Le pape François a quitté le Vatican pour un voyage apostolique d’une dizaine de jours vers l’Extrême-Orient, en quatre étapes distinctes, avec de multiples rendez-vous spirituels et historiques entre le Saint-Père et les populations indonésienne, papouasienne, est-timoraise et singapourienne. Ce voyage exceptionnel à maints égards est attendu impatiemment à Jakarta, première étape du voyage, dont on esquissera ici les grands traits, les attentes et les enjeux.
Les habitants de l’hyperactive capitale de l’État aux 18 000 îles (4e population au monde et premier pays musulman par le nombre de fidèles) seront les témoins privilégiés de la venue du Saint-Père et de son message de tolérance, d’unité et de paix.
Le premier voyage apostolique du pape François dans ces anciennes Indes orientales néerlandaises se matérialise avec un retard bien involontaire, le Saint-Père ayant été invité par les autorités indonésiennes (président Joko Widodo) dès 2020. Mais la pandémie de Covid-19 a forcé le Vatican à reprogrammer ce voyage, qui constitue le 45e déplacement à l’étranger du chef de l’Église catholique (l’Indonésie sera le 66e pays visité par le pape depuis 2013).
Le séjour indonésien s’étire du 3 au 6 septembre, avec un agenda minuté et très fourni, intégralement consacré à divers grands rendez-vous programmés dans la capitale : visite de courtoisie au président de la république en exercice Joko Widodo (Palais présidentiel Istana Merdeka), rencontre privée avec les membres de la compagnie de Jésus (à la nonciature apostolique), rencontre avec les évêques, les prêtres et les diacres (dans la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption), rencontre interreligieuse (dans la mosquée Istiqlal), et enfin, une messe au stade Gelora Bung Karno, à laquelle assisteront plusieurs dizaines de milliers de fidèles.
Cette visite papale exceptionnelle – la 3e en Indonésie, après celle effectuée par son prédécesseur Paul VI un demi-siècle plus tôt (1970), puis celle de Jean-Paul II il y a 35 ans (1989) – s’articule, selon les autorités spirituelles de ce pays aux cinq religions officielles (bouddhisme, catholicisme, hindouisme, islam et protestantisme, sans compter le confucianisme et environ 200 croyances traditionnelles), autour des thématiques de foi et de compassion (The Jakarta Post, 30 mai 2024).
Cité le 24 juillet dernier par la Antara news agency, Michael Trias Kuncahyono, ambassadeur indonésien près le Saint-Siège, explique que « le Pape François met l’accent sur la fraternité et la promeut, et il considère en cela l’Indonésie comme un exemple […]. Ce sera donc le premier objectif de la visite du pape en Indonésie ». Il ajoute que « le pape François a exprimé son admiration pour la ‘Pancasila’ (ndlr : la philosophie de l’État indonésien depuis 1954 ; du sanskrit ‘panca’, ‘cinq’, et ‘sila’, ‘précepte’) et il en a fait l’éloge ». Ces cinq préceptes ou principes sont la croyance en un Dieu unique ; l’humanité juste et civilisée ; l’unité du pays ; la démocratie guidée par la sagesse ; et enfin la justice sociale.
Un engouement qui dépasse la communauté catholique
Le séjour à venir du pape dans la capitale indonésienne suscite un engouement sincère, non pas uniquement auprès de la communauté catholique ou des autorités politiques, mais également auprès des responsables des principales organisations islamiques d’Indonésie. Celles-ci ont exprimé leur enthousiasme à plusieurs reprises quant à cette visite perçue comme une « occasion spéciale pour renforcer la confiance et l’harmonie entre les communautés religieuses. Nous accueillons cette visite avec joie », a déclaré Ulil Abshar Abdalla, un des dirigeants de la Nahdlatul Ulama(« renaissance des oulémas »). Cette organisation religieuse officielle représente l’islam traditionnel indonésien, revendiquant quelque 80 millions de fidèles.
En amont de la venue du pape à Jakarta, le président indonésien Joko Widodo a inauguré ce mois-ci le Terowongan Silahturahmi, un « tunnel fraternel » de 28 mètres de long reliant la mosquée Istiqlal – la plus grande d’Asie du Sud-Est – et la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption Ces deux bâtiments emblématiques du patrimoine culturel et religieux indonésien sont situés en face l’un de l’autre et séparés par une voie rapide. Le programme officiel du pape François prévoit également, le 5 septembre, une rencontre interreligieuse dans la mosquée Istiqlal ; nul doute que les autorités religieuses et politiques du pays hôte seraient plus qu’honorées par la présence du Saint-Père en ce tunnel si symbolique.
Un contexte politique national tendu
Une kyrielle d’événements politiques plus ou moins importants pour les autorités du pays hôte borde la visite papale de septembre. Le 17 août, la République d’Indonésie a célébré le 79e anniversaire de son indépendance. Deux mois plus tard, courant octobre, l’Indonésie tournera la page Joko Widodo (au pouvoir depuis 2014). Un nouveau chef de l’Etat prendra ses fonctions, l’actuel ministre de la Défense Prabowo Subianto (devenant le 3e président indonésien issu des rangs de l’armée). Enfin, le mois suivant (en novembre, soit 7 mois à peine après les élections générales), des élections régionales convieront à nouveau aux urnes les 193 millions d’individus inscrits sur les listes électorales.
Un agenda pour le moins politiquement chargé pour cette puissance émergente du Sud-Est asiatique, aujourd’hui 16e économie mondiale (6e économie d’Asie), membre fondateur de l’ASEAN (dont elle assura la présidence en 2023) et membre du G20 (qu’elle présida en 2022). Rien qui n’appelle bien entendu de remarque particulière sur ces divers rendez-vous de politique intérieure.
La part du « doute » (sur la gouvernance présidentielle à venir)
En revanche, que faudrait-il penser, sur un registre moins spirituel mais plus géopolitique et sujet à débat, de la très récente (fin juillet) visite à Moscou du futur président indonésien Prabowo Subianto, lequel assura aux autorités moscovites que son administration (une fois installée) conserverait des rapports étroits avec le Kremlin, appelant notamment à une coopération renforcée en matière de défense, d’énergie et d’éducation. Avant de conclure : « Nous considérons la Russie comme un grand ami » (The Straits Times, 1er août 2024).
Un « faux pas » du futur chef de l’État qui en dit peut-être déjà long sur la gouvernance à venir de cet ancien général ; une erreur que n’aurait certainement pas commise le président sortant Joko Widodo, au verbe plus mesuré (entre autres qualités) et au sens politique établi.
De quoi légitimement interpeller les observateurs, notamment lorsqu’on se rappelle que la politique étrangère « libre et active » de l’Indonésie est historiquement guidée par « la volonté de maintenir la paix et la stabilité régionale en renforçant la coopération » (selon le site Internet du ministère français des Affaires étrangères) et en privilégiant le dialogue pour régler les différends.
(Ad Extra, par Olivier Guillard)
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