ROME, Mardi 14 février 2006 (ZENIT.org) – En huit paragraphe, comme huit portes bibliques de sagesse et de sainteté, le cardinal Paul Poupard, président du conseil pontifical de la Culture ouvre un chemin pour les pèlerins de la famille spirituelle de la communauté Saint-Jean, à Rome pour un triduum jusqu’à demain.
Voici le texte intégral du cardinal Poupard, à l’adresse du fondateur, des frères et sœurs, des oblats, des laïcs amis et des familles de la communauté Saint-Jean, lors de la messe de ce matin, à Saint-Jean du Latran.
Homélie de S. Em. Le card. Paul Poupard, Président du Conseil Pontifical de la Culture
Pèlerinage des frères et sœur de la communauté Saint-Jean
St Jean de Latran, le 14 février 2006, Saint Cyrille et Méthode ( 2 Co 4, 1-7 – Ps 95 – Lc 10,1-9)
Mes Révérends et bien chers Pères,
Chers Frères et Sœurs, Oblats et Amis de Saint-Jean,
Chers amis pèlerins,
1. C’est pour moi une grande joie de vous accueillir en cette majestueuse Basilique d’abord consacrée au saint Sauveur, et plus tardivement aux saints Jean-Baptiste et Jean l’Evangéliste, l’Apôtre que Jésus aimait et que vous considérez comme votre Père. Nous sommes ici, vous avez pu le lire fièrement inscrit sur la façade majestueuse et solennelle du Florentin Alessandro Galilei, dans la « Sacrosancta Lateranensis ecclesia Omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput » : mère et tête de toutes les églises de Rome et du monde. Réunis en cette liturgie solennelle, nous fêtons dans la joie les saints Cyrille et Méthode, apôtres des peuples slaves et Patrons de l’Europe avec saint Benoît Abbé. Nous prions donc le maître de la moisson en cette Eucharistie, comme Jésus nous l’a demandé dans l’Evangile de Luc que nous venons d’entendre, « d’envoyer des ouvriers dans sa moisson », et nous renouvelons notre désir de répondre généreusement à son envoi : « Partez, je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups », pauvres sans « bourse, ni sac, ni souliers », mais riches de la paix que le Seigneur met dans nos âmes parce que, c’est notre foi : « Le royaume de Dieu s’est approché de nous ».
Cher Père Marie-Dominique Philippe,
2. En accueillant les frères, les sœurs et les amis de la Communauté Saint-Jean réunis en pèlerinage d’action de grâces pour les 30 ans de sa fondation, je me dois de m’adresser en premier lieu à vous, et de vous redire ma reconnaissance pour le don de votre vie au service de l’Eglise selon la grâce de saint Dominique à qui vous avez toujours voulu rester fidèle, tout en étant appelé par Dieu à accompagner ces jeunes désireux d’offrir leur vie au service de l’Eglise et du Christ, selon la grâce de l’Apôtre saint Jean.
Il m’en souvient, c’était voici déjà trente ans : j’étais aumônier de « Saint-Do », via Cassia, où vous séjourniez à l’occasion de vos séjours romains. Vous me parliez de vos étudiants passionnés par la réflexion sur l’être et la métaphysique, l’interrogation du beau et la philosophie de l’art, la recherche du vrai et la critique… Ils faisaient votre joie et vous encourageaient dans un environnement intellectuel sinon hostile, du moins peu enclin à suivre un tel enseignement. Ces étudiants, vous les accompagniez aussi spirituellement : vous les voyiez se joindre pour vivre ensemble, comme les premières communautés chrétiennes des Actes des Apôtres, mettant leurs biens en commun, priant intensément et longuement, fervents dans la célébration de l’eucharistie comme vous leur en montriez l’exemple, et profondément unis dans un amour tout fraternel et communicatif. C’est ainsi qu’une multitude s’est jointe à eux au fil des ans, jusqu’à devenir une grande et belle famille dont vous êtes l’heureux Père fondateur, béni de Dieu à travers une multitude de fils et de filles répartis aux quatre coins de la terre : ils constituent une grande famille, une vivante mosaïque de cultures fécondées par l’agapè de la foi, témoins en notre monde de l’universelle fraternité des hommes en Jésus-Christ. Je mesure avec vous le chemin parcouru depuis trente ans, les joies mais aussi les épreuves qui ne manquent pas, tant il est vrai – l’Eglise de Rome en est le signe éloquent – que nul n’édifie l’Eglise sans verser le sang de son cœur, parfois jusqu’à l’épuisement, à la suite de Jésus sur la Croix. Continuez, cher Père, à accompagner de votre sagesse et de votre fervente charité, ces filles et ces fils de l’Eglise pour qu’ils continuent à être généreusement aujourd’hui et demain, à l’exemple de Jean-Baptiste et de Jean l’Evangéliste, des martyrs romains et de Benoît de Nursie, de Cyrille et Méthode, de Catherine de Sienne, Brigitte de Suède et Thérèse-Bénédicte de la Croix, les apôtres de la nouvelle évangélisation. Paul VI nous y invitait dans sa belle Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, la charte apostolique qui constitue pour la Famille Saint-Jean comme pour toute l’Eglise, une grande lumière pour sa mission. Le serviteur de Dieu Jean-Paul II me le disait dans un confiant entretien sur l’évangélisation des cultures et l’inculturation de l’Evangile qui marchent du même pas : « Il faut toujours revenir à Evangelii nuntiandi ! »
Cher Père Jean-Pierre-Marie, Chère Sœur Alix et chère Sœur Irène-Marie,
Chers Frères, Sœurs, Oblats et amis de la Communauté Saint-Jean,
3. Vous rendez grâces à Dieu pour avoir été choisis dans l’Eglise à la suite de saint Jean, que vous considérez comme votre père et votre modèle : il est l’Apôtre bien-aimé, fervent et fougueux dans sa suite du Christ, fidèle jusqu’aux heures les plus terribles de la Croix, proche de Marie jusqu’à la prendre chez lui, compagnon de Pierre devant qui il s’efface mais qu’il soutient de son amour. Il est le contemplatif du Prologue de l’Evangile et de l’Apocalypse, chantre du Dieu d’amour en ses Epitres, témoin privilégié de la radicale nouveauté de l’Evangile, lui qui fut disciple du Baptiste avant de l’entendre désigner l’Agneau de Dieu et de se mettre à sa suite avec ardeur.
C’est votre belle vocation : être Jean au cœur de l’Eglise, et comme lui témoins émerveillés du Verbe incarné au cœur des cultures du vaste monde. Aussi cette célébration revêt-elle une signification particulière, devant la Chaire de Pierre où l’évêque de Rome siège pour témoigner du Christ. Le pape Benoît XVI le professait, le 7 mai dernier, en prenant ici possession de la Cathedra romana : « La Chaire – la cathedra – est le symbole de la potestas docendi, cette autorité d’enseignement qui est la partie essentielle du mandat de lier et de délier conféré par le Seigneur à Pierre et, après lui, aux Douze. Dans l’Eglise, l’Ecriture Sainte, dont la compréhension s’accroît sous l’inspiration de l’Esprit Saint, et le ministère de l’interprétation authentique, conféré aux apôtres, appartiennent l’une à l’autre de façon indissoluble. Là où l’Ecriture Sainte est détachée de la voix vivante de l’Eglise, elle tombe en proie aux discussions des experts. Tout ce que ces derniers ont à nous dire est certainement important et précieux ; le travail des savants est d’une aide appréciable pour pouvoir comprendre ce processus vivant à travers lequel l’Ecriture a grandi et comprendre ainsi sa richesse historique. Mais la science ne peut pas nous fournir à elle seule une interprétation définitive et faisant autorité ; elle n’est pas en mesure de nous donner, dans l’interprétation, la certitude avec laquelle nous pouvons vivre et pour laquelle nous pouvons également mourir. C’est pourquoi, il y a besoin d’un mandat plus grand, qui ne peut pas naître uniquement des capacités humaines. C’est pourquoi il y a besoin de la voix de l’Eglise vivante, de cette Eglise confiée à Pierre et au collège des apôtres jusqu’à la fin des
temps. » Ainsi nous parle aujourd’hui Pierre vivant en son successeur Benoît.
4. Chers frères et sœurs, enracinez toujours en Eglise votre grande et exigeante vocation d’enseignants de la Sagesse chrétienne qui ne cesse de s’alimenter aux sources de la Révélation. Elle puise dans les trésors de la Sagesse humaine le moyen d’orienter notre raison pour une intelligence approfondie de la foi, et elle donne ainsi à la Sagesse théologique de s’épanouir dans une contemplation toute aimante du mystère de Dieu. Vous le savez : la fécondité de votre enseignement dépend de votre enracinement dans la Tradition de l’Eglise authentifiée par le Magistère vivant du Successeur de Pierre, et dans la communion à l’Eglise universelle. C’est ce mystère de communion qui vous a conduits à la rencontre de l’Eglise de Rome, cette Eglise « qui, selon l’expression d’Ignace d’Antioche, préside la charité ». Maxime le Confesseur en témoigne : « En effet, dès la descente vers nous du Verbe incarné, toutes les Eglises chrétiennes de partout ont tenu et tiennent la grande Eglise qui est ici pour unique base et fondement parce que, selon la promesse même du Sauveur, les portes de l’Enfer n’ont jamais prévalu sur elles ». Cette Eglise de Rome est fondée sur les Limina Apostolorum, les Mémoires des Apôtres, ces lieux sacrés de Rome où sont pieusement conservés et vénérés les tombeaux des apôtres Pierre et Paul, les Pères saints grâce auxquels la Ville est devenue disciple de la Vérité et centre de l’unité catholique. Ces mémoires ne cessent de nous inviter avec le peuple chrétien au renouveau fervent de la foi et au témoignage de la communion fraternelle, dont notre monde éclaté a tant besoin à l’aube du IIIème millénaire.
Chers amis pèlerins,
5. Vous avez pu avant cette célébration, vous rendre à l’antique Baptistère qui jouxte cette Basilique et y renouveler les promesses de votre baptême. Vous y avez lu sur l’entablement des colonnes de porphyre l’émouvante inscription que fit graver, vers 435, le pape Sixte III :
Ici naît pour le ciel un peuple de race divine
Engendré par l’esprit fécondateur de ces eaux.
Ici est la source de vie qui lave tout l’univers,
Jaillissant de la plaie du Christ.
Cette eau que reçoit le vieil homme
Fait surgir l’homme nouveau.
Entre ceux qui renaissent, aucune différence.
Un seul baptême, un seul esprit, une seule foi.
Ils sont Un.
Les sacrements sont les canaux qui permettent l’écoulement, à travers les âges et sur toute la surface de la terre, du sang et de l’eau qui, mystérieusement, jaillissent du côté transpercé du Christ crucifié. En recevant l’eau du baptême, nous sommes nés à une vie nouvelle et nous avons été lavés, non pour les soins du corps mais pour ceux de l’âme, non par l’eau qui lave, mais par la grâce qui purifie, et, pour reprendre les termes de l’encyclique Deus caritas est du Pape Benoît XVI, non pour l’eros mais pour l’agape divin qui jaillit en sources d’eau vive du Cœur transpercé de Jésus crucifié. Par le baptême, nous avons été consacrés, offerts à Dieu pour lui appartenir à jamais. Nous sommes devenus ses fils bien-aimés en qui Il met ses complaisances. Mon saint patron l’Apôtre Paul nous l’enseigne dans sa seconde épître aux Corinthiens : « Il a fait briller la lumière dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ ». Tout jubilé d’action de grâces nous demande de retourner sans cesse à la source d’eau vive dans laquelle nous avons été engendrés pour devenir des hommes nouveaux. La contemplation du cœur ouvert de l’Agneau est notre réponse reconnaissante à Lui qui nous a aimés le premier, et s’est fait l’un de nous pour nous faire « un » en Lui.
Chers frères et sœurs, chers amis de la Famille Saint-Jean,
6. Demain le Pape vous accueillera, non pas seuls, mais avec une multitude d’hommes et de femmes qui, comme vous, chacun à sa mesure, prend sa part à l’édification de l’Eglise et s’insère dans l’unité du Corps mystique du Christ. Le Saint-Père illumine nos méditations par ses enseignements, et particulièrement sa première Lettre encyclique : Deus caritas est. Elle est pour vous, en ces jours romains, comme l’invitation à renouveler votre engagement de religieux et de religieuses, de couples et de familles, d’oblats et de baptisés, en revenant à l’essentiel de notre vocation chrétienne : l’amour agapè « dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres » (DCE, n. 1). Le pape Benoît XVI le dit lui-même : il a voulu « insister sur certains éléments fondamentaux, de manière à susciter dans le monde – et donc dans la communauté Saint-Jean et ses amis – un dynamisme renouvelé pour l’engagement dans la réponse humaine à l’amour divin. » Et pour cela, il nous invite à le suivre pour rejoindre la source de sa méditation toute johannique : « Celui qui a le regard tourné vers le côté ouvert du Christ, dont parle Jean (cf. 19, 37), comprend ce qui a été le point de départ de cette Encyclique : «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8). C’est là que cette vérité peut être contemplée. » Ainsi, entrés dans le mystère de l’agapè divin, il nous faut garder le regard fixé sur le côté ouvert du Christ en Croix, près de Jean et de la Mère que le Christ lui donne, et à travers lui à chacune et chacun d’entre nous.
7. L’amour est à l’origine de notre vocation chrétienne : dans l’appel du Christ, nous avons reconnu l’amour et nous nous sommes donnés à lui. Car l’amour chrétien, l’agapè, est un amour oblatif, la réponse à l’appel de Dieu « qui nous a aimés le premier ». Comment ne pas méditer intensément, en cette ville où la terre a été baignée par le sang de tant de martyrs de la foi, sur le sens de l’oblation comme témoignage de l’amour suprême, celui que nous donne le Christ en Croix, celui de Marie sa Mère, la Vierge des douleurs, celui d’Agnès et de Laurent, de Priscille et de Lucie, celui de Thérèse de l’Enfant-Jésus et de Marthe Robin qui vous est chère, celui aussi du Père Kolbe et de Mère Teresa dont le souvenir demeure un appel à plus de force et de courage dans l’amour des plus pauvres, celui enfin de Jean-Paul II en sa douloureuse maladie, tout offert à la Volonté du Père pour l’amour de l’Eglise.
L’amour est la raison d’être de toute notre vie. Mais qu’est-ce que l’amour ? Le Pape Benoît XVI nous l’enseigne : l’amour humain, l’eros grec, est appelé à une plus grande perfection dans la charité, l’agape biblique, et, pour cela, emprunte un chemin de purification. La grâce d’un pèlerinage est grâce de purification, à travers aussi les lenteurs, les lourdeurs, les imprécisions et les imprévus qui ne manquent jamais, autant d’occasions de grandir dans un amour plus parfait dont saint Paul énumère les fruits en son Epître aux Galates : « joie, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté ». Le sacrement du pardon et nos Eucharisties sont autant d’occasions de renouvellement de nos âmes à travers ce que le pape appelle la « mystique des sacrements » qui « se fonde sur l’abaissement de Dieu vers nous », et « est d’une tout autre portée et entraîne bien plus haut que ce à quoi n’importe quelle élévation mystique de l’homme pourrait conduire ». Cette purification, vous le savez bien, n’est pas seulement pour le temps du pèlerinage : les épreuves de la vie, les médisances qui nous blessent d’autant plus qu’elles proviennent de ceux que nous avons aimés, comme Jésus à qui n’ont point été épargnées les trahisons et les infidélités. Reconnaissons aussi dans la simplicité du cœur, et confessons notre propre péché, nos égoïsmes et notre orgueil, autant de blessures de l’amour qu’il nous faut panser et
transformer en occasions d’un amour renouvelé. Appelés « à suivre l’agneau partout où il va » à la suite des disciples de Jean le Baptiste, acceptons avec amour et générosité ces croix comme don de Dieu pour croître en son amour et dans celui de nos frères.
Chers frères et sœurs, chers Oblats et amis de la Famille Saint-Jean,
8. Confions-nous à l’intercession de Jean le précurseur et de son jeune disciple, l’apôtre de l’Amour, dont le Seigneur a dit à Pierre : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi ». Demeurons avec lui éveillés, le cœur toujours ouvert à l’accueil de sa venue, telle l’épouse fidèle et sage, témoins de l’espérance qui jamais ne nous abandonne, forts de la foi nourrie dans la contemplation du côté ouvert du Christ en Croix, pleins d’amour pour Dieu notre Père, nos frères dans l’Eglise, et ce peuple innombrable que Dieu nous donne à évangéliser à la suite des saints Cyrille et Méthode. Ils demeurent pour nous des modèles vivants, eux qui ont su porter la vérité révélée à de nouveaux peuples, en respectant l’originalité de leurs cultures, et plus encore, en leur donnant de se « renouveler par la force créatrice de l’Esprit-Saint, source infiniment jaillissante de beauté, d’amour et de vérité ».
Que Marie, notre Mère et notre Reine, donne à chacune et chacun d’entre nous de témoigner au milieu du monde de l’amour de Jésus, source vive qui fait de nous un peuple saint, et nous donne de participer activement à édifier la civilisation de l’amour, de l’agape divin : à la fin des temps, il vivifiera tout et tous dans la Jérusalem céleste. Et nous pourrons laisser libre cours à notre action de grâces, en le redisant avec notre Seigneur dans l’Evangile de cette Eucharistie : oui, en vérité, le royaume de Dieu s’est approché de nous et nous y avons répondu par le don sans partage de nos vies et de notre amour. Amen.
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Cf. Paul Poupard, Rome Pèlerinage, ch. IX, Le message de Rome, Bayard-L’Emmanuel, 1997, p. 209-231.
Cf. Conseil Pontifical de la Culture, Pour une pastorale de la culture, Téqui, 1999, n. 39.