Assise 2016, capture CTV

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Les pauvres, la paix, l’Église : par Andrea Riccardi et Jean-Pierre Denis

Débat à l’Institut français – Centre Saint Louis de Rome

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Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté Sant’Egidio, et Jean-Pierre Denis, rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Vie, ont débattu au cours d’une « Conversation » organisée par l’Institut français – Centre Saint Louis de Rome, lundi 6 mai 2019, à l’occasion de la sortie de leurs livres : « Tout peut changer » (A. Riccardi, Éditions du Cerf, 2018) et « Un catholique s’est échappé » (J.- P. Denis, Éditions du Cerf, 2019).

La Conversation a été introduite par la nouvelle ambassadrice de France près le Saint-Siège depuis le 11 avril 2019, Madame Élisabeth Beton-Delègue, qui a salué en Andrea Riccardi « une voix qui porte, écoutée et sollicitée » et « un engagement pratique à l’œuvre ». Elle a aussi souligné « le brio, l’humour et la lucidité » de Jean-Pierre Denis.

Andrea Riccardi est aussi historien et penseur reconnu, ancien ministre, et il a reçu en 2009 le Prix européen Charlemagne, au titre de son engagement international au service de la paix. Jean-Pierre Denis est journaliste, essayiste et poète.

Il y a une proximité entre La Vie et Sant’Egidio, entre Jean-Pierre Denis et Andrea Riccardi, fait observer ce dernier : « pas seulement de la sympathie, mais une manière de voir le monde, de chercher les chemins du possible ». En particulier le souci de la paix, renchérit Jean-Pierre Denis, autour des « 3 P » : pour la Paix, pour les Pauvres et par la Prière. Pour le journaliste qui a rencontré la communauté italienne il y a 25 ans, la « force » de Sant’Egidio, depuis les origines, c’est son « enracinement dans ces 3 P ».

Les « 3 P », c’est la définition que le pape François lui-même a donnée de Sant’Egidio, lors de sa visite à Sainte -Marie-du-Transtévère en 2014. Il avait « réussi à réduire à 3 lettres » la mission complexe de la Communauté, rappelle son fondateur, qui se souvient aussi que le pape a pleuré les deux fois où il leur a rendu visite. Andrea Riccardi évoque la fondation, dans le climat idéologique et politique de 68 : « Sant’Egidio a découvert les pauvres, mais comme des personnes et des situations » … les femmes, en particulier, dont la condition était très dure, dans les faubourgs de Rome. C’est ainsi que s’est développée la communauté dans la banlieue  de Rome, « avec les pauvres » et parallèlement la découverte de la Bible et de la prière comme une conversation avec Dieu : « écouter Dieu et lui parler ». Il raconte comment Sant’Egidio a « découvert dans les années 68 que spiritualité n’est pas opposé à solidarité ». Car, confie-t-il, « à partir des expériences de service auprès des pauvres, on découvre la religiosité chez les personnes. Le pauvre est au centre de l’expérience religieuse ».

Et avec les pauvres, la paix, parce que « la guerre est la mère de toutes les pauvretés ». Cet engagement pour la paix avait valu à Sant’Egidio le titre de « Nations Unies du Transtévère ».

C’est sur le thème de la paix que Jean-Pierre Denis s’est rapproché de San’Egidio, en particulier lors de la rencontre d’Assise, voulue par Jean-Paul II, en 1986. « Au début enthousiaste, je me suis ensuite demandé à quoi cela servait, face à la montée du terrorisme », se remémore le rédacteur en chef de La Vie. Les questions se bousculèrent alors, surtout lorsque la France fut frappée elle aussi : « Ce dialogue entre religions n’était-il qu’une façade ? Quel sens avait-il ? Pouvait-il changer le monde, ou au moins éviter le pire ? ».

Cette période de doutes, Andrea Riccardi reconnaît l’avoir aussi traversée. La rencontre pour la paix de septembre 2001, à Barcelone, avait été aussitôt suivie des attentats. En 1986, rappelle-t-il, c’était « la guerre froide », « les religions étaient considérées comme quantité négligeable ». Et l’absence à Assise du card. Ratzinger, perplexe, avait été significative. Mais lorsque le Mur de Berlin est tombé, quelques années plus tard, le pape polonais s’était exclamé : « Nous n’avons pas prié en vain ». Il avait compris « que les religions seraient le problème du XXIème siècle » et, comme il n’avait pas la structure pour poursuivre cette entreprise, c’est la Communauté Sant’Egidio qui en fut chargée, « bien que perplexe » elle aussi. Ce dialogue lui paraissait surtout « diplomatique », se souvient-il.

La « Prière pour la Paix d’Assise », explique-t-il, comprend trois éléments : « l’échange et la discussion », « la prière et la reconnaissance que l’homme et la femme sont des spirituels », et « l’amitié entre les personnes, manifestée publiquement ». Elle ne prétend pas être « la solution aux problèmes », explique l’historien italien, mais « une mouvance ». « On fait un peu d’histoire ». « En ce moment, souligne-t-il, l’esprit d’Assise est encore plus nécessaire ».  Et de rappeler le geste « symbolique » du grand imam d’Al-Azhar, al Tayeb, venu à Paris en mai 2016 et ayant demandé à se rendre au Bataclan pour s’y recueillir. Ou le récent Pacte d’Abou Dhabi, qui est « dans cette mouvance ».

Jean-Pierre Denis souhaite lui aussi une « Église dialogale », capable d’entrer « en conversation avec le monde », comme le disait déjà Paul VI dans sa première encyclique Ecclesiam suam, en 1964. Mais un dialogue qui « commencerait par l’écoute » : l’Église « gagnerait à écouter davantage et elle découvrirait peut-être qu’elle est attendue plus qu’elle ne le pense », estime-t-il.  En effet, poursuit-il, « ce qui est premier, c’est la question », or souvent « les chrétiens ont tendance à affirmer », « on veut toujours parler le premier ». Si l’essayiste français, qui défend un « christianisme ‘attestataire’ », appelle de ses vœux « des chrétiens capables d’attester ce qu’ils croient », il y a, dit-il, « une nécessité vitale à le faire par le dialogue ».

Cette attente secrète d’un dialogue avec les chrétiens est peut-être en train de se révéler discrètement en France, analyse Andrea Riccardi. Trois événements récents, et les réactions qui ont suivi, manifestent que le « lien n’est pas complètement rompu avec le christianisme » : l’assassinat du père Hamel, le sacrifice d’Arnaud Beltrame et l’incendie de Notre-Dame. L’historien italien y voit ce qu’il appelle « un mystère français », à savoir « un attachement au christianisme, y compris de la part de personnes qui n’ont pas de lien avec l’institution ». Pour lui, il existe un lien « pas seulement culturel » entre le Français et Notre-Dame, mais aussi « humain et religieux », un lien « profond » qu’il faut « comprendre et respecter ». Et il évoque « l’agonie de Notre-Dame » en ces termes : « quand on est aux côtés d’une amie qui est en train de mourir, on comprend mieux sa vie et son importance dans notre propre vie ».

Mais, regrette-t-il, « l’Église n’a pas totalement compris ce défi. Nous sommes encore dans une mentalité du Concile de Trente : on croit qu’il faut encadrer ». Le pape François donne l’exemple en parlant du « peuple de Dieu », de la « piété populaire », de la « miséricorde », du « dialogue avec un monde très large ». « Il est inclusif, sans encadrer », mais reconnaît le fondateur de Sant’Egidio, « on peut dire que c’est “liquide”, c’est très difficile à pratiquer ».

Cette nouvelle société “liquide”, fait observer Jean-Pierre Denis, exige un « grand changement pour l’Église qui est très structurée ». Cela a porté « des fruits magnifiques, mais dans une autre civilisation ». L’Église « en sortie » que souhaite le pape « demande un changement complet d’attitude » et « le pape a très bien compris cela », poursuit le journaliste français pour qui la crise actuelle dans l’Église de France est « une occasion pour nous, laïcs, de nous sentir responsables ». Aujourd’hui, « on ne peut plus déléguer à l’institution. C’est l’engagement de chaque croyant, personnellement, qui sera déterminant », affirme-t-il. Ce que confirme Riccardi : « En Europe, la baisse des vocations est un défi pour l’Église, qui a toujours été cléricale ». Mais au terme « laïcs », qui évoque plutôt pour lui un syndicat, il préfère celui de « disciples », qui suggère « une responsabilité non organisée, une présence ».

Pour Andrea Riccardi aussi, la crise de l’Église et sa faiblesse sont « un bon moyen pour être chrétien aujourd’hui ». Cela permet de découvrir « que le christianisme ne cherche pas sa beauté mais qu’il œuvre avec ses faiblesses pour l’unité du monde humain, pour la paix. C’est dans ses chromosomes ».

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Hélène Ginabat

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