Du 29 avril au 3 mai, les dirigeants de la Communion anglicane mondiale, une branche du christianisme protestant, tiennent leur réunion centrale dans un cadre inhabituel : Rome. C’est la première fois que cette assemblée, qui n’est pas en communion avec l’Église catholique et ne partage pas ses croyances, se tient dans la Ville éternelle. Il s’agit d’une étape importante dans l’histoire du dialogue interreligieux et œcuménique entre les deux confessions chrétiennes.
La réunion, connue sous le nom de Réunion des primats, comprend une rencontre avec le pape François (cf. discours ci-dessous). Cet événement historique a été annoncé par l’Église anglicane de Canterbury. Elle souligne l’intérêt des deux communautés chrétiennes à renforcer leurs liens et à promouvoir leur compréhension mutuelle.
Parmi les événements prévus figure également un entretien avec le cardinal Mario Grech, secrétaire général du Synode catholique mondial. Le thème central de la discussion est la synodalité, c’est-à-dire la participation et la coexistence commune au sein de l’Église, en explorant sa signification et ses possibilités pour l’ensemble de la communauté chrétienne.
Domaines de collaboration et de compréhension avec l’Église catholique
Les leaders anglicans ont l’intention d’aborder les questions liées à la structure et à la prise de décision au sein de la Communion anglicane. Ce dialogue vise à renforcer et à améliorer le fonctionnement interne de la communauté anglicane. Ils souhaitent aussi explorer les domaines de collaboration et de compréhension avec l’Église catholique.
Outre les réunions formelles, la Réunion des primats a été conçue comme un pèlerinage spirituel, avec des temps de prière partagée et d’étude biblique. Le programme prévoit des visites de lieux saints tels que la basilique Saint-Pierre, la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs et l’église Sainte-Marie-du-Trastevere. Une rencontre avec des représentants de l’organisation laïque catholique Sant’Egidio est également prévue, mettant l’accent sur l’engagement œcuménique et le dialogue interreligieux.
L’engagement des deux communautés en faveur de l’œcuménisme
Cette réunion à Rome fait suite à une précédente rencontre en janvier 2024. Des évêques anglicans et catholiques du monde entier avaient alors discuté et visité des lieux d’importance historique et spirituelle pour les deux traditions. Le geste symbolique posé sur la tombe de l’apôtre Paul où les évêques catholiques et anglicans se sont chargés d’être des témoins de l’unité souligne l’engagement des deux communautés en faveur de l’œcuménisme et de la recherche de l’unité des chrétiens.
Seul l’amour que Jésus a enseigné et incarné rapprochera les chrétiens
Discours du pape aux participants à l’Assemblée des primats de la communion anglicane (texte intégral)
Jeudi 2 mai 2024
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Chers frères et sœurs, la paix soit avec vous !
Je vous salue avec joie dans les paroles du Seigneur ressuscité, qui proclament l’espérance née de la Résurrection, l’espérance qui ne déçoit pas. Telle a été l’expérience des disciples, réunis au Cénacle, lorsque Jésus a dissipé leur peur et leur angoisse, en montrant ses plaies et son côté transpercé, et en répandant sur eux son Esprit (cf. Jn 20, 19-23).
Aujourd’hui aussi, lorsque les responsables du peuple de Dieu se réunissent, ils peuvent avoir peur comme les disciples, être tentés par le découragement, partager leurs déceptions et leurs attentes insatisfaites, se laisser dominer par leurs soucis et être incapables d’empêcher que leurs désaccords ne s’aggravent. Mais aujourd’hui encore, si nous regardons le Christ plutôt que nous-mêmes, nous nous rendrons compte que le Ressuscité est au milieu de nous et qu’il désire nous accorder sa paix et son Esprit.
« Être pour le monde un avant-goût de la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité de la seule et unique Église du Christ »
Je suis reconnaissant à Son Excellence Justin Welby pour ses paroles fraternelles de salutation : il a commencé son service en tant qu’archevêque de Canterbury à peu près au même moment où j’ai commencé le mien en tant qu’évêque de Rome. Depuis lors, nous avons eu de nombreuses occasions de nous rencontrer, de prier ensemble et de témoigner de notre foi dans le Seigneur.
Cette année, au cours de la célébration des vêpres en la solennité de la conversion de saint Paul, nous avons chargé un certain nombre d’évêques catholiques et anglicans d’exercer ensemble leur ministère, afin d’ « être pour le monde un avant-goût de la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité de la seule et unique Église du Christ »[1].
Cher frère Justin, merci pour cette coopération fraternelle en faveur de l’Évangile ! Et je n’oublie pas votre merveilleux travail au Sud-Soudan et celui de votre épouse.
Notre communion imparfaite ne doit pas nous empêcher de marcher ensemble
Le Seigneur appelle chacun de nous à être un bâtisseur d’unité et, même si nous ne sommes pas encore un, notre communion imparfaite ne doit pas nous empêcher de marcher ensemble. En effet, « les relations entre les chrétiens […] supposent et appellent désormais toutes les formes possibles de coopération pratique à tous les niveaux : pastoral, culturel et social, ainsi que celui du témoignage du message évangélique » [2].
Nos différences ne diminuent pas l’importance de ce qui nous unit : elles « ne peuvent pas nous empêcher de nous reconnaître frères et soeurs dans le Christ en raison de notre baptême commun » [3].
Gratitude pour le travail de la Commission internationale anglicane-catholique romaine
À cet égard, j’exprime ma gratitude pour le travail de la Commission internationale anglicane-catholique romaine au cours des cinquante dernières années, qui a déployé de grands efforts pour surmonter les divers obstacles qui se dressent sur le chemin de l’unité, en reconnaissant avant tout que « la communion déjà partagée est fondée sur la foi en Dieu notre Père, en notre Seigneur Jésus-Christ et en l’Esprit Saint ; notre commun baptême dans le Christ ; notre partage des Saintes Écritures, du Credo des Apôtres et du Credo de Nicée ; la définition chalcédonienne et l’enseignement des Pères ; notre commun héritage chrétien depuis de nombreux siècles ». [4]
La primauté de l’Esprit Saint
Frères et sœurs, le temps pascal nous ramène à nos origines à travers la lecture des Actes des Apôtres. Au milieu de tant de pages glorieuses qui parlent de foi et de fraternité, de courage face à la persécution, de la joyeuse diffusion de l’Évangile et de son ouverture aux païens, l’auteur sacré ne cache pas des moments de tension et d’incompréhension, souvent nés de la fragilité des disciples, ou d’approches différentes dans le rapport avec la tradition passée.
Cependant, le récit dans son ensemble montre clairement que son véritable protagoniste est l’Esprit Saint : les apôtres parviennent à une compréhension mutuelle et à des solutions en lui laissant la primauté. Nous oublions parfois que des désaccords ont également marqué la première communauté chrétienne, celle qui avait connu le Seigneur et l’avait rencontré ressuscité. Nous ne devons pas craindre les désaccords, mais les accepter, en laissant la primauté au Paraclet.
J’aime beaucoup cette expression tirée des Actes des Apôtres : « cela a paru bon à l’Esprit Saint et à nous ». C’est quelque chose de très beau. Nous sommes appelés à prier et à nous écouter les uns les autres, en cherchant à comprendre les préoccupations de chacun et en nous demandant, avant d’interroger les autres, si nous avons été dociles aux incitations de l’Esprit Saint ou si nous avons été la proie de nos propres opinions personnelles ou de groupe.
Certes, la vision divine des choses ne sera jamais celle de la division, de la séparation ou de l’interruption du dialogue. Au contraire, la voie de Dieu nous conduit à nous attacher avec toujours plus de ferveur au Seigneur Jésus, car ce n’est que dans la communion avec lui que nous trouverons la pleine communion les uns avec les autres.
Le monde blessé d’aujourd’hui a besoin du Christ Sauveur
Le monde blessé d’aujourd’hui a besoin de l’apparition du Seigneur Jésus ! Il a besoin de connaître le Christ ! Certains d’entre vous viennent de pays où la guerre, la violence et l’injustice sont le pain quotidien des fidèles, mais même dans des pays considérés comme riches et pacifiques, il existe une grande souffrance et une grande pauvreté.
Quel message devrions-nous offrir en réponse, si ce n’est celui de Jésus, le Sauveur ? Notre mission est de le faire connaître. Dans le sillage de ce que Pierre a dit au boiteux à la porte du Temple, ce que nous avons à offrir en ces temps troublés et nécessiteux, ce n’est pas de l’argent ou de l’or, mais le Christ et l’étonnante bonne nouvelle de son Royaume (cf. Actes 3,6).
Le rôle de l’évêque de Rome est encore une question controversée qui divise les chrétiens
Chers Primats de la Communion anglicane, je vous remercie d’avoir choisi de vous réunir cette année dans la Cité des Apôtres Pierre et Paul. C’est un cadeau pour moi de me sentir proche des communautés que vous représentez. Je sais que le rôle de l’évêque de Rome est encore une question controversée qui divise les chrétiens. Pourtant, selon l’expression splendide du pape Grégoire le Grand, qui a envoyé saint Augustin comme missionnaire en Angleterre, l’évêque de Rome est servus servorum Dei, le serviteur des serviteurs de Dieu.
Toujours selon Jean-Paul II, « cette désignation est la meilleure garantie possible contre le risque de séparer le pouvoir (et en particulier la primauté) du ministère. Une telle séparation contredirait le sens même du pouvoir selon l’Évangile : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27) ». [5] C’est pourquoi il est nécessaire d’engager « un dialogue patient et fraternel sur ce sujet, un dialogue qui, laissant de côté les controverses inutiles » [6], s’efforce de comprendre comment le ministère pétrinien peut se développer comme un service d’amour pour tous. Grâce à Dieu, des résultats positifs ont été obtenus dans les différents dialogues œcuméniques sur la question de la primauté comme « don à partager ». [7]
Synodalité et primauté
Comme vous le savez, l’Église catholique est engagée dans un parcours synodal. Je me réjouis que tant de délégués fraternels, y compris un évêque de la Communion anglicane, aient pris part à la première session de l’Assemblée générale qui s’est tenue l’année dernière, et je me réjouis de la participation œcuménique à la session qui se tiendra cet automne.
Je prie pour qu’une meilleure compréhension du rôle de l’évêque de Rome soit l’un des fruits du synode. Le rapport de synthèse présenté à la fin de la première session appelait à une étude plus approfondie du lien entre synodalité et primauté à différents niveaux, local, régional et universel [8]. Les travaux les plus récents de la Commission internationale anglicane-catholique romaine peuvent s’avérer une ressource utile à cet égard [9].
Seul l’amour que Jésus a enseigné et incarné, rapprochera les chrétiens séparés les uns des autres
Alors prions, cheminons et travaillons ensemble, avec confiance et espoir. La déclaration commune de 2016 indiquait que « si, comme nos prédécesseurs, nous ne voyons pas encore de solutions aux obstacles qui se dressent devant nous, nous ne nous décourageons pas. Dans notre confiance et notre joie en l’Esprit Saint, nous sommes convaincus que le dialogue et l’engagement les uns avec les autres approfondiront notre compréhension et nous aideront à discerner la pensée du Christ pour son Église. Nous faisons confiance à la grâce et à la providence de Dieu, sachant que l’Esprit Saint ouvrira de nouvelles portes et nous conduira dans toute la vérité ». [10]
Il serait scandaleux qu’en raison de nos divisions, nous n’accomplissions pas notre vocation commune à faire connaître le Christ. Si, en revanche, au-delà de nos visions respectives, nous sommes capables de témoigner du Christ avec humilité et amour, c’est lui qui nous rapprochera les uns des autres. Je le répète : « Seul un amour qui devient service gratuit, seul l’amour que Jésus a enseigné et incarné, rapprochera les chrétiens séparés les uns des autres. Seul cet amour, qui ne fait pas appel au passé pour rester à l’écart ou pour pointer du doigt, seul cet amour qui, au nom de Dieu, fait passer nos frères et sœurs avant la défense à toute épreuve de nos propres structures religieuses, seul cet amour nous unira. D’abord nos frères et sœurs, les structures ensuite ». [11]
Frères et sœurs, merci encore pour cette visite qui nous permet de grandir en communion.
Je suis heureux maintenant d’écouter ce que vous voulez me dire et me joindre à vous dans la prière.
[1] Commission des évêques pour la Commission internationale anglicane-catholique romaine pour l’unité et la mission, 25 janvier 2024 (cf. Unitatis Redintegratio, 24).
[2] SAINT JEAN-PAUL II, Ut unum sint, 40.
[3] Déclaration commune de sa Sainteté le pape François et de Sa Grâce Justin Welby, archevêque de Canterbury, 5 octobre 2016.
[4] ARCIC II, L’Église en tant que communion, 50.
[5] Encyclique Ut unum sint, 88.
[7] ARCIC II, Le don de l’autorité, 60.
[8] Cf. XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, Une Église synodale en mission, Rapport de synthèse, I.7.h.
[9] Cf. ARCIC III, Marcher ensemble sur le chemin.
[10] Déclaration commune de sa Sainteté le pape François et de Sa Grâce Justin Welby, archevêque de Canterbury, 5 octobre 2016.
[11] Homélie pour les secondes vêpres de la solennité de la conversion de saint Paul, 25 janvier 2024.
