Ce matin, après avoir célébré la sainte messe en privé, le Saint-Père s’est rendu en voiture au Palais présidentiel Istana Merdeka pour la cérémonie de bienvenue en Indonésie et la visite de courtoisie au Président indonésien.
À son arrivée, le pape est accueilli par le président de la République d’Indonésie, S.E. M. Joko Widodo. Un groupe d’enfants exécute une danse de bienvenue. Après la garde d’honneur, l’exécution des hymnes et l’honneur des drapeaux, la présentation des délégations respectives a lieu. À la fin, le président de la République et le pape se rendent dans la salle des lettres de créance pour la signature du livre d’honneur et la photo officielle, puis dans la véranda pour l’entretien privé. Le Saint-Père et le président se rendent ensuite au Palais présidentiel Istana Negara pour la rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique.
Voici le discours que le Saint-Père leur a adressé.
Monsieur le Président,
distinguées Autorités,
Éminences,
Chers évêques,
illustres Représentant des communautés religieuses et des différentes religions,
illustres Représentants de la société civile,
Membres du Corps Diplomatique,
Je vous remercie cordialement, Monsieur le Président, pour votre aimable invitation à visiter le pays et pour vos courtoises paroles de bienvenue. J’adresse au Président élu mes vœux les plus chaleureux pour un travail fructueux au service de l’Indonésie, un vaste archipel de milliers d’îles baignées par la mer qui relie l’Asie à l’Océanie.
On pourrait presqu’affirmer que, tout comme l’océan est l’élément naturel qui unit toutes les îles indonésiennes, de même le respect mutuel des spécificités culturelles, ethniques, linguistiques et religieuses de tous les groupes humains qui composent l’Indonésie est le tissu conjonctif qui rend le peuple indonésien uni et fier.
Votre devise nationale, “Bhinneka tunggal ika” (“Unis dans la diversité”, littéralement “Plusieurs, mais un”) exprime bien cette réalité multiforme de peuples différents, fermement unis dans une même nation. Et elle montre aussi que, comme la grande biodiversité présente dans cet archipel est source de richesse et de splendeur, de façon analogique, les différences spécifiques contribuent à former une mosaïque magnifique dont chaque pièce est un élément irremplaçable dans la composition d’une grande œuvre originale et précieuse. Et c’est là votre trésor, c’est là votre plus grande richesse.
L’harmonie dans le respect de la diversité est obtenue lorsque chaque vision particulière tient compte des besoins communs et lorsque chaque groupe ethnique et chaque confession religieuse agissent dans un esprit de fraternité, en poursuivant le noble objectif de servir le bien de tous. La conscience de participer à une histoire commune, dans laquelle chacun apporte sa contribution et où la solidarité de chaque partie envers le tout est fondamentale, aide à identifier les bonnes solutions, à éviter l’exaspération des contrastes et à transformer l’opposition en une collaboration efficace.
Cet équilibre sage et délicat, entre la multiplicité des cultures ou des différentes visions idéologiques et les raisons qui cimentent l’unité, doit être continuellement défendu contre tout déséquilibre. Il s’agit d’un travail artisanal, je le répète, d’un travail artisanal confié à tous, mais d’une manière particulière à l’action politique, lorsqu’elle a pour objectif l’harmonie, l’équité, le respect des droits fondamentaux de l’être humain, le développement durable, la solidarité et la recherche de la paix, tant au sein de la société qu’avec les autres peuples et nations. D’où la grandeur de la politique. Un sage a dit que la politique est la forme la plus élevée de la charité. C’est très beau.
Afin de favoriser une harmonie pacifique et constructive qui garantisse la paix et unisse les forces pour vaincre les déséquilibres et les poches de misère qui persistent encore dans certaines régions, l’Église souhaite renforcer le dialogue interreligieux. De cette manière, on pourra éliminer les préjugés et faire croître un climat de respect mutuel et de confiance. Ce qui est indispensable pour affronter les défis communs, dont celui de contrecarrer l’extrémisme et l’intolérance, lesquels – en déformant la religion – tentent de s’imposer en se servant de la supercherie et de la violence. Au contraire, la proximité, l’écoute de l’opinion des autres, cela crée la fraternité d’une nation. Et c’est une très belle chose, très belle.
L’Église catholique se met au service du bien commun et souhaite renforcer la collaboration avec les institutions publiques ou les autres acteurs de la société civile, sans jamais faire de prosélytisme, jamais ; elle respecte la foi de chacun. Ce faisant, elle encourage la formation d’un tissu social plus équilibré et d’assurer une distribution plus efficace et plus équitable de l’aide sociale.
Permettez-moi maintenant de faire une référence au Préambule de votre Constitution de 1945, qui offre de précieuses indications sur la direction du chemin que l’Indonésie démocratique et indépendante a choisi. Et c’est une très belle histoire ; quand on la lit, on voit que c’était le choix de tout le monde.
À deux reprises, en quelques lignes, le Préambule fait référence à Dieu tout-puissant et à la nécessité que sa bénédiction descende sur l’État indonésien naissant. De même, le texte qui ouvre votre Loi fondamentale traite à deux reprises de la justice sociale, en souhaitant que s’instaure un ordre international fondé sur celle-ci, considérée comme l’un des principaux objectifs à atteindre pour le bénéfice de l’ensemble du peuple indonésien.
L’unité dans la multiplicité, la justice sociale, la bénédiction divine sont donc les principes fondamentaux, destinés à inspirer et à orienter les programmes spécifiques, ils sont comme la structure porteuse, la base solide sur laquelle on construit la maison. Et comment ne pas remarquer que ces principes s’accordent très bien avec la devise de ma visite en Indonésie : « Foi, fraternité, compassion » ?
Malheureusement, dans le monde d’aujourd’hui, il existe en revanche des tendances qui empêchent le développement de la fraternité universelle (cf. Lett. enc. Fratelli tutti, n. 9). Dans diverses régions, on assiste à l’émergence de conflits violents, qui sont souvent le résultat d’un manque de respect mutuel, d’une volonté intolérante de faire prévaloir à tout prix ses intérêts, sa position ou son récit historique partiel, même si cela entraîne des souffrances infinies pour des communautés entières et débouche sur de véritables guerres sanglantes.
Parfois, des tensions violentes se développent au sein des États, parce que ceux qui détiennent le pouvoir voudraient tout uniformiser, imposant leur vision, même dans des domaines qui devraient être laissés à l’autonomie des individus ou des groupes.
D’autre part, malgré des déclarations politiques convaincantes, il existe de nombreuses situations où manque un engagement effectif et clairvoyant en faveur de la construction de la justice sociale. C’est pourquoi, une partie considérable de l’humanité est laissée en marge, sans les moyens pour une existence digne et sans défense pour faire face à des déséquilibres sociaux sévères et croissants, qui déclenchent de graves conflits. Et comment résout-on cela ? Par une loi de mort, c’est-à-dire en limitant les naissances, en limitant la plus grande richesse d’un pays, c’est-à-dire les naissances. Votre pays, en revanche, compte des familles de trois, quatre ou cinq enfants. Et cela se voit dans le niveau d’âge du pays. Continuez ainsi. C’est un exemple pour tous les pays. Peut-être que c’est drôle, peut-être que certaines familles préfèrent avoir un chat, un petit chien, et pas un enfant. Ce n’est pas normal.
Dans d’autres contextes, au contraire, on croit pouvoir ou devoir ne pas tenir compte de la recherche de la bénédiction de Dieu, la jugeant superflue pour l’être humain et la société civile qui devraient être promus par leurs propres efforts, mais qui, ce faisant, se heurtent souvent à la frustration et à l’échec. À l’opposé, il y a des cas où la foi en Dieu est continuellement mise au premier plan, mais souvent pour être malheureusement manipulée et pour servir, non pas à construire la paix, la communion, le dialogue, le respect, la collaboration, la fraternité, la construction du pays mais à fomenter des divisions et la haine.
Frères et sœurs, en face de ces ombres, il est réjouissant de constater combien la philosophie qui inspire l’organisation de l’État indonésien fait preuve de sagesse et d’équilibre. À cet égard, je fais miennes les paroles de saint Jean-Paul II dans ce même Palais, lors de sa visite en 1989. Il a notamment déclaré : « En reconnaissant la présence d’une diversité légitime, en respectant les droits humains et politiques de tous les citoyens et en promouvant la croissance de l’unité nationale fondée sur la tolérance et le respect des autres, vous posez les fondements de cette société juste et pacifique que tous les Indonésiens désirent pour eux-mêmes et qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants. » (Discours au Président de la République indonésienne et aux Autorités, Djakarta, 9 octobre 1989)
Même si parfois, au cours des événements historiques, les principes inspirateurs rappelés ci-dessus n’ont pas toujours eu la force de s’imposer en toutes circonstances, ils restent valables et fiables comme un phare qui indique la direction à prendre et avertit des erreurs les plus dangereuses à éviter.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
je souhaite que chacun, dans son action quotidienne, sache s’inspirer de ces principes et les rendre effectifs dans l’exercice ordinaire de ses devoirs respectifs, car opus justitiae pax, la paix est le fruit de la justice. En effet, l’harmonie est obtenue lorsque chacun s’engage non seulement pour ses propres intérêts ou sa propre vision, mais en vue du bien de tous, à construire des ponts, à favoriser les accords et les synergies, à unir les forces dans l’intention de vaincre toutes les formes de misère morale, économique et sociale, et de promouvoir la paix et la concorde.
Chers frères et sœurs, poursuivez votre chemin, qui est si beau et si juste. Je donne ainsi ma bénédiction à tout le peuple : que Dieu bénisse l’Indonésie de sa paix, pour un avenir plein d’espérance. Dieu vous bénisse tous !