Statue de saint Pierre, cathédrale de Westminster © wikimedia

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Entre continuité et discontinuité, Vatican II relu 60 ans plus tard

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Unitatis redintegratio, un décret attendu sur l’œcuménisme (deuxième partie)

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Les tentatives de rapprochement destinées à rétablir l’unité des chrétiens ont une histoire qui traverse les siècles. À vue humaine, l’entreprise semble irréalisable. Marquées cependant par la foi de l’Église, les recommandations des pères conciliaires se base sur une vue d’ensemble des évolutions. L’étude ci-dessous présente une progression ininterrompue vers la pleine communion, malgré les obstacles qui semblent faire échouer le projet.

L’entrée en dialogue

Le § 4, intitulé « de l’œcuménisme », m’a frappé dès que j’en ai eu connaissance. Et je dois le dire, il m’émeut toujours parce que j’ai eu la grâce, avec d’autres, de vivre ce qu’il préconise : il encourage « En premier lieu, tout effort accompli pour éliminer les paroles, les jugements et les faits qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation des frères séparés et contribuent ainsi à rendre plus difficiles les relations avec eux. » Il faut bien comprendre ce qui est demandé ici. Le Concile n’encourage nullement je ne sais quelles « mondanités ecclésiastiques », évitant les sujets qui fâchent ou présentant ceux-ci d’une manière déformée, allant jusqu’à masquer leur vérité. 

Il faut, par exemple, que le chrétien catholique fasse l’effort de pouvoir formuler ce que croit le chrétien luthérien. Que dit-il de la présence du Corps du Christ dans l’Eucharistie ? Et ce dernier en l’entendant peut-il y reconnaître ce en quoi il croit effectivement ? Et inversement, il faut aussi exiger du chrétien luthérien d’exprimer sa compréhension de l’Immaculée Conception, telle que le Magistère l’enseigne. Un catholique devra pouvoir y reconnaître sa foi. Pour être clair, il est nécessaire que les chrétiens appartenant à des Églises ou communautés ecclésiales 6séparées fassent l’effort de comprendre avec exactitude ce que croit l’autre. 

Je fais partie d’une génération qui a vécu la période antéconciliaire. J’étais jeune certes, mais suffisamment intéressé par les questions de foi pour me souvenir qu’on était bien loin de cet état d’esprit. Avant le Concile, pendant et même après, jusqu’à aujourd’hui même tant de pratiquants catholiques et protestants tardent à comprendre le dialogue. Surtout ceux qui continuent à voir dans Vatican II une trahison du catholicisme. Sur cette question particulière de l’œcuménisme ils invoquent des arguments qui doivent être pris en considération. L’encyclique qu’ils mettent en avant, Mortalium animos du Pape Pie XI (6 janvier 1928) développe plusieurs arguments contre les discussions œcuméniques. Ce texte doit être relu avec sérieux, autrement dit, qu’on s’y réfère comme on le fait pour l’Ecriture Sainte. Que l’on se garde de toute interprétation littérale qui ne tiendrait pas compte de la date de ce texte. 

Le ministère d’unité 

Tout d’abord, je rappelle que les papes se sont généralement méfiés d’assemblées composées de catholiques et de non-catholiques. Réunies en dehors de leur autorité pour retrouver l’unité chrétienne, elles se privent d’un élément essentiel : l’institution sacrée du ministère d’unité. Les réticences pontificales sont donc justifiées, puisque cette tâche est une des prérogatives du Successeur de Pierre. Ainsi pour ne prendre que le 16e siècle, le Saint-Siège n’approuva jamais les initiatives de Charles Quint et de Catherine de Médicis pour résorber le schisme protestant dans leurs royaumes. On craignait à juste titre des atteintes au dogme et la création d’Églises d’État. 

De plus, la fin du 19e siècle comme le début du 20e ont été marqués dans le catholicisme par la crise moderniste. Et dans le protestantisme se produisit un affrontement entre le libéralisme et l’orthodoxie confessionnelle, engendrant un certain piétisme. Le libéralisme protestant contestait les dogmes, relativisait l’autorité de l’Écriture et ses opposants revenaient aux polémiques confessionnelles du 16e siècle. L’ensemble constituait un climat peu propice à un dialogue œcuménique serein. 

Les « conversations de Malines »

Sans « remonter au déluge », je ne me référerai qu’aux dernières « conversations de Malines » (1921-1925). Commencées en réalité dès le pontificat de Léon XIII, elles s’arrêtèrent en 1896, quand le pape déclara non valides les ordinations anglicanes. Le père Portal, lazariste français, et Lord Halifax, anglican désireux de réconcilier son « Église » avec Rome, en avaient été à l’origine sous ce précédent pontificat. Ils étaient toujours vivants quand la conférence de Lambeth, réunissant en 1920 les évêques anglicans, décida de se mettre à la disposition d’autres protestants pour reprendre le dialogue avec Rome. Ils allaient jusqu’à envisager la possibilité de réordinations. 

Le père Portal se tourna vers le cardinal Mercier, archevêque de Malines, qui mit au courant le pape Benoit XV. Ce dernier ne le découragea pas, bien au contraire, mais ne donna pas de mission officielle. Le cardinal organisa tout de même des rencontres, grâce à Portal et Halifax, et l’archevêque de Cantorbéry envoya ses représentants. À la mort de Benoît XV, le 22 janvier 1922, le cardinal Mercier se rendit à Rome pour le conclave et parla de son initiative au nouveau pape Pie XI qui l’encouragea. 

Dans le vif du sujet

Ainsi, du 6 au 8 décembre 1921 purent avoir lieu à Malines des discussions sur les sacrements. On y confronta les 39 articles fondateurs de la réforme anglicane et les décrets du concile de Trente. Sans entrer ici dans les détails, je puis déjà dire que ces pourparlers n’étaient pas bien vus des autorités locales. Ni par l’épiscopat catholique anglaise, ni par la partie très protestante de l’anglicanisme. 

Une lettre du cardinal secrétaire d’État du 30 mars 1923 montre cependant que l’union était envisagée sous une forme analogue à celle des patriarcats orientaux. Rome tenait à ce que ces conversations demeurassent du domaine privé. Alors que les anglicans, tout comme le cardinal Mercier, auraient souhaité en arriver à un stade plus officiel, Pie XI refusa. Il savait en effet que la question de la primauté romaine faisait le plus de difficultés. On se préparait aussi à donner une suite au premier concile du Vatican. Interrompu en 1870, il n’avait pas eu le temps de statuer sur le pouvoir des évêques. De plus on présenta à Rome un projet de patriarcat anglican, laissant à l’archevêque de Canterbury une très large autonomie qu’on faisait remonter à Augustin de Canterbury. 

La conférence de Stockholm

Arriva la conférence de Stockholm de1925, à laquelle participait l’Église d’Angleterre. Or, celle-ci laissa apparaître une montée en puissance du libéralisme. Au même moment, l’union avec l’orthodoxie apparaissait de nouveau compromise. Relevons aussi que cette conférence internationale suédoise avait été réunie par Nathan Söderblom, archevêque d’Uppsala. En tant que primat luthérien de Suède, il pouvait attester d’une succession apostolique historique. Brillant intellectuel il recevra le prix Nobel de la paix en 1930. 

Cette conférence voulait commémorer le concile de Nicée, dont la chrétienté célébrait le 1600e anniversaire. Pie XI avait refusé la participation de l’Église catholique, qui aurait signifié qu’elle se plaçait au même rang que les autres, chose impossible et qui nous amène au cœur du problème. Par ailleurs Söderblom avait dès 1909 instauré l’intercommunion avec les anglicans et inauguré dès 1920 des participations anglicano-suédoises aux consécrations épiscopales. On peut imaginer alors pourquoi à partir de 1925 la politique de Pie XI se modifia vis-à-vis des conversations de Malines. Il y mit fin, l’année suivante, en 1926, à la mort du cardinal Mercier. 

L’encyclique Mortalium animos doit donc être replacée dans ce contexte. L’assemblée de Stockholm avait comporté de plus, des non-chrétiens et l’on avait ainsi mélangé l’interreligieux à l’œcuménisme. Ce qui constitue une erreur fondamentale. Il faut toujours s’en souvenir ! C’est d’ailleurs logiquement la première critique de Pie XI : « ils invitent tous les hommes indistinctement, les infidèles de tout genre comme les fidèles du Christ, et même ceux qui, par malheur, se sont séparés du Christ ou qui, avec âpreté et obstination, nient la divinité de sa nature et de sa mission. » Ensuite, le pape va indiquer quel chemin doit être suivi pour retrouver l’unité chrétienne, le seul possible. Il faut d’abord « croire sans réserve à Dieu qui parle et obéir totalement à Dieu qui commande.  

Un double devoir

« Pour que nous remplissions convenablement ce double devoir en vue de la gloire de Dieu et de notre salut, le Fils unique de Dieu a établi sur terre son Église … Or, en vérité, son Église, le Christ Notre Seigneur l’a établie en société parfaite, extérieure par nature et perceptible aux sens, avec la mission de continuer dans l’avenir l’œuvre de salut du genre humain, sous la conduite d’un seul chef (Matthieu 16, 18… etc.) … Il est par conséquent, impossible, non seulement que l’Église ne subsiste aujourd’hui et toujours, mais aussi qu’elle ne subsiste pas absolument la même qu’aux temps apostoliques. » 

Et le Pape de dénoncer l’erreur de base de ceux qu’il appelle les « panchrétiens » : « Ils soutiennent, en effet, que l’unité de foi et de gouvernement, caractéristique de la véritable et unique Église du Christ, n’a presque jamais existé jusqu’à présent et n’existe pas aujourd’hui ; … ils ajoutent que l’Église, en elle-même, de sa nature, est divisée en parties, c’est à dire constituée de très nombreuses Églises ou communautés particulières, encore séparées, qui, malgré quelques principes communs de doctrine, diffèrent pour tout le reste ; que chaque Église jouit de droits parfaitement identiques. » 

Certes les initiateurs des conversations de Malines ne prétendaient pas cela. Ils voulaient en effet maintenir le caractère privé pour leur entreprise. Le cardinal Mercier ne peut en aucun cas être tenu pour suspect de telles intentions. Mais il y avait certainement des manques dans ses connaissances historiques. Par exemple, on ne peut prétendre « discuter » avec l’anglicanisme en ne se basant que sur les 39 articles de 1563 retenus à Stockholm compromis « à l’anglaise » avec les 42 articles de 1552 du règne d’Edouard VI. Ce dernier avait produit un texte calviniste qu’Elisabeth 1re avait refusé à son accession au trône en 1558, au profit d’un protestantisme modéré. 

La division des chrétiens dans sa globalité

Cela nous ramène à l’encyclique de Pie XI. Quand il écrit par exemple « Il faut – disent-ils (Pie XI parle des « panchrétiens ») – négliger et écarter les controverses même les plus anciennes et les divergences de doctrine qui déchirent encore aujourd’hui le monde chrétien, et, au moyen des autres vérités doctrinales, constituer et proposer une certaine règle de foi commune… », il vise l’esprit qui a présidé à la rédaction des 39 articles. Ce qui pouvait se comprendre pour l’élaboration d’un texte d’accord temporaire pour un pays déchiré par de multiples querelles religieuses. De fait, plusieurs formes de protestantismes s’affrontaient en Angleterre face au catholicisme. Mais un tel décret était absolument inadmissible pour des discussions œcuméniques internationales qui devaient prendre en compte l’état de la situation chrétienne dans sa globalité. Il s’agissait de l’être même de l’Église catholique et des exigences du confessionalisme protestant opposé aux libéraux. 

Or Pie XI relève bien que le ministère de primauté qu’il exerce comme Successeur de Pierre est plus que contesté. Il est carrément rejeté par les uns et interprété de toutes sortes de façon par d’autres. Quand le pape écrit « ils affirment qu’ils traiteront volontiers avec l’Église romaine, mais à droits égaux, c’est à dire en égaux avec un égal… », il décrit très exactement l’erreur des non-catholiques et aussi des catholiques qui entreprennent un dialogue œcuménique dans un pareil état d’esprit. 

Et il poursuit pour démontrer que la bonne intention de promouvoir ainsi la charité ne saurait suffire : « Comment, dès lors, concevoir la légitimité d’une sorte de pacte chrétien, dont les adhérents, même dans les questions de foi, garderaient chacun leur manière particulière de penser et de juger, alors même qu’elle serait en contradiction avec celles des autres ? … Par exemple, au sujet de la sainte Tradition, ceux qui affirment qu’elle est une source authentique de la Révélation et ceux qui le nient … ». Et le Saint-Père de continuer avec des exemples théologiques de grandes controverses entre différentes confessions chrétiennes. 

Impasses et nouvelles initiatives 

Arrive ensuite l’explication du refus d’envisager une telle « Église » qui admettrait en son sein des croyances contradictoires : « En revanche, nous savons très bien que, par-là, une étape est facilement franchie vers la négligence de la religion ou indifférentisme et vers ce qu’on nomme le modernisme, dont les malheureuses victimes soutiennent que la vérité des dogmes n’est pas absolue mais relative, c’est à dire qu’elle s’adapte aux besoins changeants des époques et des lieux… ». Le pape s’élève ensuite contre une distinction entre dogmes importants et moins importants. Ce qui résulterait de l’admission d’une hiérarchie de vérités est impensable dans le catholicisme. L’unité n’est concevable que par le retour des frères séparés à la seule Église dont Pierre assure l’unité. 

Il est intéressant de voir que c’est l’abbé Paul Couturier, lazariste, qui a repris le flambeau de l’œcuménisme. Sensibilisé dès 1917 à l’orthodoxie par des réfugiés russes, il effectua une retraite en 1932 chez les bénédictins d’Amay en Belgique. Il y connut les textes du cardinal Mercier et de ses collaborateurs. En 1933, il organise un triduum de prière pour l’unité des chrétiens. Puis il y consacre une semaine, du 18 au 25 janvier 1934, à Lyon, exclusivement pour les catholiques. C’est l’année suivante, en 1935, qu’elle sera ouverte aux non-catholiques pour demander « l’unité que Dieu voudra, par les moyens qu’il voudra ». En 1936, il crée le groupe des Dombes, réunissant des théologiens catholiques et protestants. Ils travaillent avec compétence sur les sujets de division et produisent toujours des textes intéressants, parce que non syncrétistes et ne dissimulant jamais les difficultés. 

À l’origine du présent décret conciliaire 

C’est précisément cet état d’esprit qui a permis l’élaboration du décret sur l’œcuménisme de Vatican II et l’invitation par le pape, Jean XXIII puis Paul VI, d’observateurs non catholiques. Ils ne prirent pas la parole publiquement au cours du Concile, mais purent s’entretenir librement avec les pères conciliaires, hors assemblée, et même avec le pape. J’en ai eu le témoignage direct par mon maître Oscar Cullmann, professeur de Nouveau Testament, de renommée internationale, invité personnel des deux papes. Il y fit en outre la connaissance de celui qui était à l’époque le professeur Joseph Ratzinger, expert au service du cardinal Joseph Frings, archevêque de Cologne. Il me vanta l’intelligence et la culture du jeune expert, me disant en 1965 « qu’il irait loin ». 

J’ajoute que le professeur Cullmann avait fait paraître un livre qui avait fait beaucoup de bruit : je m’en suis rendu compte en 1962 en commençant mes études de théologie, puisque j’allais l’avoir comme professeur Saint Pierre, disciple, apôtre, martyr, aux éditions Delachaux et Niestlé, 1952. C’était la première fois depuis la Réforme protestante du 16e siècle qu’un exégète luthérien reconnaissait la primauté de Pierre dans le texte du chapitre 16 de l’Évangile selon saint Matthieu. Il n’en déduisit pas pour autant la possibilité de transmission, mais il sera suivi par d’autres. C’était certes insuffisant du point de vue catholique, mais marquait un état d’esprit bien différent de celui de 1925, qui a motivé l’encyclique de 1928.

Unité inamissible de l’Église

Et cette présence des observateurs non-catholiques n’a pas empêché le Concile de reprendre la précision de Pie XI en 1928 et d’affirmer : « Cette unité, le Christ l’a accordée à son Église dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inamissible dans l’Église catholique et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. » Et quand les catholiques sont exhortés à regarder du côté de leurs frères chrétiens séparés, le Concile fait bien la différence entre l’Église catholique, qui demeure parfaite de par son institution même, et ses membres, qui eux doivent toujours se perfectionner. « Heureuse distinction » que de nombreux catholiques donnent l’impression d’oublier ! 

Et quand le Concile évoque les valeurs chrétiennes à propos des frères séparés, il écrit très précisément : « Il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source au commun patrimoine et qui se retrouvent chez nos frères séparés. » (§ 4) Attention donc de ne pas placer dans le commun patrimoine des éléments qui lui sont étrangers. Comme, par exemple, l’ordination de femmes aux ministères sacrés de succession apostolique, qui est une innovation protestante moderne. Ou encore de lire dans ce texte quelque nouveau charme que l’Église catholique viendrait découvrir chez des chrétiens non-catholiques !

 

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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