première publication par La Nouvelle Ligne le 26 mars 2024
« Transmise oralement d’un professeur à son élève, cette pratique encourage la cohésion collective et la mémoire socioculturelle. Elle est un moyen d’expression et de dialogue intergénérationnel, sa valeur culturelle est reconnue aussi bien au niveau national qu’international »,
Derrière ce jargon sans âme, il convient de reconnaître et de saluer la décision par l’UNESCO en décembre dernier d’inscrire l’art lyrique italien au patrimoine immatériel de l’humanité.
La Nouvelle Ligne soulève son calice joyeux face à cette décision, que la beauté du bel canto fleurisse. Elle en profite pour mener l’enquête sur le lien particulier qui lie l’art lyrique et la langue italienne.
Par convention, on attribue à l’année 1607, date de création de l’Orfeo de Claudio Monteverdi, la naissance de l’opéra tel que nous le connaissons depuis lors. L’humanité n’a pas attendu Monteverdi pour apprendre à chanter, que ce soient des berceuses, des chants populaires ou des messes mais Monteverdi a le génie de concevoir un genre théâtral où il met en scène un texte chanté. Toujours est-il que l’Italie dominera le monde de la musique baroque au XVIIe siècle avant de voir émerger au nord des Alpes Telemann, Bach et Händel au XVIIIe siècle ; il faudra même attendre 1791 pour qu’avec La Flûte Enchantée Mozart compose le tout premier opéra en langue allemande alors que Bach avait déjà composé ses cantates et oratorios dans cette langue.
Outre cet avantage historique, qu’est-ce qui assure le succès de la langue italienne dans le domaine de l’opéra ?
Tout d’abord, l’talien fait partie de ces langues où la transcription entre ce qui est écrit et ce qui est prononcé est univoque, qui implique qu’il n’y ait qu’une seule manière de lire ou d’écrire un mot. En français au contraire, cette transcription est équivoque ; par exemple les mots Caen, camp et quand se prononcent de la même façon tandis que dans la phrase « les poules du couvent couvent », on prononce le mot « couvent » de deux manières différentes. Ensuite, à la différence du français, l’italien a conservé les voyelles finales par lesquelles s’achèvent presque tous les mots italiens (Roma, Firenze, Milano).
De plus, l’talien alterne de manière presque systématique les consonnes et les voyelles, comme dans Le Noz-ze di Fi-ga-ro par exemple. Tout cela, et en particulier sa richesse en voyelles, confère à la langue italienne sa musicalité à telle enseigne qu’au XVIIIe siècle Jean-Jacques Rousseau estimait que la langue française n’était pas susceptible de mélodie.
La contribution des pays de langue allemande à la culture musicale du monde entier
Au milieu du XVIIIe siècle avec la famille Bach débute l’exceptionnelle contribution des pays de langue allemande à la culture musicale du monde entier ; elle s’étendra sur deux siècles et ne prendra fin qu’avec Richard Strauss qui décède en 1949. Pourtant, loin de faire ombrage à la musique italienne, une sorte d’émulation contribue à faire du XIXe siècle le siècle d’or de l’opéra italien, que dominent les personnalités de Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi et Puccini.
Aux côtés de ces compositeurs, il convient de mentionner leurs interprètes, de Caruso a Pavarotti de même que les lieux qui les abritent, le Teatro San Carlo à Naples, plus ancienne salle d’opéra du monde, la Fenice à Venise et la Scala à Milan.
Ce sont eux que l’UNESCO consacre à la fois si maladroitement et à juste titre. Largo al factotum, Casta Diva, Sempre libera, autant d’arias qui assurent la renommée de l’opéra italien pour toujours. Demeure la question : pourquoi La Traviata et pas Tannhäuser mettons ? Oui, le bel canto émeut, il suscite la tendresse et la tristesse, le désespoir et l’enthousiasme, il fait jaillir une furtive larme au coin de l’œil, oui il relaie tout le charme de l’Italie et de sa langue, mais en définitive demeure la force du destin.