Dans le premier chapitre, Dei Verbum rappelle que l’Écriture Sainte, son interprétation et sa transmission naissent dans le sein du Père. Incarnée par le Fils, elle est vivifiée au sein de la communion ecclésiale par l’opération de l’Esprit Saint. Le père Michel Viot situe dans l’histoire de la théologie la réception de cette Révélation et l’articulation entre Écriture et Tradition.
Le texte du Concile que nous allons étudier ci-après se base sur la traduction du père G. Martelet, sj, publié aux éditions du Centurion (pages 123 et suivantes)
Les intertitres en italique sont ceux de la Constitution ; les autres cadencent la réflexion du père Viot.
Préambule
1. Il est important que celui-ci cite en premier la Parole de Dieu et qualifie les conséquences de l’écoute qu’il en fait. « Religieusement » et « la proclamant avec assurance » ce même Concile dès le début « fait sienne cette parole de saint Jean ». Mais on peut se demander pourquoi, avec une telle intention, il ne cite que les versets 2 et 3 de sa première épître : « Nous vous annonçons la vie éternelle, … qui nous est apparue, … afin que vous soyez en communion … avec le Père et avec son Fils… ». Le premier verset aurait dû être cité, car il donne plein sens aux deux suivants, et d’ailleurs à toute cette première lettre de l’apôtre. Tout ce texte, dont aucun exégète n’a jamais contesté l’origine johannique, est en effet rédigé contre la gnose.
Il commence par montrer la réalité de l’Incarnation, élément capital pour traiter de la révélation chrétienne. Il s’agit du Verbe de Dieu qui a été « fait chair », et non pas livre, je le répète, ce qui d’emblée va lier des écrits à certains hommes et poser la question de leur degré d’autorité. Ce premier verset dans la traduction de la TOB suit bien le texte grec : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie… ». Il explique complètement ce qui est cité par le texte conciliaire et justifie la démarche et l’autorité de ses Pères.
Confiée à des hommes
La révélation chrétienne est fondée sur le témoignage d’hommes choisis par Dieu. Ils ont reçu la grâce particulière de voir, d’entendre, et de toucher de leurs mains le Verbe de Dieu (affirmation qui s’oppose aux gnostiques), réellement fait homme. Et ces hommes qui ont reçu directement l’enseignement du Verbe sont les apôtres. Ils ont donc le pouvoir de les transmettre directement et seuls leurs écrits ont pu constituer des Écritures saintes constituant la Parole de Dieu. Ils prennent leur place à la suite des Écrits saints de l’Ancienne Alliance, ajoutant à l’Ancien Testament, le Nouveau : la Bible des chrétiens.
Les apôtres ont fait connaître cette nouvelle révélation à leur entourage et d’une manière particulière à leurs successeurs. Ce qui a eu pour résultat de les placer en communion avec eux, et ainsi d’étendre cette communion au Père et au Fils, par la puissance de l’Esprit. Ce sont effectivement les successeurs des apôtres qui ont reconnu l’apostolicité (directe ou indirecte) des écrits qui composent le Nouveau Testament, ce qui légitime leur pouvoir de transmission.
L’autorité du concile
En déclarant faire siennes les premières paroles de la première épître de Jean, le Concile se réclame donc de cette autorité apostolique. Et d’une manière logique, il inscrit sa démarche dans la suite des conciles de Trente et de Vatican I qu’il a parfaitement le droit de compléter. Nous pourrions même ajouter « le devoir », puisque déjà en leur temps nous avons vu que leurs réponses, tout en étant entachées d’aucune erreur, donnaient lieu à différentes interprétations. De fait, au cours du temps, celles-ci avaient été confrontées avec les progrès de la connaissance théologique. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que le concile Vatican Il « entend proposer la doctrine véritable sur la Révélation divine et sur sa transmission » : car cela ne veut absolument pas dire qu’auparavant il n’y avait pas de doctrine véritable.
Le Concile prend aussi en compte la déchristianisation du monde. Il cite à bon escient la catéchèse de saint Augustin pour les catéchumènes, à qui il faut faire « espérer le salut pour qu’ils l’aiment ». Voir son ouvrage De cathechizandis rudibus, écrit vers 400/405, dont le titre se traduit littéralement par : « de l’enseignement des ignorants ». Le préambule réaffirme donc bien la spécificité de l’autorité apostolique en invoquant en premier lieu l’Écriture Sainte. De par sa formulation, il annonce ainsi qu’il va considérer Écriture et Tradition comme inséparables et complémentaires.
Chapitre premier : La Révélation elle-même
2. C’est l’Incarnation, le Verbe fait chair, le Christ, qui permet aux hommes d’avoir accès à la Révélation ! Et le Concile nous renvoie à Ephésiens 1, 9 : « Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même ». Ajoutons le verset 10 : « … pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ». Ainsi le dessein bienveillant de Dieu pour les hommes ne « date » pas du moment de l’Incarnation, il est « d’avance arrêté en lui-même », autrement dit il est de toute éternité !
L’Incarnation constitue un plus dans la Révélation divine et un accomplissement. Cela signifie la plus grande proximité possible de l’humain et du divin. De là vont naître un plus grand amour et une plus grande amitié, puisque « le Dieu invisible s’adresse aux hommes … pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie ». Le texte renvoie à plusieurs passages du Nouveau Testament. D’où la nécessité pour l’Église de bien rappeler et manifester (dans la liturgie) que le baptême est à la fois mort et résurrection : Le Christ vit dans le baptisé, d’une vie qui doit croître, autant par une foi grandissante et affermie que par des sacrements correctement administrés et reçus. C’est l’illustration de l’affirmation conciliaire « Pareille économie de la Révélation comprend des événements et des paroles intimement unis entre eux ». La gloire de l’Église catholique provient donc bien de l’Incarnation qui fait d’elle « l’Église du « et » » : la foi et les œuvres, le Christ et l’Église, édifiée sur Pierre et ses successeurs, et dont la Bienheureuse Vierge Marie est la plus belle figure, comme première croyante, d’une fidélité constante et sans défaut.
Le Logos divin
3. Ce passage nous renvoie à un aspect de la théologie chrétienne trop souvent méconnu ou caricaturé : la révélation naturelle, ou encore la révélation dans les ordres de création. Il y a bien sûr le rappel classique de l’Épître aux Romains 1,19-20, mais aussi le renvoi au prologue de l’Évangile selon saint Jean, dont on ne tire pas toujours toutes les conséquences. Certes, les premiers versets de la Genèse nous révèlent bien que Dieu a créé par sa Parole. Et la racine hébraïque dabar a le double sens de parole et acte. Chez saint Jean, c’est le grec logos qui est employé. On ne peut ignorer son usage chez Platon et surtout chez Philon, Juif hellénisé (20 av. JC – 50 ap. JC), puis Plotin (204-270 ap. JC) qui influença saint Augustin. Le logos est lié à la création chez Philon et Plotin.
Quand saint Jean emploie ce terme en relation avec la création, il précise en 1, 3 « Tout fut par lui (le logos) et rien de ce qui fut ne fut sans lui ». Cette phrase, avec d’autres mots nous dit exactement la même chose que Saint Paul. Le logos divin ne fait pas que créer, il imprime un ordre divin dans le créé. Et comme ce logos est Dieu, tout en ayant sa spécificité (« tourné vers Dieu »), saint Jean se démarque de Philon et de Plotin et aussi des gnostiques. Puisqu’il il conçoit un ordre divin dans la matière créée, il peut ainsi, tout comme saint Paul, présenter son développement comme une suite logique des vieilles conceptions juives de la création. Y compris leur accomplissement-éclaircissement, et ce pour tous les hommes et non plus pour un seul peuple. La nouvelle Alliance apparaît ainsi comme l’accomplissement de la première.
4. Aussi est-ce tout naturellement que se fait l’enchaînement par la célèbre citation de l’Épître aux Hébreux 1, 1-2. Le Fils est envoyé par le Père pour achever une œuvre de salut déjà commencée. Le voir, c’est voir le Père (cf. Jean 14, 9). Il « achève en la complétant la révélation, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle. » Il n’est pas inutile de rappeler que ce paragraphe se conclut par cette affirmation « aucune nouvelle révélation publique n’est dès lors à attendre avant la manifestation glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ (cf. 1 Tim. 6, 14 et Tite 2, 13). »
Accueil de la Révélation par la foi
5. Pour ce qui concerne l’accueil de la foi, le Concile se réfère à la constitution dogmatique Dei Filius de Vatican I (24 avril 1870). Au chapitre III, il avait affirmé : « Puisque l’homme dépend tout entier de Dieu comme de son Créateur et Seigneur, puisque la raison créée est absolument sujette de la vérité incréée, nous sommes tenus de rendre par la foi à Dieu révélateur l’hommage complet de notre intelligence et de notre volonté. » (Denzinger 3008). L’assentiment volontaire à la Révélation est précisé deux paragraphes plus loin (Denzinger 3010), référence faite au 2e concile d’Orange, 529. Ce Concile condamna l’hérésie du semi-pélagianisme, canon 7 :
« Si quelqu’un affirme qu’il peut par la seule force de la nature concevoir, comme il convient, une bonne pensée touchant le salut de la vie éternelle, ou la choisir ou donner son assentiment à la prédication de salut de l’Évangile, sans l’illumination et l’inspiration du Saint Esprit qui donne à tous son onction quand ils adhèrent et croient à la vérité, il est trompé par un esprit d’hérésie et ne comprend pas la parole que Dieu a dite dans l’Évangile « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jean 5,5), ni ce mot de l’apôtre « Ce n’est pas que nous soyons par nous-mêmes capables de concevoir quelque chose comme venant de nous, mais c’est de Dieu que nous vient notre capacité » (2 Cor 3,5). »
Et Dei Filius de réaffirmer : « C’est pourquoi la foi en elle-même, même si elle n’opère pas la charité, est un don de Dieu ; et l’acte de foi est une œuvre salutaire, par laquelle l’homme offre à Dieu lui-même sa libre obéissance en acquiesçant et en coopérant à la grâce à laquelle il pouvait résister. » (Ibid.) Ajoutons qu’on doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu, écrite ou transmise par la Tradition, et que l’Église propose à croire comme divinement révélé, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel ».
Connaissance naturelle de Dieu
6. Pour la connaissance naturelle de Dieu, le concile se réfère encore à Dei Filius, chapitre II. Il commence par citer la Lettre aux Hébreux 1,1-12 sur l’achèvement de la révélation par l’envoi du Fils. Celui-ci en effet lui avait donné sa dimension universelle et permis à tous les hommes de la recevoir. Vatican I qu’imitera Vatican II, continue ainsi son raisonnement : « Cependant, ce n’est pas à cause de cela, que l’on doit dire la révélation absolument nécessaire, mais c’est parce que Dieu, dans sa bonté infinie, a élevé l’homme à une fin surnaturelle, c’est à dire pour le mettre en état de participer aux biens divins qui surpassent tout à fait l’intelligence de l’homme… »
Un peu plus loin, le texte reprendra à son compte le concile de Trente en affirmant : « cette révélation surnaturelle … est contenue dans les livres écrits et dans les traditions non écrites qui, reçues de la bouche de Jésus-Christ même par les apôtres, sous l’inspiration du Saint Esprit, sont venues jusqu’à nous ». (Denz. 3004 et 3005). Et à la suite de Trente et de Vatican I, Dei Verbum reproduit ici l’enseignement de Dei Filius : « Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses crées » (cf. Rom. 1, 20).