Le cardinal Parolin a poursuivi son panorama des papes des cent dernières années, rappelant la « vive » « préoccupation pour l’unité de la famille humaine » chez Pie XI, puis chez Pie XII qu’il a cité : « les nations (…) ne sont pas destinées à briser l’unité du genre humain ». Avec le Concile Vatican II, a-t-il expliqué, l’Église a confirmé sa « contribution » à cette unité en raison de son « universalité ». Pour Jean XXIII, les États devaient reconnaître les « droits propres à tous les citoyens en tant qu’êtres humains » et collaborer davantage en vue du bien commun.
Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a prononcé un discours lors de la Conférence internationale sur le thème « 1919-2019. Espérances de paix entre Orient et Occident », le 14 mai 2019, à l’Université du Sacré-Cœur de Milan, à l’occasion du Xème anniversaire de la fondation de l’Institut Confucius de cette même université. Son intervention était intitulée : « L’unité de la famille humaine du pape Benoît XV au pape François ».
Paul VI « perçut avec force le rapport entre universalité de l’Église et unité du genre humain, souligné par le Concile » et « considéra dès le début l’humanité entière comme un interlocuteur vers lequel se tourner constamment ». Il prit la parole à l’ONU pour représenter « une Église qui se met au service de la cause de la paix, apportant son expérience en humanité pour partager les joies et les espérances de tous les peuples ». Il avait aussi « clairement compris que la question sociale était désormais devenue mondiale ».
Voici notre traduction de la 2e partie de son intervention.
La première partie se trouve ici.
HG
Intervention du secrétaire d’État (2e partie)
Pie XI et Pie XII
La préoccupation pour l’unité de la famille humaine fut aussi vive chez Pie XI, surtout pendant les dernières années de son pontificat, quand une nouvelle guerre sembla de plus en plus proche et alors que commençait la persécution des juifs en Europe. On connaît la décision qui le poussa à faire préparer le texte d’une encyclique consacrée au genre humain (Humani generis unitas), qu’il ne put mener à son terme. À partir des documents d’archives, nous savons qu’elle aurait contenu une condamnation décisive du racisme et de l’antisémitisme nazi, justement au nom de l’égalité fondamentale et de l’unité du genre humain.
À la veille de la Seconde guerre mondiale, son successeur, Pie XII mit en garde les États en affirmant : « rien n’est perdu avec la paix. Tout peut l’être avec la guerre ». Se référant précisément à la ligne tracée par Benoît XV, Pie XII eut l’occasion de s’exprimer avec des accents extrêmement critiques sur la guerre qui éclata le 1er septembre 1939, avec l’invasion de la Pologne par les troupes nazies. À cet égard, le pontife souligna l’éloignement de la « loi de la solidarité humaine et de la charité, qui est dictée et imposée à la fois par l’origine commune et par l’égalité de la nature rationnelle chez tous les hommes, quel que soit le peuple auquel ils appartiennent, et par le sacrifice de rédemption offert par Jésus-Christ ».
Dans la vision du pape Pacelli, « les nations, évoluant et se différenciant selon des conditions de vie et de culture différentes, ne sont pas destinées à briser l’unité du genre humain » et dans sa vision universelle, l’Église ne vise pas à uniformiser l’humanité. Au contraire, pour Pie XII, ce qui est présent dans les usages et dans les coutumes d’un peuple « trouvera toujours un examen bienveillant et, lorsque ce sera possible, sera protégé et encouragé ».
Dans son encyclique programmatique, Summi pontificatus, du 20 octobre 1939, il fit explicitement référence à la Chine, en parlant de la clôture de la séculaire « querelle des rites », dans la continuité de son prédécesseur Pie XI, définitivement entérinée le 8 décembre 1939. Cette question avait douloureusement marqué l’histoire des missions catholiques en Chine depuis l’époque de Matteo Ricci et de ses compagnons, qui accueillaient favorablement les formes traditionnelles chinoises de culte des ancêtres, tandis que d’autres missionnaires et écoles de pensée s’y opposaient.
En 1946, Pie XII créa de nouveaux cardinaux provenant de tous les continents, parmi lesquels le premier de Chine continentale, qui était alors évêque de Pékin, Mgr Thomas Tien Ken-sin. À cette occasion, le pape adressa aux cardinaux les paroles suivantes : « La compréhension universelle de l’Église n’a rien à voir avec l’étroitesse d’une secte, ni avec l’exclusivité d’un impérialisme prisonnier de sa tradition ». C’était des paroles fortes et importantes, qui indiquaient une orientation pastorale claire, à la veille d’un processus de décolonisation qui allait conduire en quelques décennies à la naissance de nombreux nouveaux États indépendants.
Jean XXIII et Vatican II
Le Concile Vatican II a aussi parlé d’ « unité de la famille humaine ». Gaudium et spes souligne la contribution de l’Église à cette unité parce que, « grâce à « son universalité, elle peut constituer un lien très étroit entre les différentes communautés humaines et les nations », aidant à dépasser le désaccord et à consolider les institutions « que l’humanité s’est créées et continuer de se créer ».
La convocation du Concile découla aussi des convictions mûries par Jean XXIII pendant un long parcours qui, de Bergame, l’avait conduit à Rome, Sofia, Istanbul, Paris et Venise. Ce pape, qui connaissait bien l’Orient européen et ses profondes divisions ethnico-religieuses, développa aussi une longue réflexion sur les missions. Après la grave crise de Cuba, moment de tournant dans la guerre froide, il publia en avril 1963 Pacem in terris, qui s’adressait aussi, de manière significative, à « tous les hommes de bonne volonté » et qui était consacrée « aux problèmes qui assaillent le plus la famille humaine en ce moment ».
Dans cette encyclique, mûrie dans un contexte de conflit atomique potentiel, le pape Roncalli parla de l’avènement d’une époque « dans laquelle les distances entre les peuples ont été quasiment éliminées », en raison des « progrès des sciences et des techniques », avec pour conséquence une « circulation des idées, des hommes et des choses » accentuée et une énorme augmentation de « rapports entre les citoyens, les familles et les corps intermédiaires appartenant à différentes communautés politiques ». Les membres de chaque communauté politique étaient appelés « à collaborer entre eux et à s’orienter vers une coexistence unitaire à dimension mondiale ». Réfutant les fermetures ethniques, il convenait pour cela de valoriser les organismes internationaux, définis comme de véritables « signes des temps ».
L’arrivée de nombreux nouveaux États sur la scène internationale sollicitait une nouvelle solidarité entre le Nord et le Sud du monde au sein de l’unique « famille humaine ». Ces États demandaient d’être accueillis dans la communauté internationale sur un plan de parité, dépassant les positions asymétriques et subordonnées. Pacem in terris dédiait aussi beaucoup d’attention aux responsabilités de ces nouveaux sujets internationaux. Dans ce contexte de changement, le pape Jean avait la conviction qu’il revenait aux États d’assumer, d’un côté la reconnaissance de droits propres à tous les citoyens en tant qu’êtres humains, à commencer par les plus faibles et par ceux qui se trouvent dans des conditions de protection moindre et, de l’autre, il revenait aux États dans leur ensemble de promouvoir une collaboration toujours plus intense en vue de réaliser des objectifs de bien commun.
Paul VI
Avec Paul VI, que nous avons eu la joie de voir canoniser en octobre dernier, le souhait d’une unité de la famille humaine a généré un engagement de plus en plus large et concret de l’Église. Ce pape perçut avec force le rapport entre universalité de l’Église et unité du genre humain, souligné par le Concile. Il considéra dès le début l’humanité entière comme un interlocuteur vers lequel se tourner constamment et il adressa sa première encyclique, Ecclesiam suam, du 6 août 1964, au monde entier, s’engageant personnellement pour la « grande et universelle question de la paix », comme programme de son pontificat.
Alors que Vatican II était encore en cours, Paul VI prit la parole – premier pape dans l’histoire – à l’Assemblée des Nations Unies de New York, représentant une Église qui se met au service de la cause de la paix, apportant son expérience en humanité pour partager les joies et les espérances de tous les peuples. À cette occasion, le pape voulut être accompagné par plusieurs cardinaux représentatifs de tous les continuent, symbole de cette unité de la famille humaine qui trouve une expression visible dans l’universalité de l’Église catholique. C’est pourquoi, à New York, le pape Montini parla aussi de l’ONU comme d’une organisation qui « reflète d’une certaine façon dans le domaine temporel ce que notre Église catholique veut être dans le domaine spirituel : unique et universelle ».
Comme nous le savons, au cours des années qui suivirent, le pape Paul s’employa inlassablement pour mettre fin à la guerre au Vietnam. Son engagement pour la paix, toutefois, ne signifia pas seulement une intense activité diplomatique, mais aussi une action multiple sur différents terrains, comme ceux du dialogue culturel, artistique, social et scientifique. En particulier, Paul VI avait clairement compris que la question sociale était désormais devenue mondiale et, dans l’encyclique Populorum progressio, il souligné l’interconnexion entre l’impulsion en faveur de l’unification de l’humanité et l’idéal chrétien d’une unique famille des peuples, fraternelle et solidaire.
Mais les évènements entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix semblèrent démentir ce lien. Dans l’encyclique Octagesima adveniens, en 1971, Paul VI dénonça l’émergence d’ « un problème social de grandes dimensions qui concerne toute la famille humaine » et le fait qu’à travers une exploitation inconsidérée, l’homme risque de détruire la nature et d’être à son tour victime d’une telle dégradation. Comme on le voit, à partir de l’idéal de l’unité de la famille humaine, le regard du pape alla très loin, comme lorsqu’il déclara, dans le contexte de la Conférence sur la Sécurité en Europe, à Helsinki en 1975 : « Si la concertation mondiale devait ralentir ou s’atrophier, en laissant les grandes décisions entre les mains de deux ou trois puissances, cela sera à nos yeux une régression et une menace ».
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
(À suivre)