Le magistère en question : « L’Église, servante de la vérité », par B. Le Pivain

A l’occasion d’une présentation à Rome

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ROME, Mercredi 6 décembre 2006 (ZENIT.org) – Deux volumes, consacrés au Magistère et au Célibat sacerdotal ont été présentés hier à Rome, au séminaire pontifical français, en présence du cardinal Georges-Marie Cottier et du P. André Manaranche.

Il s’agit de: « L’Eglise, servante de la vérité. Regards sur le Magistère », de Bruno Le Pivain, et du volume intitulé : « Les origines apostoliques du célibat sacerdotal » du P. Christian Cochini, sj, que nous avons présenté dans nos éditions du 4 et du 5 décembre. Les deux volumes sont édités par les éditions « Ad Solem » (www.ad-solem.com).

L’abbé Le Pivain a bien voulu présenter son livre aux lecteurs de Zenit.

Zenit : Bruno le Pivain, vous êtes prêtre du diocèse d’Angers et directeur de la revue Kephas. Vous venez de faire paraître aux éditions Ad Solem un recueil d’essais sur le Magistère, L’Église, servante de la vérité. Pourquoi ce thème?

B. le Pivain : L’origine de cet ouvrage tient à une constatation en deux temps. Tout d’abord, la notion, ou le terme même de magistère, effraie aujourd’hui bien souvent. Face aux multiples remises en doute engendrées par la poussée dans l’opinion des dogmes de la sécularisation, qui vont jusqu’à ce que Nietzsche, cité par le Cardinal Cottier dans la préface de cet ouvrage, appelait la « méfiance méthodique », les baptisés, clercs ou laïcs, sont partagés. Des théologiens tentent de revoir le rôle ou la nature du Magistère. Plus généralement, l’articulation entre vérité, exercice de l’autorité et liberté semble souvent problématique. En un mot, la crise majeure de la foi que traversent nos vieilles contrées de chrétienté, par quelque aspect qu’on l’approche, se manifeste d’abord par une crise de l’autorité magistérielle, de la réception de la Parole de l’Eglise.
Il a donc paru utile d’apporter un éclairage synthétique sur une réalité aussi présente dans les esprits et les discussions que méconnue pour ce qu’elle est. Est-ce un hasard si le Saint-Père, à la suite de Jean-Paul II qui n’avait pas ménagé ses efforts en ce sens, y compris dès son épiscopat à Cracovie, a souhaité, dans son fameux discours du 22 décembre 2005, que l’Eglise reçoive en vérité le Concile Vatican II, qui a sans doute été bien plus commenté de diverses manières que lu et appliqué ?
Il en va pour l’Eglise de la fidélité à la mission qu’elle a reçue du Christ et du service de la vérité auprès des hommes de notre temps. Il en va de l’intelligence de la foi et de la joie véritable, si essentiels à la fécondité de la Nouvelle évangélisation.

Zenit : « Le Magistère, une école de sagesse » peut-on lire sur la bande du livre, or, le magistère est plus souvent perçu comme une forme de carcan freinant l’essor de la pensée et de la vie spirituelle…

B. le Pivain : C’est juste. Comment accepter une parole d’autorité qui viendrait s’imposer en quelque sorte de l’extérieur à mon intelligence, à ma conscience même ? Pourtant, les réponses aux multiples questions qu’ont pu faire naître les décennies de l’après-Concile ne pourront venir que du Magistère de l’Eglise, le même, hier, aujourd’hui et à jamais, parce que « l’Eglise, c’est Jésus-Christ, mais Jésus-Christ répandu et communiqué. » Le Magistère n’est pas d’abord à mesurer en termes de syllogismes ou de juridiction, il est essentiellement l’expression de la Miséricorde du Christ toujours à l’œuvre en ce monde et appelle à ce titre la même confiance inébranlable. Ceci n’empêche en rien l’exercice de la raison, mais au contraire l’éclaire et le nourrit : ni fidéisme, ni rationalisme, mais harmonie entre foi et raison. Avec Benoît XVI, « coopérateur de la vérité », qui en a fait comme le fil directeur de son pontificat, il nous achemine à la Joie de la Vérité. L’Eglise est servante de la vérité : ce n’est que par une nouvelle prise de conscience de la dimension essentiellement spirituelle du Magistère que pourront cesser les dialectiques et disparaître les clivages : le monde a tant besoin que l’Eglise lui délivre aujourd’hui, non seulement dans les mots, le message de l’unité et de la paix.
La démarche suivie dans cet ouvrage répond d’abord à cette préoccupation : plutôt que de céder aux deux tentations mortifères du relativisme réducteur ou des dialectiques mondaines, il faut revenir à ce fondement du Magistère, en retrouver le sens dans son lien vital avec l’Ecriture Sainte et la Tradition.

Zenit : « Sentir avec l’Eglise », c’est, comme l’indique l’article du P. Serge-Thomas Bonino o.p. que vous publiez, vivre cette « indispensable docilité » de l’intelligence et de la volonté. Dans l’indifférence, voire l’hostilité, que rencontrent certains documents du Magistère faut-il diagnostiquer une perte de confiance dans l’Eglise ?
<br> B. le Pivain : Le Concile de Trente parle, dans une très belle expression, de « la foi à la vérité de l’Eglise ». La confusion actuelle des esprits, ce que Jean-Paul II avait pu appeler une « profonde crise de la vérité », s’accompagne aujourd’hui d’une méconnaissance de la nature de l’Eglise, de son autorité maternelle. Les « tendances » ecclésiales reproduisent trop souvent un schéma politique moderne, comme si l’Eglise était une société purement humaine, et non l’Eglise du Verbe Incarné, Corps mystique organique, dont la Tête invisible, le Christ, est rendue visible en la personne du « doux Christ de la terre », le Souverain Pontife, et donne l’influx au « Corps tout entier [qui] reçoit nourriture et cohésion, par les jointures et les ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu » (Col 2, 19).
Docilité, confiance : le fameux « assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence » évoqué par la Constitution Lumen gentium nous indique que la réception du Magistère est une démarche de foi avant d’être un exercice de l’intelligence, que la première, loin de brider la seconde, l’illumine de l’intérieur, la purifie de ses écarts ou de ses carences, la porte à son achèvement dans ce merveilleux équilibre entre la foi et la raison où réside toute la dignité de l’acte de foi comme de la pensée. La réception du Magistère est avant tout affaire de vie intérieure, avec ce que cela suppose de respect du mystère. « Le mystère n’est pas un mur où l’intelligence se brise, c’est un océan où l’intelligence se perd. », disait Gustave Thibon. Ira-t-on jusqu’à dire que le Magistère peut nourrir la contemplation ? C’est bien probable.

Zenit : Les cardinaux Bertone et Honoré, Mgr Guillaume, Mgr Frost, Dom Hervé Courau, osb, le père Bonino, Mgr Ocariz Brana etc. : vous avez volontairement réuni dans L’Église, servante de la vérité des auteurs qui présentent ce visage « romain » de l’Église, ouvert à la diversité des tempéraments spirituels ?

B. le Pivain : Dans la basilique vaticane, au-dessus de la tombe de l’humble pêcheur de Galilée à qui le Christ a confié la charge redoutable et merveilleuse de confirmer ses frères dans la foi, court en lettres d’or sur les quatre pilastres l’inscription qui dit tout : « Hinc una fides mundo refulget, hinc unitas sacerdotii exoritur ». D’ici une même foi resplendit sur le monde, d’ici tire son origine l’unité du sacerdoce. Unité de foi, unité de charité, n’est-ce pas le meilleur fondement de la liberté des enfants de Dieu ? Et la Place Saint-Pierre n’est-elle pas quotidiennement l’image vivante et bigarrée de cette famille immense si diverse dans son unité ?

Zenit :Votre livre sort au moment où l’o
n attend un moto proprio qui « libéraliserait » la liturgie préconciliaire, et votre article sur « La Tradition, Beauté si ancienne, Beauté si nouvelle » aborde notamment cette question. N’est-ce pas dans ce domaine aussi une opposition factice entre magistère et tradition qui empêche de résoudre les clivages ?

B. le Pivain : Pour les tenants de l’autonomie de la conscience, la liberté de l’acte de penser postule l’indépendance absolue de la raison et refuse donc toute vérité reçue par voie de transmission, de tradition, comme contraire à la dignité humaine. Pour un certain traditionalisme, c’est la Tradition librement interprétée – et amputée de ses derniers développements – qui doit juger le Magistère actuel. L’une et l’autre attitude sont voisines. La Tradition ne peut être rendue visible que par le Magistère authentique, vivant, jamais sans ou contre lui.
Le Motu proprio Ecclesia Dei du pape Jean-Paul II (2 juillet 1988), appelait à un accueil large et généreux des « fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine ». Il pointait aussi une « notion incomplète et contradictoire de la Tradition » comme étant « à la racine de cet acte schismatique », celui des consécrations épiscopales illégitimes de Mgr Lefebvre du 30 juin 1988. « Incomplète parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition », « mais c’est surtout une notion de la Tradition qui s’oppose au Magistère universel de l’Eglise, lequel appartient à l’évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. »
La résolution de cette question ne peut se faire que par le haut, en prenant en compte, sans complexe, et en toute vérité et charité, ces deux éléments : accueil large et généreux (comment peut-on sinon plaider pour l’unité, œuvrer pour l’œcuménisme ?), foi dans la vérité de l’Eglise et de sa Tradition, de son Magistère (comment en effet donner ensuite des leçons d’attachement à l’enseignement de l’Eglise ?).
L’équilibre de la foi catholique tient là : de ces trois réalités, Ecriture Sainte, Tradition, Magistère, il ne faut jamais isoler l’une des deux autres. C’est dans l’unité ordonnée des trois que chaque baptisé peut « grandir vers la Vérité tout entière ».

Zenit : La figure de Newman, chère à Benoît XVI, est évoquée par le cardinal Honoré. La question du Magistère – de la papauté – resta longtemps un obstacle dans l’itinéraire du cardinal Newman. Aujourd’hui, la multiplication des documents du Magistère provoquerait-elle une certaine « usure » de l’attention ?

B. le Pivain : Puis-je ici vous citer simplement cette phrase de Benoît XVI, extraite de son magnifique discours à l’université du Latran du 21 octobre dernier, et que les tumultes que vous signaliez rendent plus pertinente encore, alors qu’il s’agit du bien spirituel des hommes de ce temps : « Que l’espace du silence et de la contemplation, qui sont le décor indispensable sur lequel planter les interrogations que suscite l’esprit, puissent trouver entre ces murs des personnes attentives qui sachent en mesurer l’importance, l’efficacité et les conséquences pour la vie personnelle et sociale. » N’est-ce pas illustrer la belle et grande attitude de Newman, dont notre pape actuel est si proche à bien des égards ? L’article du Cardinal Honoré, point d’orgue de cet ouvrage, vient en effet nous montrer comment le Magistère, s’il est d’abord reçu dans la foi, devient une véritable école de sagesse. C’est bien la visée essentielle de ce recueil.
C’est à ce prix que progresseront et la vérité, et la charité.

Zenit : Une forme de « magistère médiatique » fait aujourd’hui que la parole de l’Eglise parvient atténuée, voire incomprise. Le directeur de Kephas, envisage-t-il des remèdes?

B. le Pivain : C’est un fait : les documents du Magistère sont désormais accessibles aux médias, avant même que leurs premiers destinataires, y compris souvent les évêques, n’aient pu en prendre connaissance. Une sorte de deuxième « magistère », qui a ses propres critères, mondains et indépendants du présupposé de la foi, vient brouiller la réception par tous les fidèles, théologiens ou simples croyants, de l’enseignement de l’Eglise. Dans la ligne de cette atrophie de la raison – alors même qu’elle s’imagine gagner en dignité -, l’on finit par se contenter du slogan, inlassablement ressassé, qui va tenir lieu de pensée.
Comment y remédier ? Connaître et aimer l’Eglise, dans sa dimension sacramentelle, pour mieux connaître et aimer le Christ. La faire connaître et la faire aimer. Délaisser aussi bien le respect excessif pour « l’opinion publique » que les divisions stériles dans l’Eglise héritées des années 70 et qui ont largement fait leur temps. Et puis cette urgence pour tous les baptisés : « Intellectum valde ama », disait saint Augustin. Aime vraiment comprendre, aime et sers la vérité pour elle-même, de manière désintéressée, en te souvenant que « toute vérité, dite par qui ce soit, vient de l’Esprit-Saint », que la vérité est universelle puisqu’elle est participation à Celui qui est la Vérité première. Et souviens-toi, comme l’écrivait Jean-Paul II dans Fides et Ratio, que « c’est la foi qui incite la raison à sortir de son isolement et à prendre volontiers des risques pour tout ce qui est beau, bon et vrai. »
Que peut craindre celui qui « dépense sa vie au service de la vérité », pour reprendre Juvénal, sinon de grandir dans la Joie véritable ? Et comment mieux fonder cette Joie que dans la Parole de l’Eglise, qui prolonge celle du Christ ?

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ZENIT Staff

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