Le cardinal Raniero Cantalamessa, ofmcap lors de sa quatrième prédication de Carême © Capture d’écran KTO

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Je suis le chemin, la vérité et la vie

Quatrième prédication de Carême 2024

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Le cardinal Raniero Cantalamessa, frère capucin, poursuit ses prédications autour du thème des paroles du Christ « Je suis … ». Devant un public très nombreux réuni dans la salle Paul VI, il présente ses conférences de Carême, cette semaine sur la parole « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Voici, ci-dessous, le texte de sa prédication, dans son intégralité.

Traduit par Cathy Brenti, Communauté des Béatitudes

Dans notre itinéraire à travers le Quatrième Évangile pour découvrir qui est Jésus pour nous, nous voilà arrivés à la dernière étape. Nous entrons dans ce qu’on appelle habituellement « Les discours d’adieu » de Jésus à ses Apôtres. Cette fois, je ne tenterai même pas de résumer le contexte et de mettre en évidence ses différentes unités et subdivisions. Cela reviendrait à essayer de dessiner des cases et de distinguer des secteurs dans une coulée de lave descendant du cratère. Passons donc directement à ce que nous entendons relever dans cette méditation :

« Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : « Je pars vous préparer une place » ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14, 3-6).

« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », voilà bien des paroles qu’une seule personne au monde pouvait prononcer et a prononcées de fait. Le Christ est en même temps le chemin et le but du voyage. En tant que Verbe éternel du Père, il est la vérité et la vie ; en tant que Verbe fait chair, il est le chemin.

Nous avons eu l’occasion de contempler le Christ comme Vie, en commentant sa parole « Je suis le pain de la vie », comme Vérité en commentant son autre parole « Je suis la lumière du monde ». Concentrons-nous donc sur le Christ Chemin. Après avoir contemplé le Christ comme don, nous avons la possibilité de le contempler comme modèle. « Puisque – écrit Kierkegaard – le Moyen Âge s’était de plus en plus égaré en mettant l’accent sur le côté du Christ comme modèle, Luther a accentué l’autre côté, affirmant qu’il est un don et qu’il revient à la foi de l’accepter ». « Mais maintenant – ajoute le même auteur – nous devons aussi insister sur le Christ comme modèle, si nous ne voulons pas que la doctrine sur la foi se transforme en une feuille de vigne qui cache les omissions les plus antichrétiennes. »

Jésus continue de dire à ceux qu’il rencontre – c’est-à-dire à nous en ce moment – ce qu’il disait aux Apôtres et à ceux qu’il a rencontrés au cours de sa vie terrestre : « Venez à ma suite », ou au singulier « Suis-moi ! » La suite (en grec akolouthia) du Christ est un thème sans limites, qui a fait l’objet du livre le plus aimé et le plus lu dans l’Église après la Bible, à savoir L’Imitation du Christ. Nous nous limiterons à en dire ce qui nous servira pour passer à quelques applications pratiques, toujours d’ordre spirituel et personnel, comme nous nous le sommes fixé dans ces méditations.

Le thème de la suite du Christ occupe une place importante dans le Quatrième Évangile. Suivre Jésus est presque synonyme de croire en lui. Mais croire est une attitude de l’esprit et de la volonté ; l’image du « chemin » et de la « marche » met en évidence un aspect important de la foi, qui est la « marche », c’est-à-dire le dynamisme qui doit caractériser la vie du chrétien et la répercussion que la foi doit avoir sur son mode de vie. À la différence de la foi et de l’amour, la sequela n’indique pas seulement une disposition de l’esprit et du cœur, mais elle trace pour le disciple un programme de vie qui implique un partage total de la manière de vivre, du destin et de la mission du Seigneur. 

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En mettant l’accent sur l’épisode du lavement des pieds, Jean a voulu souligner un domaine particulier et prioritaire de la suite du Christ, celui du service (Jn 13, 12-15). Mais je ne parlerai pas du service. J’ai consacré la dernière prédication du Carême dernier à ce thème et il n’est pas nécessaire que j’y revienne. Aussi parce que je crois être le moins qualifié pour parler de service, ayant été dans ma vie presque exclusivement au « service de la Parole » qui, aussi important soit-il, est relativement facile et plus gratifiant que bien d’autres services dans l’Église.

Je voudrais plutôt parler de ce qui caractérise la suite du Christ et la distingue de tout autre type de suite. On dit d’un artiste, d’un philosophe, d’un homme de lettres qu’il s’est formé à l’école de tel ou tel maître renommé. On dit aussi de nous, les religieux, que nous avons été formés à l’école, qui de Benoît, qui de Dominique, qui de François, qui d’Ignace de Loyola et qui d’autres hommes ou femmes. Mais il y a une différence essentielle entre cette suite et celle du Christ. On la trouve exprimée – on ne pourrait mieux faire – par les paroles de Jean lui-même, à la fin du Prologue de son Évangile : « La Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » (Jn 1, 17)

Pour nous religieux, cela signifie que la règle nous a été donnée par notre Fondateur ou notre Fondatrice, mais que la grâce et la force pour la mettre en pratique ne peuvent nous venir que de Jésus-Christ. Pour nous comme pour tous les chrétiens, cela signifie aussi autre chose d’ encore plus radical, que l’Évangile nous a été donné par le Jésus terrestre, mais que la capacité de l’observer et de le mettre en pratique ne nous vient que du Christ ressuscité, par son Esprit !

Saint Thomas d’Aquin a écrit à ce sujet des paroles qui, de la bouche d’un médecin moins autoritaire que lui, nous laisseraient perplexes. Dans son commentaire sur la parole paulinienne « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6), il écrit : « Par lettre nous entendons toute loi écrite qui reste en dehors de l’homme, même les préceptes moraux contenus dans l’Évangile ; c’est pourquoi même la lettre de l’Évangile tuerait si la grâce de la foi qui guérit n’y était pas ajoutée ». Et peu avant, il disait explicitement que « la grâce qui nous guérit » n’est rien d’autre que « la même grâce du Saint-Esprit » donnée aux croyants. Saint Augustin l’a compris par expérience personnelle et a donc inventé sa prière extraordinaire : « Vous m’ordonnez la continence Seigneur ; donnez-moi ce que vous m’ordonnez, et ordonnez-moi ce qu’il vous plaît ».

​C’est pourquoi plusieurs parties des discours de Jésus lors de la Dernière Cène ont pour objet l’Esprit Paraclet qu’il enverrait sur les Apôtres. Rappelons quelques-unes de ses promesses à ce propos :

J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. (Jn 16, 12-14)

Si Jésus est « le Chemin » (en grec, odòs), le Saint-Esprit est « le Guide » (en grec, odegòs ou odegìa). C’est ainsi que saint Grégoire de Nysse le définissait déjà, et c’est ainsi que l’Église latine l’invoque dans le Veni Creator. Les deux versets « Ductore sic te praevio – vitemus omne noxium » signifient en fait « avec toi comme guide (ductor), nous éviterons tout mal ».

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Parmi les différentes fonctions que Jésus attribue au Paraclet, dans son œuvre en notre faveur, celle sur laquelle nous voulons nous concentrer est celle de Souffleur : « Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14, 26) « Il vous fera souvenir » : la Vulgate latine traduisait par ipse suggeret vobis, il vous suggérera.

Le souffleur, au théâtre, est caché dans une petite trappe et est invisible pour le public ; tout comme l’Esprit Saint qui illumine tout, tout en restant invisible et pour ainsi dire en coulisses. Le souffleur prononce les paroles à voix basse pour ne pas être entendu du public, et l’Esprit parle aussi « à voix basse », doucement. Cependant, contrairement aux souffleurs humains, il ne parle pas aux oreilles, mais au cœur ; il ne suggère pas mécaniquement les paroles de l’Évangile, comme tirées d’un scénario, mais les explique, les adapte, les applique aux situations.

Nous parlons naturellement des « inspirations de l’Esprit », ce qu’on appelle aussi les « bonnes inspirations ». La fidélité aux inspirations est le chemin le plus court et le plus sûr vers la sainteté. Nous ne savons pas d’emblée quelle est la sainteté concrète que Dieu veut de chacun de nous ; Dieu seul la connaît et nous la révèle au fur et à mesure que le chemin se déroule. Il ne suffit donc pas d’avoir un programme de perfection clair, à mettre en œuvre progressivement. Il n’existe pas de modèle de perfection identique pour tous. Dieu ne fabrique pas les saints en série, il n’aime pas le clonage. Chaque saint est une invention inédite de l’Esprit. Dieu peut demander à l’un l’opposé de ce qu’il demande à l’autre. Il s’ensuit que pour parvenir à la sainteté, l’homme ne peut se contenter de suivre des règles générales qui s’appliquent à tous. Il doit aussi comprendre ce que Dieu lui demande à lui, et rien qu’à lui.

Donc, ce que Dieu veut de différent et particulier, chacun le découvrira à travers les événements de la vie, la parole de l’Écriture, la conduite de son directeur spirituel, mais le moyen principal et ordinaire, ce sont les inspirations de la grâce. Ce sont des sollicitations intérieures de l’Esprit au plus profond du cœur, à travers lesquelles Dieu non seulement fait connaître ce qu’il désire de nous, mais donne la force nécessaire, et souvent aussi la joie, pour l’accomplir, si la personne y consent.

Pensons à ce qui serait arrivé si Mère Teresa de Calcutta s’était obstinée à observer les règles canoniques en vigueur dans les instituts religieux de son époque. Jusqu’à l’âge de 36 ans, elle était sœur dans une congrégation religieuse, certes fidèle à sa vocation et dévouée à son travail, mais rien qui puisse prédire quelque chose d’extraordinaire chez elle. C’est lors d’un voyage en train de Calcutta à Darjeeling pour sa retraite spirituelle annuelle que se produit l’événement qui a changé sa vie. L’Esprit Saint a « murmuré » à l’oreille de son cœur une invitation claire : quitte ton ordre, ta vie antérieure, et mets-toi à ma disposition pour une œuvre que je t’indiquerai. Chez les filles de Mère Teresa, ce jour – le 10 septembre 1946 – est commémoré sous le nom de « Journée de l’Inspiration ».

Lorsqu’il s’agit de décisions importantes pour soi-même ou pour d’autres, l’inspiration doit être soumise et confirmée par l’autorité, ou par son père spirituel. En fait, c’est ce que fit Mère Teresa. On s’expose au danger si on compte uniquement sur son inspiration personnelle.

Les bonnes inspirations ont quelque chose de commun avec l’inspiration biblique, à part bien sûr l’autorité et la portée qui sont essentiellement différentes. « Dieu dit à Abraham… », « Le Seigneur parla à Moïse » : ce discours du Seigneur n’était pas, du point de vue phénoménologique, différent de ce qui se passe dans les inspirations de la grâce. La voix de Dieu, même au Sinaï, ne résonnait pas à l’extérieur, mais à l’intérieur du cœur sous forme de clarté, d’impulsions, venant de l’Esprit Saint. Les dix commandements n’ont pas été gravés par le doigt de Dieu sur des tables de pierre (il nous est difficile de l’imaginer !), mais dans le cœur de Moïse qui les a ensuite gravés sur des tables de pierre. « C’est portés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1, 21) ; c’était eux qui parlaient, mais poussés par le Saint-Esprit ; ils répétaient avec leur bouche ce qu’ils entendaient dans leur cœur. Dieu, dit le prophète Jérémie, inscrit sa loi dans les cœurs (cf. Jr 31, 33).

Toute fidélité à une inspiration est récompensée par des inspirations de plus en plus fréquentes et plus fortes. C’est comme si l’âme s’entraînait pour parvenir à une perception de plus en plus claire de la volonté de Dieu et à une plus grande facilité pour l’accomplir.

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Le problème le plus délicat en matière d’inspirations a toujours été celui de discerner celles qui viennent de l’Esprit de Dieu de celles qui viennent de l’esprit du monde, de ses propres passions ou de l’esprit du mal. Le thème du discernement des esprits a connu une évolution notable au fil des siècles. À l’origine, il était conçu comme le charisme qui servait à distinguer – parmi les paroles, prières et prophéties prononcées dans l’assemblée – celles qui venaient de l’Esprit de Dieu et celles qui n’en venaient pas. Dans son exercice communautaire, le charisme de prophétie doit s’accompagner, pour l’Apôtre, de celui du discernement des esprits : « à un autre [est donné] de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations » (1 Co 12, 10).

Le sens originel du charisme, compris par Paul, semble très précis et limité. Il s’agit de la réception de la prophétie elle-même, de son évaluation, par un ou plusieurs membres de l’assemblée, eux aussi dotés d’un esprit prophétique. Mais cela non plus ne repose pas sur une analyse rationnelle, mais plutôt sur l’inspiration de l’Esprit lui-même. Le sens du discernement (diakrisis) oscille donc entre distinguer et interpréter : distinguer si c’est l’Esprit de Dieu qui a parlé ou un autre esprit, interpréter ce que l’Esprit a voulu dire dans une situation concrète. La recommandation bien connue de l’Apôtre fait référence à ce même don de discernement : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal. » (1 Th 5, 19-22)

Si l’on doit tenir compte de l’expérience actuelle des mouvements pentecôtistes et charismatiques, il faut penser que ce charisme consistait dans la capacité de l’assemblée, ou de certains de ses membres, à réagir activement à une parole prophétique, une citation biblique ou une prière, en exprimant – par l’exclamation « Je confirme ! », ou par d’autres petits signes de la tête et de la voix – l’approbation de la parole entendue, ou en montrant, au contraire – par le silence et en passant à autre chose – un jugement négatif. De cette manière, la vraie et la fausse prophétie en viennent à être jugées « aux fruits » qu’elles produisent ou non, comme le recommandait Jésus (cf. Mt 7, 16). Ce sens originel du discernement des esprits – soit dit en passant – pourrait être très pertinent encore aujourd’hui dans les débats et les rencontres, comme ce que nous commençons à vivre dans le dialogue synodal.

Par la suite, dans la spiritualité orientale comme occidentale, le charisme de discernement des esprits sert avant tout à discerner les inspirations du disciple de la part d’un ancien (comme dans le monachisme), et plus généralement à discerner ses propres inspirations. L’évolution n’est pas arbitraire ; il s’agit en fait du même don, même appliqué à des sujets et des contextes différents : le contexte communautaire dans le premier cas, personnel dans le second.

Il existe des critères de discernement que l’on pourrait qualifier d’objectifs. Dans le champ doctrinal ils se résument, pour Paul, à la reconnaissance du Christ comme Seigneur : « Si quelqu’un parle sous l’action de l’Esprit de Dieu, il ne dira jamais : « Jésus est anathème«  ; et personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur«  sinon dans l’Esprit Saint » (1 Co 12, 3) ; pour Jean, les critères se résument à la foi au Christ et à son incarnation :

Bien-aimés, ne vous fiez pas à n’importe quelle inspiration, mais examinez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu, car beaucoup de faux prophètes se sont répandus dans le monde. Voici comment vous reconnaîtrez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui proclame que Jésus Christ est venu dans la chair, celui-là est de Dieu. Tout esprit qui refuse de proclamer Jésus, celui-là n’est pas de Dieu. (1 Jn 4, 1-3)

Dans le domaine moral, un critère fondamental est donné par la cohérence de l’Esprit de Dieu avec lui-même. Il ne peut demander quelque chose qui soit contraire à la volonté divine, telle qu’elle s’exprime dans l’Écriture, dans l’enseignement de l’Église et dans les devoirs de son état. Une inspiration divine ne nous demandera jamais d’accomplir des actes que l’Église considère comme immoraux, quelques soient les arguments spécieux que la chair soit capable de suggérer dans ces cas-là ; par exemple, que Dieu est amour et que donc tout ce qui est fait par amour vient de Dieu.

Parfois, cependant, ces critères objectifs ne suffisent pas car il n’est pas question de choisir entre le bien et le mal, mais entre un bien et un autre bien, et il s’agit de voir quelle est la chose que Dieu veut dans une circonstance précise. C’est avant tout pour répondre à cette exigence que saint Ignace de Loyola avait développé sa doctrine sur le discernement.

J’ai presque honte d’aborder le sujet dans ce lieu… mais disons au moins quelques mots. Saint Ignace nous invite à observer les intentions – il les appelle les « esprits » – qui se cachent derrière un choix et les réactions qu’il provoque. On sait que ce qui vient de l’Esprit de Dieu apporte joie, paix, tranquillité, douceur, simplicité, lumière. Ce qui vient de l’esprit du mal, à l’inverse, apporte avec lui trouble, agitation, inquiétude, confusion et ténèbres. L’Apôtre le souligne en opposant les fruits de la chair – inimitiés, discorde, jalousie, dissensions, divisions, envie – et les fruits de l’Esprit qui sont plutôt « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5, 22-23).

Dans la pratique, les choses sont, il est vrai, plus complexes. Une inspiration peut venir de Dieu et pourtant provoquer de grands troubles. Mais cela n’est pas dû à une inspiration douce et paisible comme tout ce qui vient de Dieu ; cela naît plutôt de la résistance à l’inspiration ou du fait qu’il nous demande quelque chose que nous ne sommes pas prêts à lui donner. Si on accueille l’inspiration, le cœur se retrouve bientôt dans une paix profonde. Dieu récompense chaque petite victoire dans ce domaine, faisant sentir à l’âme son approbation, qui est la joie la plus pure qui existe au monde. 

Un domaine dans lequel il est important de pratiquer le discernement – ​​au-delà de celui des intentions et des décisions – est celui des sentiments. Rien n’est plus insidieux que l’amour. La nature est très habile à faire passer comme venant de l’esprit ce qui en réalité vient de la chair. Dans ce domaine, il est plus que jamais nécessaire de mettre en pratique le conseil que donnait le poète latin Ovide sur les maux de l’amour : « Principiis obsta ». : « Oppose-toi au commencement ». Sero medicina paratur : C’est trop tard pour le remède, quand les maux, à cause de trop de retards, ont gagné de force. »

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Le fruit concret de cette méditation doit être une décision renouvelée de nous confier entièrement à la direction intérieure de l’Esprit Saint, comme pour une sorte de « direction spirituelle ». Nous devons tous nous abandonner au Maître intérieur qui nous parle sans bruit de mots. Comme de bons comédiens, nous devons garder l’oreille ouverte, dans les grandes et petites occasions, à la voix de ce « souffleur » caché, pour jouer fidèlement notre rôle sur la scène de la vie. C’est ce qu’entend l’expression « docilité à l’Esprit ».

C’est plus facile qu’on ne le pense, car il nous parle à l’intérieur, nous apprend tout, nous instruit sur tout. Parfois, un simple regard intérieur, un mouvement du cœur, un instant de recueillement et de prière suffisent. Jean écrit dans sa Première Lettre :

Quant à vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin d’enseignement. Cette onction vous enseigne toutes choses, elle qui est vérité et non pas mensonge (1 Jn 2, 27).

Sur ces paroles, saint Augustin instaure un débat insolite et hardi avec l’Apôtre. Dans son commentaire de la Première Lettre de Jean, il écrit :

Je dis donc à Jean : Ceux à qui vous parliez avaient-ils l’onction ? […] Pourquoi avez-vous écrit cette épître? Pourquoi instruisiez-vous ceux à qui vous l’adressiez ? […] Remarquez ici, mes frères, une grande et mystérieuse chose. Le bruit de nos paroles frappe vos oreilles, mais le maître vous parle intérieurement. […] Nous pouvons, par le son de notre voix, vous adresser des leçons ; mais si Dieu n’est pas dans votre cœur pour vous instruire, c’est inutilement que nous nous faisons entendre.

Si accueillir les inspirations est important pour tout chrétien, c’est vital pour ceux qui ont une charge de gouvernement dans l’Église. Ce n’est qu’ainsi que l’on permet à l’Esprit du Christ de guider lui-même son Église à travers ses représentants humains. Il n’est pas nécessaire que tous les passagers d’un navire aient l’oreille collée à la radio de bord pour recevoir des précisions sur la route, sur d’éventuels icebergs et sur les conditions météorologiques, mais il est essentiel que les responsables de bord l’aient. C’est d’une « inspiration divine », courageusement accueillie par le pape saint Jean XXIII, qu’est né le Concile Vatican II. De la même manière sont nés après lui d’autres gestes prophétiques, dont ceux qui viendront après nous prendront conscience.

Qu’en cette Pâque le Seigneur ressuscité fasse lui-même résonner dans notre cœur l’un ou l’autre de ses divins « Je Suis » sur lesquels nous avons médité pendant ce Carême. Surtout celui qui proclame sa victoire pascale : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra : quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. »  (11, 25-26).

Saint-Père, frères et sœurs : Joyeuse et Sainte Pâque !

 

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Raniero Cantalamessa

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