« Les droits de l’homme sont tels parce qu’ils sont inhérents à la dignité de la personne humaine » et ne peuvent donc pas être « définis, formulés et conférés par la société ou l’État », a affirmé avec force Mgr Paul Richard Gallagher, dénonçant une tendance de la société à les « manipuler » pour « faire avancer un programme politique, économique, militaire, culturel ou idéologique ».
Le secrétaire du Vatican pour les Relations avec les États, est en effet intervenu au cours du 26e Conseil ministériel de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, à Bratislava, en Slovaquie, les 5 et 6 décembre 2019.
« Le langage des droits de l’homme, a-t-il poursuivi, et même les mécanismes de surveillance des droits de l’homme sont parfois (mal) utilisés pour faire avancer de nouveaux objectifs qui non seulement ne bénéficient pas d’un accord international, mais qui réinterprètent également les traités internationaux existants de manière contraire aux droits que les traités prétendaient défendre à l’origine ».
Le représentant du Saint-Siège a aussi rappelé le rôle de l’OSCE dans la construction et le maintien de la paix : « La dissuasion nucléaire et la menace d’une destruction mutuelle assurée ne peuvent être à la base d’une éthique de la fraternité et de la coexistence pacifique des peuples et des États ». Il a souligné que « les jeunes d’aujourd’hui et de demain méritent beaucoup plus. Ils méritent un ordre mondial pacifique fondé sur l’unité de la famille humaine, fondé sur le respect, la coopération, la solidarité et la compassion ».
Voici notre traduction du discours prononcé par Mgr Paul Richard Gallagher.
HG
Dicours de Mgr Paul Richard Gallagher
Monsieur le Président,
Permettez-moi tout d’abord d’adresser les meilleurs vœux, le soutien et les prières de Sa Sainteté le pape François à cette 26e réunion du Conseil ministériel et à toute la famille de l’OSCE.
En outre, je tiens à exprimer ma gratitude et celle de ma délégation au Président en exercice, S. E. Miroslav Lajčák, Ministre des affaires étrangères et européennes de la République slovaque, ainsi qu’à l’ensemble de la présidence en exercice slovaque de l’OSCE en 2019 pour les efforts déployés au cours de cette année. Je voudrais également exprimer notre gratitude au Gouvernement slovaque et aux autorités de la ville de Bratislava pour leur généreuse hospitalité durant ces deux jours.
Nous nous réunissons ici à un moment où les États participants sont encore confrontés à de nombreux défis pour la sécurité et la stabilité de la région de l’OSCE et au-delà, notamment les conflits prolongés qui remontent à plusieurs décennies, les plus récents et les attaques terroristes et autres épisodes de violence alimentés par l’extrémisme violent et la radicalisation qui conduisent au terrorisme (VERLT).
Respect des droits de l’homme et de la dignité humaine
Cette année marque le 30e anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Peu après le 9 novembre 1989, la guerre froide a pris fin, les pays à l’est du rideau de fer ont retrouvé l’espoir d’un nouvel avenir. C’était aussi le début d’une nouvelle ère de collaboration entre les États participants de l’OSCE. Il est bien connu que l’Acte final d’Helsinki – et, en particulier, ses dispositions relatives aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales – a eu des conséquences totalement imprévues pour ceux qui l’ont signé. La chute du Mur de Berlin en fait partie.
Actuellement, on a tendance à soutenir que les droits de l’homme sont définis, formulés et conférés par la société ou l’État. Cependant, les droits de l’homme sont tels parce qu’ils sont inhérents à la dignité de la personne humaine.
Même si la société a violé les droits de l’homme, comme nous l’enseigne l’expérience des quarante dernières années de la CSCE/OSCE, nous ne pouvons accepter qu’elle puisse manipuler les droits humains. Cependant, le langage des droits de l’homme et même les mécanismes de surveillance des droits de l’homme sont parfois (mal) utilisés pour faire avancer de nouveaux objectifs qui non seulement ne bénéficient pas d’un accord international, mais qui réinterprètent également les traités internationaux existants de manière contraire aux droits que les traités prétendaient défendre à l’origine. Les droits de l’homme n’ont jamais été censés servir d’armes pour faire avancer un programme politique, économique, militaire, culturel ou idéologique ; ils ne peuvent pas non plus être traités comme des termes ouverts dont la signification peut changer selon les objectifs des différents acteurs. Dans le cas contraire, le respect universel des droits de l’homme se désintégrera, ce qui aggravera la situation dans le monde et rendra les populations beaucoup plus vulnérables.
Dans son message à l’occasion de la signature de l’Acte final d’Helsinki, le pape saint Paul VI a salué les centaines de millions de femmes et d’hommes, jeunes et vieux, comme les « réalités vivantes » des États participants. Il a décrit comment ils aspiraient à des relations de plus en plus pacifiques, plus libres et plus humaines les uns avec les autres, c’est-à-dire à « bénéficier de la paix dans la justice ». Le Pape a dit : « S’ils attendent sans doute d’être rassurés par la garantie de sécurité pour chaque État, ils sont également encouragés par la réaffirmation du respect des droits [de l’homme] légitimes (…] et des libertés fondamentales (…) ». (1)
L’OSCE en tant qu’instrument de paix
Dès le début, d’abord la CSCE, puis l’OSCE, a été un instrument de paix original, capable de renforcer la confiance entre les États et d’apporter des réponses toujours plus pertinentes aux espoirs et aspirations des peuples. « Dans le climat actuel, marqué par de nouvelles tendances centrifuges et la tentation d’ériger de nouveaux rideaux, que l’Europe ne perde pas de vue les bienfaits – dont le premier est la paix – du chemin de l’amitié et du rapprochement entre les peuples entamé dans l’après-guerre ». (2)
L’OSCE étant et demeurant un instrument de paix, le Saint-Siège a décidé d’y prendre une responsabilité directe, en participant à l’Organisation dès sa création. Il continue de le faire dans le même esprit aujourd’hui, visant à apporter une contribution concrète, selon sa propre nature, au service de la paix. En fait, l’Église catholique croit que le respect de la vie humaine et son développement intégral exigent la paix, qui n’est pas seulement l’absence de guerre ou le maintien d’un équilibre des forces entre adversaires. En effet, parce que la paix est « la tranquillité de l’ordre » (3), elle doit être « fondée sur la vérité, construite dans la justice, animée et perfectionnée par la charité, et atteinte dans la liberté ». (4)
La paix ne peut jamais être atteinte par les seuls moyens militaires, et encore moins par la possession d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive. La dissuasion nucléaire et la menace d’une destruction mutuelle assurée ne peuvent être à la base d’une éthique de la fraternité et de la coexistence pacifique des peuples et des États.
Comme l’a rappelé le pape François lors de son dernier voyage au Japon, dans la ville martyrisée de Nagasaki : « Comment pouvons-nous proposer la paix si nous utilisons continuellement l’intimidation de la guerre nucléaire comme un appel légitime à la résolution des conflits ? Puisse cet abîme de douleur rappeler les limites qu’il ne faut jamais franchir. La vraie paix ne peut être qu’une paix désarmée ». (5)
Les jeunes d’aujourd’hui et de demain méritent beaucoup plus. Ils méritent un ordre mondial pacifique fondé sur l’unité de la famille humaine, fondé sur le respect, la coopération, la solidarité et la compassion. Le moment est venu de contrer la logique de la peur par l’éthique de la responsabilité, et de favoriser ainsi un climat de confiance et un dialogue sincère. (6)
Une approche intégrale de la question de la paix inclut le soutien au développement des nations les plus pauvres et implique la responsabilité de la protection de l’environnement. Cet enseignement est clairement exprimé par le pape François dans son encyclique Laudato Si’, où il souligne que « tout est interconnecté » : en particulier le respect de notre propre vie et de celle des autres, une économie juste et la jouissance des droits, la santé des institutions démocratiques et celle de la protection de la création, le souci de l’environnement, la promotion de la justice et la sauvegarde de la paix. « Tout est interconnecté » : ce pourrait être une autre façon d’exprimer l’universalité des droits de l’homme car le sens d’une écologie intégrale réside précisément dans le fait de rappeler que la défense des droits de l’homme, leur caractère universel et leur avenir doivent s’inscrire dans un tout. (7)
Fraternité, citoyenneté et dialogue
Le point de départ de tout cheminement possible de fraternité doit être la conscience d’appartenir tous ensemble à la grande famille humaine. Telle est la perspective de la déclaration d’Abou Dhabi, signée le 4 février dernier, entre le Saint-Père et le grand imam d’al-Azhar, Ahmed el-Tayyeb. Le titre de la déclaration est précisément « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et le vivre ensemble ». (8)
Pour être féconde, la fraternité doit être nourrie quotidiennement par une approche de l’autre caractérisée par la sincérité des intentions et le respect de sa propre identité. Sinon, comme a mis en garde le pape François : « La seule alternative serait l’incivilité du conflit ». (9) Dans le Document sur la fraternité humaine, il est clairement reconnu que l’adoption « d’une culture du dialogue comme voie, de la coopération mutuelle comme code de conduite et de la compréhension mutuelle comme méthode et norme » (10) est cruciale. De telles attitudes nous permettent « d’être un pont entre les peuples et les bâtisseurs de paix ». (11)
Dans cette perspective, le dialogue est crucial pour favoriser le respect et la compréhension mutuels car dans le dialogue, l’autre partie est reconnue comme un interlocuteur au même niveau et avec la même dignité.
Cette attitude dialogique devrait également s’appliquer à notre Organisation. Les discussions et les négociations doivent tenir dûment compte des arguments de tous les États participants, car pour parvenir à un consensus, il faut être disposé à écouter et à prendre en compte les vues de tous.
En outre, les propositions devraient, du point de vue du sujet et du contenu même, refléter la nature et l’objectif de l’OSCE de telle sorte qu’un consensus entre les 57 États participants puisse être atteint, en veillant à ce que les principes de souveraineté et d’égalité des États soient toujours respectés.
Précisément le dialogue interreligieux, tel qu’il est exprimé dans le « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et le vivre ensemble », est un exemple de dialogue capable de nourrir le développement de la société et le progrès de la paix et de la sécurité dans et entre les États, ainsi que de promouvoir la tolérance, le respect et la compréhension entre croyants de différentes communautés, entre croyants et non-croyants, ainsi que d’assurer la stabilité et la sécurité de nos sociétés. Le Saint-Siège considère que le dialogue interreligieux, de même que le dialogue entre les communautés religieuses et les États participants, joue un rôle constructif et important dans nos sociétés en ce qui concerne la réconciliation, la réhabilitation et la reconstruction des sociétés sortant d’un conflit.
L’expérience de ces dernières années a montré qu’un respect authentique de la dignité et des aspirations des êtres humains est l’une des conditions de la confiance et de la compréhension entre personnes et sociétés. Seule la conscience d’être unis par la même dignité et les mêmes aspirations fondamentales peut nous conduire tous à nous accepter les uns les autres et à construire ensemble un monde où chacun peut jouir de la pleine dignité inhérente à tous les êtres humains.
Pour terminer, je tiens à renouveler ma gratitude à la Présidence slovaque pour le rôle moteur qu’elle a joué et les efforts qu’elle a déployés au cours de l’année écoulée et j’adresse mes vœux de succès les plus sincères à la future Présidence albanaise, tout en assurant de la coopération et du soutien constants du Saint Siège.
Merci, Monsieur le Président.
- https://w2.vatican.va/content/paul-vi/en/letters/1975/documents/hf_p-vi_let_19750725_casaroli-conferenza-helsinki.html
- http://www.vatican.va/content/francesco/en/speeches/2019/january/documents/papa-francesco_20190107_corpo-diplomatico.html
- CCC, 2304.
- Pape François, Discours au Monument des martyrs, Nishizaka Hill, Nagasaki, Japan, 24 novembre 2019.
- http://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2019/november/documents/papa-francesco_20191124_messaggio-arminucleari-nagasaki. html.
- http://www.vatican.va/content/francesco/en/messages/pont-messages/2014/documents/papa-francesco_20141207_messaggio-conferenza-vienna-nucleare.html
- https://press.vatican.va/content/salastampa/en/bollettino/pubblico/2018/09/11/180911d.html
- https://w2.vatican.va/content/francesco/en/travels/2019/outside/documents/papa-francesco_20190204_documento-fratellanza-umana.html
- http://w2.vatican.va/content/francesco/en/speeches/2017/april/documents/papa-francesco_20170428_egitto-conferenza-pace.html
- https://w2.vatican.va/content/francesco/en/travels/2019/outside/documents/papa-francesco_20190204_documento-fratellanza-umana.html
- http://w2.vatican.va/content/paul-vi/en/speeches/1965/documents/hf_p-vi_spe_19651004_united-nations.html
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat