Représentant ecclésiastique pour la France, monseigneur Antoine de Romanet, évêque aux Armées Françaises, salue le pape © Vatican Media

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L’IA entre la promotion de la culture humaine et une capitulation au pouvoir technocratique

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Discours aux participations à la conférence de la Centesimus annus pro pontifice

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Samedi 22 juin 2024

Le Saint-Père a reçu en audience, à la salle Clémentine, les participants de la conférence internationale organisée par la fondation Centesimus annus pro pontifice. 

Ladite fondation, réunissant des centaines de dirigeants d’entreprises et banquiers catholiques du monde entier, a pour but d’étudier, de promouvoir et de mettre en pratique la doctrine sociale de l’Église. Née en 1991, pour donner suite à l’encyclique de Jean-Paul II Centesimus annus, comme un groupe d’entrepreneurs catholiques, elle a été érigée en fondation par le Saint-Siège en 1993. Comptant comme membre de droit le président du service d’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique qui supervise ses activités (actuellement monseigneur Nunzio Galantino), elle est aujourd’hui présidée par madame la professeure Anna-Maria Tarantola. 

Ci-dessous, le Saint-Père réitère son attention particulière sur les évolutions technologiques concernant « « l’intelligence » artificielle »

 

Mesdames et Messieurs,
Votre Éminence, Vos Excellences, chers frères et sœurs, bonjour !

Je salue et remercie la présidente, madame Anna Maria Tarantola, et je salue tous ceux qui participent à la conférence internationale annuelle de la Fondation Centesimus Annus Pro Pontifice. Le thème de cette année est « L’intelligence artificielle et le paradigme technocratique : comment promouvoir le bien-être humain, la protection de la nature et un monde de paix ».

Cette question mérite une attention particulière, car l’IA a une influence perturbatrice sur l’économie et la société et peut avoir des répercussions négatives sur la qualité de vie, sur les relations entre les personnes et entre les pays, sur la stabilité internationale et sur la maison commune.

Comme vous le savez, j’ai traité du développement technologique dans l’encyclique Laudato si’ et dans l’exhortation apostolique Laudate Deum, et de l’intelligence artificielle dans le message de la Journée mondiale de la paix de cette année et, il y a quelques jours, dans mon discours au G7.

J’apprécie que le Centesimus Annus ait accordé une large place à ce sujet, en impliquant des chercheurs et des experts de différents pays et disciplines, en analysant les opportunités et les risques liés au développement et à l’utilisation de l’IA, avec une approche transversale et surtout avec une perspective anthropocentrique, et en étant conscient du danger d’un renforcement du paradigme technocratique.

Une analyse pluridisciplinaire est indispensable pour appréhender tous les aspects actuels et prospectifs de l’IA, les avantages qu’elle peut apporter en termes de productivité et de croissance, et les risques qu’elle peut comporter, afin d’identifier les bonnes manières éthiques de la développer, de l’utiliser et de la gérer.

Dans le message de la Journée de la paix de l’année dernière, j’ai voulu parler de l’algorétique, pour indiquer la nécessité absolue d’un développement éthique des algorithmes, dans lequel les valeurs guident les voies des nouvelles technologies.

Dans mon discours au G7, j’ai souligné les aspects critiques de l’intelligence artificielle, en insistant sur le fait qu’elle est et doit rester un outil entre les mains de l’homme. Comme d’autres outils clés au cours des millénaires, elle atteste de la capacité de l’être humain à se dépasser, de son « ultériorité », et peut entraîner de grandes transformations, positives ou négatives. Dans ce deuxième sens, l’IA pourrait renforcer le paradigme technocratique et la culture du gaspillage, la disparité entre les pays avancés et les pays en voie de développement, la délégation aux machines de décisions essentielles à la vie humaine. J’ai donc affirmé la nécessité absolue d’un développement et d’une utilisation éthiques de l’IA, en appelant la politique à prendre des mesures concrètes pour gouverner le processus technologique en cours dans le sens de la fraternité et de la paix universelles.

Dans ce contexte, votre conférence contribue à renforcer la capacité à appréhender les aspects positifs de l’IA et à connaître, atténuer et gouverner les risques, en dialoguant avec le monde de la science pour identifier ensemble les limites à poser à l’innovation si elle est préjudiciable à l’humanité.

Stephen Hawking, cosmologiste, physicien et mathématicien de renom, a déclaré : « Le développement d’une IA complète pourrait signifier la fin de la race humaine … elle décollerait d’elle-même et se reproduirait à un rythme de plus en plus rapide. Les humains, qui sont limités par une évolution biologique lente, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés » (interview de la BBC). Est-ce ce que nous voulons ?

La question fondamentale que vous vous posez est la suivante : à quoi sert l’IA ? Sert-elle à satisfaire les besoins de l’humanité, à améliorer le bien-être et le développement intégral des personnes, ou sert-elle à enrichir et à accroître le pouvoir déjà élevé de quelques géants technologiques malgré les dangers pour l’humanité ? Telle est la question fondamentale. 

La réponse dépend de nombreux facteurs et il y a de nombreux aspects à explorer. Je voudrais en rappeler quelques-uns, afin de vous inciter à poursuivre votre exploration.

  • La question délicate et stratégique de la responsabilité des décisions prises à l’aide de l’IA doit être explorée en profondeur ; cet aspect interpelle diverses branches de la philosophie et du droit, ainsi que des disciplines plus spécifiques.
  • Des incitations appropriées et une réglementation efficace doivent être trouvées, d’une part pour stimuler l’innovation éthique utile au progrès de l’humanité, et d’autre part pour interdire ou limiter les effets indésirables.
  • L’ensemble du monde de l’éducation, de la formation et de la communication devrait lancer un processus coordonné pour accroître la connaissance et la sensibilisation à l’utilisation correcte de l’IA et pour transmettre aux nouvelles générations, dès l’enfance, la capacité critique à l’égard de cet outil.
  • Il faut évaluer les effets de l’AI sur le monde du travail. J’invite les membres de la Fondation Centesimus Annus et ceux qui participent à ses initiatives à prendre une part active, dans leurs sphères respectives, à la promotion d’un processus de reconversion et à l’adoption de formes facilitant le redéploiement des personnes licenciées vers d’autres activités.
  • Les effets positifs et négatifs de l’IA dans le domaine de la sécurité et de la vie privée doivent être soigneusement examinés.
  • Les effets sur les capacités relationnelles et cognitives des personnes, ainsi que sur leur comportement, doivent être pris en compte et étudiés. On ne peut accepter que ces capacités soient réduites ou conditionnées par un outil technologique, c’est-à-dire par ceux qui le possèdent et l’utilisent.
  • Enfin – mais cette liste n’est pas exhaustive – il faut rappeler l’énorme consommation d’énergie nécessaire au développement de l’IA, alors que l’humanité est confrontée à une transition énergétique délicate.

Chers amis, c’est sur le front de l’innovation technologique que se jouera l’avenir de l’économie, de la civilisation, de l’humanité elle-même. Nous ne devons pas manquer l’occasion de penser et d’agir autrement, avec l’esprit, le cœur et les mains, pour orienter l’innovation vers une configuration centrée sur la primauté de la dignité humaine. Il ne faut pas en discuter. L’innovation qui favorise le développement, le bien-être et la coexistence pacifique et qui protège les personnes défavorisées. Cela nécessite un environnement réglementaire, économique et financier qui limite le pouvoir monopolistique de quelques-uns et permet au développement de profiter à l’ensemble de l’humanité.

C’est pourquoi j’espère que Centesimus Annus continuera à aborder cette question. Je salue le lancement du deuxième projet de recherche conjoint entre la Fondation et l’Alliance stratégique des universités catholiques de recherche (SACRU) sur « L’intelligence artificielle et le soin de la maison commune : un accent sur les affaires, la finance et la communication », coordonné par madame Tarantola. Tenez-moi au courant !

Et je termine par une provocation : sommes-nous sûrs de vouloir continuer à appeler « intelligence » ce qui ne l’est pas ? C’est une provocation. Réfléchissons-y, et demandons-nous si l’usage abusif de ce mot si important, si humain, n’est pas déjà une capitulation devant le pouvoir technocratique.

Je vous bénis et vous souhaite le meilleur pour vos activités. Continuez à travailler avec courage, prenez des risques ! Et je vous demande de prier pour moi. Je vous remercie. 

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Pape Francois

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