11 juillet 2023
À l’occasion du 80e anniversaire de la fondation de l’Association nationale des travailleurs mutilés et handicapés, le pape François a accueilli certains de ses membres et leurs familles dans la salle Clémentine du Vatican. Bien que l’association soit italienne, le message du pape transcende la réalité les frontières de ce pays. Vous trouverez ci-dessous la traduction française du discours du Pape.
Je vous souhaite la bienvenue à l’occasion du 80e anniversaire de votre association. C’était en 1943, une année décisive pour l’Italie dans la Seconde Guerre mondiale. Vous avez fait vos premiers pas dans ce contexte, qui nous rappelle que chaque conflit armé entraîne, aujourd’hui encore, des légions d’amputés et que la population civile subit les conséquences dramatiques de cette folie qu’est la guerre. Une fois le conflit terminé, les décombres restent, jusque dans les corps et les cœurs, et la paix doit être reconstruite jour après jour, année après année, en protégeant et en promouvant la vie et sa dignité, à commencer par les plus faibles, à commencer par les plus démunis.
Aujourd’hui, je voudrais donc vous adresser à tous mes sincères remerciements. Merci, tout d’abord, pour ce que vous continuez à faire pour la protection et la représentation des victimes d’accidents du travail, des veuves et des orphelins de ceux qui sont tombés. J’ai encore à l’esprit les cinq frères tués par un train alors qu’ils travaillaient sur un chantier. Merci de continuer à insister sur la question de la sécurité au travail, où trop de morts et de malheurs se produisent encore. Merci pour les initiatives que vous promouvez pour améliorer la législation civile sur les accidents du travail et la réadaptation des personnes handicapées. En effet, il ne s’agit pas seulement de garantir des soins et une sécurité sociale adéquats à ceux qui souffrent de divers handicaps, mais aussi de donner de nouvelles opportunités à des personnes qui peuvent être réintégrées dans le monde du travail et dont la dignité doit être pleinement reconnue. Enfin, je vous remercie pour votre travail de sensibilisation du public à la prévention des accidents et aux politiques de sécurité, en particulier en faveur des femmes et des jeunes. Malheureusement, les tragédies et les drames sur le lieu de travail continuent à se produire, malgré la technologie dont nous disposons pour sécuriser les lieux et les gestes. Les chiffres de la mortalité au travail s’apparentent parfois à un bulletin de guerre. C’est le cas lorsque le travail est déshumanisé et qu’au lieu d’être l’instrument par lequel l’être humain se réalise en se mettant au service de la collectivité, il devient une course exaspérée au profit. Et c’est abominable. Les tragédies commencent lorsque l’objectif n’est plus l’homme, mais la productivité, et que l’homme devient une machine à produire. Chers amis, les tâches d’éducation et de formation qui vous attendent restent cruciales, tant pour les travailleurs et les employeurs que pour la société. La sécurité au travail est comme l’air que nous respirons : nous ne nous rendons compte de son importance que lorsqu’elle fait défaut de manière tragique, et il est toujours trop tard !
La parabole du bon Samaritain se répète (cf. Lc 10, 30-37) : face à des personnes blessées qui risquent d’être abandonnées sur le bord de la route, nous pouvons faire comme ces deux religieux, le prêtre et le lévite, qui, pour ne pas se souiller, ne s’arrêtent pas et continuent leur chemin, dans l’indifférence. Et dans le monde du travail, c’est parfois exactement ce qui se passe : nous continuons comme si de rien n’était, livrés à l’idolâtrie du marché. Mais nous ne pouvons pas nous habituer aux accidents du travail ni nous résigner à l’indifférence. Nous ne pouvons pas accepter le gaspillage de vies humaines. Les décès et les blessures constituent un appauvrissement social tragique qui touche tout le monde, et pas seulement les entreprises ou les familles concernées. Nous ne devons jamais nous lasser d’apprendre et de réapprendre l’art de la sollicitude, au nom de l’humanité commune. La sécurité n’est pas seulement garantie par une bonne législation, qui doit être appliquée, mais aussi par la capacité à vivre en frères et sœurs sur le lieu de travail.
L’apôtre Paul, réfléchissant à la valeur de la corporalité pose une question très actuelle : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit Saint qui est en vous ? Vous l’avez reçu de Dieu et il ne vous appartient pas en propre ». Et il conclut : « Glorifiez Dieu dans votre corps » (1 Co 6,19-20). Saint Paul se réfère à l’affectivité, mais nous pouvons également étendre l’analogie au monde du travail. Si le corps est un temple de l’Esprit Saint, cela signifie qu’en prenant soin de ses fragilités, nous louons Dieu. L’humanité est donc un « lieu de culte » et qui la protège collabore à l’œuvre même du Créateur. La foi chrétienne place la personne au centre, en tant que temple de l’Esprit Saint, et par là-même interdit le rejet, l’achat ou le troc de la vie humaine. Il n’est pas possible, au nom d’un plus grand profit, d’exiger trop d’heures de travail, ce qui diminue la concentration, ou de considérer les exigences en matière d’assurance ou de sécurité comme des dépenses inutiles et un manque à gagner.
La sécurité au travail fait partie intégrante des soins personnels. En fait, pour un employeur, c’est le premier devoir et la première forme de bienveillance. A l’inverse, bien des comportements vont dans la direction opposée, c’est le « carewashing ». Tel est le cas lorsque des hommes d’affaires ou des législateurs, au lieu d’investir dans la sécurité, préfèrent se donner bonne conscience avec des œuvres de charité. C’est horrible. Ils font passer leur image publique avant tout le reste, en devenant des bienfaiteurs de la culture ou du sport, en finançant de bonnes œuvres, en rénovant des œuvres d’art ou des édifices de culte, mais sans prêter attention au fait que, comme l’enseigne un grand père et docteur de l’Église, « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » (saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, IV,20,7). C’est la première exigence : prendre soin des frères, du corps des frères. La responsabilité envers les travailleurs est primordiale : la vie n’est à vendre sous aucun prétexte, d’autant plus si elle est pauvre, précaire et fragile. Nous sommes des êtres humains et non des machines, des personnes uniques et non des pièces détachées. Et souvent, certains travailleurs sont traités comme des pièces détachées.
C’est pourquoi je vous renouvelle ma gratitude pour votre engagement et je vous encourage à aller de l’avant, à aider la société à progresser culturellement, à comprendre que l’être humain est au-dessus de l’intérêt économique, que chaque personne est un don à la communauté et que la mutilation ou l’invalidité d’une seule d’entre elles blesse l’ensemble du tissu social. Je vous recommande à la protection de saint Joseph, patron de tous les travailleurs. Que le Seigneur vous bénisse et que la Sainte Vierge vous protège. Et vous, priez pour moi, j’en ai besoin. Je vous remercie.
Traduction Zenit