Première publication le 9 avril 2024
Six mois après la terrible attaque du Hamas et le début de l’offensive israélienne à Gaza, l’appel de l’abbé Nikodemus, de l’abbaye de la Dormition à Jérusalem, à regarder le conflit d’un point de vue humanitaire est un message qui transcende les frontières religieuses et politiques.
Alors que le conflit israélo-palestinien se poursuit, Nikodemus Schnabel, abbé bénédictin de l’abbaye de la Dormition de Jérusalem sur le mont Sion et du prieuré de Tabgha sur la mer de Galilée, souligne la nécessité d’une approche chrétienne du conflit, dans un entretien accordé à la fondation pontificale Aid to the Church in Need (ACN).
« Les gens meurent alors que le monde regarde comme s’il s’agissait d’un simple match où l’on agite des drapeaux pour une équipe ou une autre. Mais c’est une situation horrible », dit l’abbé. « Ce n’est pas un match de football. Il ne s’agit pas de savoir qui marque des points, qui a les histoires les plus choquantes ou qui a les meilleures photos », déplore-t-il.
La triste réalité est que beaucoup de ces personnes, dit l’abbé Nikodemus, prennent parti sans comprendre pleinement la complexité du conflit : « En ce moment, nous vivons dans un climat très polarisé, il y a beaucoup de pression pour choisir un camp et porter des accusations, mais si vous faites cela, vous faites partie du jeu. La réalité est très compliquée, avec beaucoup de “notes de bas de page”, de “guillemets” et de “parenthèses”. »
C’est pourquoi l’abbé de la basilique de la Dormition affirme fermement : « Je ne suis ni pro-Israël ni pro-Palestine. Je suis pour l’être humain. C’est ma position théologique. » Au cours de l’entretien, il explique la conviction – partagée par les chrétiens, les juifs et les musulmans – selon laquelle chaque être humain est créé à l’image de Dieu et mérite dignité et respect, indépendamment de sa nationalité ou de sa religion.
Les chrétiens souffrent entre deux camps polarisés
Le moine bénédictin pointe du doigt la rhétorique dangereuse utilisée par les deux camps, soulignant les conséquences tragiques que cela entraîne : « Ils ne parlent pas d’êtres humains. Ils disent que ce ne sont pas des personnes, que ce sont des monstres, des bêtes à forme humaine », explique-t-il à l’AED. « Il existe une tendance dangereuse à déshumaniser “l’autre”. Ils parlent de “neutraliser” les gens. Ils ne disent pas “tuer”. Ils parlent de “pertes” en se référant aux victimes, comme s’il s’agissait de simples statistiques, ils cachent le fait qu’il s’agit d’êtres humains qui meurent des mains d’autres êtres humains. »
L’abbé bénédictin souligne les défis auxquels sont confrontés les chrétiens dans cette région, déchirée depuis des décennies par les divisions, la violence et les conflits politiques entre Israéliens et Palestiniens. « Beaucoup de gens pensent qu’Israël est synonyme de judaïsme et de monde occidental, tandis que les Palestiniens sont synonymes d’islam et de monde oriental. Mais les chrétiens, bien qu’ils ne représentent qu’un faible pourcentage, estimé à moins de 2% de la population, n’entrent généralement pas dans ce schéma et souffrent de ces divisions, qui ont été intensifiées par la guerre. En réalité, nous sommes victimes des deux côtés », explique l’abbé Nikodemus, et il ajoute : « J’ai l’impression que certaines personnes pensent que sans les chrétiens, les choses seraient plus simples, parce qu’alors il y aurait vraiment cette merveilleuse représentation en noir et blanc du conflit. Mais les chrétiens sont dans les deux camps, ce qui complique le récit d’une division claire entre deux forces opposées. »
Le message chrétien du pardon
La communauté chrétienne en Israël et en Palestine, souvent ignorée et marginalisée à l’intérieur et à l’extérieur du pays, joue néanmoins un rôle très important, selon l’abbé, en tant que seul groupe religieux qui place le message de compassion et de pardon au centre de son annonce. « Nous ressentons la douleur et la souffrance avec les gens des deux côtés. Nous versons des larmes pour les deux camps. » C’est pourquoi le moine bénédictin exhorte à changer de perspective, en soulignant que toute vie, même celle d’un pécheur ou d’un criminel, est créée à l’image de Dieu. Cette conviction, commune aux trois religions, devrait rappeler la dignité et la valeur inhérentes à chaque personne, et ne pas permettre à la guerre de considérer l’être humain uniquement du point de vue de la politique géostratégique ou militaire.
« Mon point de référence est l’Écriture Sainte, la Bible. C’est là que j’ai appris de mon Seigneur Jésus-Christ que je dois prier pour les gens qui me haïssent, prier aussi pour les délinquants, les auteurs de crimes. Dire cela aujourd’hui est un scandale, mais je prie pour les terroristes ainsi que pour tous ceux qui sont impliqués dans ce conflit », affirme l’abbé Nikodemus.