Première publication le 9 novembre 2025 par la CEF
Éminences et Excellences, Pères, Frères et Sœurs.
Permettez-moi de commencer par quelques paroles de Jésus qui résonnent fort. « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division » (Luc 12,51). « […]Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt. 10,34).
La guerre et le meurtre : ce sont les divisions les plus radicales qui traversent l’humanité. En ces temps de guerre dans le monde, en cette période de soif de paix en Ukraine, en Terre sainte et ailleurs, l’évocation de ces phrases, la mention du glaive, peut être perçue comme une provocation. Certains, cependant, instrumentalisent ces paroles pour mobiliser les gens en faveur d’une guerre sainte messianique contre une civilisation décadente, qu’ils considèrent comme un foyer du mal…
À la naissance du Christ, les anges proclamèrent la «paix sur la terre » (Luc 2,14). Tout au long de sa vie, le Christ n’a jamais accepté le rôle d’un Messie guerrier. Lors de la Cène, le Christ a parlé de la paix : d’abord après la promesse du Saint-Esprit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jean 14,27) ; puis après l’annonce de la trahison : « Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix » (Jn 16,33). Après sa Résurrection, lors de son apparition aux apôtres, il a dit : « La paix soit avec vous ! » (Luc 24:36 ; Jean 20:19). Jésus était un homme de paix. Mais pourquoi alors ces paroles sur la division, sur le glaive, refont-elles surface ?
Les livres sapientiaux de l’Ancien Testament enseignent qu’il existe un ordre éternel et divin des choses dans le monde, et que l’art de vivre consiste à reconnaître cet ordre et à le respecter par sa droiture. La droiture, à son tour, conduit au שָׁלוֹם [Shalom], mot traduit dans les langues européennes par paix. Mais, ce terme hébreu, dont les racines sont communes pour plusieurs langues sémitiques, possède un éventail de connotations plus larges, « entièreté », « complétion », « plénitude », « bien-être », « état parfait », « intégrité », « ordre ».
Dans la spiritualité orientale, la paix est indissociable de l’ordre intérieur, de la sainteté. La paix est incompatible avec le mal et le péché, qui sont la déviation de l’ordre. Pour cela, la paix de Dieu est le fruit d’un choix conscient de l’ordre divin, tant dans la sphère intérieure que dans la sphère extérieure. Peut-être Jésus appelle-t-il à un choix aussi radical avec les paroles sur la division, sur le glaive ; un choix radical de Dieu et de son ordre.
Il ne s’agit pas seulement de spiritualité orientale, mais aussi du Magistère catholique. Voici la première phrase de l’encyclique Pacem in Terris de Jean XXIII : « La paix sur la terre, objet du profond désir de l’humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s’affermir que dans le respect absolu de l’ordre établi par Dieu ». Soit, nous nous plaçons du côté de Dieu, dans son ordre, שָׁלוֹם, et par sa grâce nous triomphons du mal, soit ce mal resté invaincu laisse ses métastases se propager, ce qui provoque des divisions internes et nous déchire.
« Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché » (Hé 12,4). On parle beaucoup d’abus. On peut établir certaines analogies, même si elles sont un peu simplificatrices. Un candidat imaginaire, portant certaines blessures, une incomplétude, un manque de l’ordre interne, entre au séminaire avec de bonnes intentions. Mais, au lieu d’un travail intérieur, à cause d’un manque de discernement des formateurs, certains germes du désordre et du péché peuvent demeurer longuement cachés. Des métastases se développent et explosent, et voici les abus. Ce qui aurait pu et dû être guéri, a longtemps été voilé, a explosé causant beaucoup de mal et privant de la paix de nombreuses personnes.
