et de sa justice. Mais en ce moment, il est aussi important de retrouver la grandeur de ce qui est petit, comme le fit Jésus qui ne négligea pas, sur son chemin vers le salut universel, d’être proche d’une famille aimée et petite comme celle de Marie, Marthe et Lazare.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat