Rite Romain
Is 22,19-23; Ps 137; Rm 11,33-36; Mt 16,13-20
1) Tu es le Christ
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus pose deux questions aux Apôtres.
La première est : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » (Mt 16,13). Ils lui répondent que pour certains il était Jean-Baptiste, pour d’autres Elie ou Jérémie ou quelques un des prophètes.
La seconde est : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15). Au nom de tous les disciples, Pierre professe la foi qui reste celle de l’Église de tous les âges : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). En effet, à partir de ce jour-là, l’Église continue de répéter cette profession solennelle de foi. Aujourd’hui, nous aussi, nous sommes appelés à laisser Dieu parler à nos cœurs comme il parla aux cœurs des Apôtres. Si nous écoutions les paroles évangéliques avec une foi parfaite et avec un amour parfait, nous comprendrions le vrai sens de ces mots : « Jésus, le Christ, la Parole, le Fils de l’Homme et de Dieu » et nous proclamerons avec une profonde conviction : « Jésus, Christ, le Fils du Dieu vivant »(Id.). Nous le faisons avec la conscience que le Christ est la « perle » inestimable, le véritable « trésor », pour lequel il vaut la peine de tout sacrifier, comme l’on a rappelé le 17ème dimanche du temps ordinaire – 30 juillet 2023).
Il est l’ami qui ne nous abandonne jamais, parce qu’il est Emmanuel, le Dieu toujours avec nous qui connaît les attentes les plus intimes de notre cœur. Jésus est le « Fils du Dieu vivant », le Messie promis, qui est venu sur terre pour offrir le salut à l’humanité et pour satisfaire la soif de vie et d’amour qui habite dans le cœur de chaque être humain. Cette soif est étanchée par la Divine Miséricorde qui est toujours prête à se donner à ceux qui se convertissent dans leur cœur et le demander à l’Église.
Il faut donc se rappeler que le Christ n’adresse pas ces deux questions aux disciples pour connaître une ou plusieurs opinions à propos de lui. Il n’a pas besoin de savoir ce que les hommes pensent de lui. Avec cette double question, Jésus demande un acte de foi en lui et, par conséquence, de le suivre. « Jésus n’a pas dit ‘Connais-moi !’. Il a dit ‘Suis-moi !’. Suivre Jésus avec nos vertus et malgré nos péchés. L’important est de toujours suivre Jésus. Ce n’est pas une étude des choses qui est nécessaire, mais c’est une vie de et en disciple. Il est nécessaire rencontre quotidienne avec le Seigneur, avec nos victoires et nos faiblesses » (Pape François).
De toute évidence, la question du Christ ne résulte pas d’une crise d’identité, mais s’offre comme un chemin pour amener les disciples dans son mystère de vérité et d’amour. La question du Messie est une vocation à le suivre. Et cette suite ne repose pas sur une adhésion à une théorie, mais sur la solidité d’une présence, aussi solide qu’une pierre.
Le Christ est la Pierre vivante qui choisit Pierre comme pierre. Les deux ne s’excluent pas. Le Christ, Pierre angulaire, appelle Pierre à une assimilation progressive, à devenir de plus en plus disciple et à être la Pierre apostolique, car, malgré sa fragilité et son péché, il aime son Seigneur plus que tous les autres Apôtres et disciples, et doit les confirmer dans cette foi active qui est l’amour.
C’est pour cela que le pape est celui qui préside la charité et confirme notre foi par le ministère de la vérité et de la miséricorde, et qui utilise les clés du Royaume pour réconcilier les personnes avec Dieu et entre elles. Les clés livrées à Pierre sont les clés de la grâce, de la miséricorde, du pardon, de l’espérance et de la joie.
Faisons nôtre la réponse de Pierre qui n’a pas répondu aux questions du Christ avec une théorie mais avec une profession de foi. Le problème n’est pas de mettre en question Dieu, mais de lui faire des questions. Lui, il est et reste un mystère ; Lui répondre constitue l’aventure d’être des hommes : l’aventure de suivre Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie.
La foi est l’accueil du Christ, le suivant, la communion d’amour avec lui. Il est notre rédemption et le monde.
2) Tu es Pierre
A la confession de Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16), Jésus répond : « Tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux » (Mt 16, 18).
La profession de foi de Pierre, l’humble pêcheur de Galilée, est la voix de condisciples et aujourd’hui elle nous indique la présence divine et le lieu du salut pour chaque homme et femme de la terre. Sur cette « pierre » de la foi, on bâtit la nouvelle communauté humaine, réconciliée et mariée à Dieu.
Il est vrai que l’Église est construite par le Seigneur : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». L’Église aussi est un pur don de Dieu, pour accueillir et sauver tout le monde avec toutes les limites et les erreurs de l’humanité blessée et pécheresse.
Il est vrai aussi que sur la foi de Pierre le Christ a fondé son Église, avec le pouvoir de lier et de délier, de pardonner et de sanctifier, avec la mission d’évangéliser, d’annoncer la bonne et heureuse nouvelle au monde entier. L’Église est établie sur communion avec Pierre et en obéissance à Pierre. Il est consolant et réconfortant d’entendre encore aujourd’hui la parole du Seigneur qui scelle ce dessein de Dieu : « Les pouvoirs de l’enfer ne l’emporteront pas ». Il donne la force de pouvoir marcher dans le monde d’aujourd’hui, non pas avec la présomption, mais avec la certitude que l’’Église est conduite par l’Esprit de Dieu
Le mot « église », en grecque ekklésia, signifie « convocation », « assemblée » et indique le peuple qui est rassemblé par la Parole de Dieu et qui essaie de vivre le message du Royaume apporté par le Christ. La mission de l’Église est de mettre en œuvre le grand plan de Dieu : rassembler toute l’humanité en une seule famille dans le Christ.
La mission de Pierre et de ses successeurs est de servir cette unité de l’unique Église de Dieu formée par tous les peuples du monde entier. Son ministère indispensable est de s’assurer qu’elle ne s’identifie jamais à une seule nation, à une seule culture, mais qu’elle est l’Église de tous les peuples, afin de rendre présent parmi les hommes, marqués par d’innombrables divisions et contrastes, la paix de Dieu et le pouvoir renouvelant de son amour.
La mission particulière du Pape, évêque de Rome et successeur de Pierre, est de servir l’unité intérieure qui vient de la paix de Dieu, l’unité de ceux qui sont devenus frères et sœurs en Jésus-Christ.
Unis au Saint-Père, nous tous, nous sommes appelés à être missionnaires du Christ et à témoins de son amour. La clé qui nous est donnée à tous est celle de la croix, ce qui implique le don de soi-même. En communion avec le Pape, nous sommes appelés à offrir – dans nos vies, sauvés et remplies de l’amour de Dieu – une pierre sur laquelle chaque personne humaine peut déposer ses chagrins, ses incertitudes et ses doutes.
Nous sommes « heureux », parce que nous avons été choisis pour proclamer l’Évangile : pour cela, en toutes circonstances, la puissance infinie de l’amour de Dieu brillant dans la gloire de sa résurrection nous maintiendra près de sa Croix, clé du royaume de Dieu.
Le Christ a donné à Pierre les « clefs » du Royaume, en l’appelant à être crucifié avec Lui, à porter avec lui Son joug léger et doux sur ses épaules, pour apprendre l’humilité et la douceur pour « délier » les hommes de l’esclavage du monde, de la chair et du démon, et les « lier » à Lui, le Christ, dans une alliance qui ne finira jamais.
Les vierges consacrées en sont des témoins spéciaux, parce que, « se liant » totalement et seulement au Christ, elles demeurent L’embrassant sur la croix. La virginité est la crucifixion de soi pour se donner à Dieu, pour se clouer à son amour en embrassant le Christ sur la Croix. La virginité ne peut être réduite à une renonciation, ni à une limitation : c’est un renforcement de l’amour comme cadeau de soi-même qui consacre la personne dans l’Amour et transforme l’aimant dans l’Aimé. L’amour vécu dans la virginité est un amour crucifié non pas parce qu’il s’agit d’un amour mortifié, mais parce que c’est un amour « sacrifié », c’est-à-dire sacré par le don total de soi-même à Dieu.
Lecture patristique
saint Jean Chrysostome (344/354 – 407)
Homélie sur saint Pierre et saint Élie, 1
PG 50, 727-728.
Pierre devait recevoir les clés de l’Église, plus encore les clés des cieux, et le gouvernement d’un peuple nombreux devait lui être confié. Le Seigneur lui avait dit : Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16,19). Si Pierre, avec sa tendance à la sévérité, était resté sans péché, comment aurait-il pu faire preuve de miséricorde pour ses disciples ? Or, par une disposition de la grâce divine, il est tombé dans le péché, si bien qu’après avoir fait lui-même l’expérience de sa misère, il a pu se montrer bon envers les autres.
Rends-toi compte: celui qui a cédé au péché, c’est bien Pierre, le coryphée des Apôtres, le fondement solide, le rocher indestructible, le guide de l’Église, le port imprenable, la tour inébranlable, lui qui avait dit au Christ: Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas (Mt 26,35); lui qui, par une divine révélation, avait confessé la vérité: Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant (Mt 16,16).
Or, l’évangile rapporte que, la nuit même où le Christ fut livré, Pierre vint s’approcher du feu pour se chauffer. Une jeune fille lui dit alors : Toi aussi, hier, tu étais avec cet homme, et Pierre lui répondit : Je ne connais pas cet homme (cf. Mt 26,69-72).
Tu viens de dire : Même si je dois mourir avec toi, et maintenant tu nies en disant : Je ne connais pas cet homme. Pierre, est-ce bien cela que tu avais promis ? On ne t’a encore fait subir aucune torture, infligé aucun coup de fouet, mais il a suffi qu’une fille t’adresse la parole pour que tu te mettes à nier !
Une deuxième fois, la fille lui dit : Toi aussi, hier, tu étais avec lui. Et Pierre répondit : Je ne connais pas l’homme en question.
Quelle est la personne qui te parle pour que tu nies ainsi ? Une femme sans influence, une portière, une étrangère, une esclave, qui n’a droit à aucune considération, te parle et tu lui réponds en niant. Que c’est étonnant ! Une fille vient vers Pierre, une femme de mauvaise vie bouleverse la foi de Pierre. Lui, la colonne, le rempart, se dérobe devant les soupçons d’une femme. Ce n’étaient que des mots, mais ils ont ébranlé la colonne, ils ont fait trembler le rempart lui-même.
On lui dit une troisième fois : Toi aussi, hier tu étais avec cet homme, mais il le nia une troisième fois.
Finalement, Jésus fixa sur lui son regard pour lui rappeler ce qu’il lui avait dit. Pierre comprit, se repentit de sa faute et se mit à pleurer. Mais alors le Seigneur miséricordieux lui accorda son pardon, car il savait que Pierre, étant un homme, était sujet à la faiblesse humaine.
Comme je l’ai déjà dit, Dieu en a disposé ainsi et a permis que Pierre commette un péché, parce qu’un peuple nombreux allait lui être confié : car il ne fallait pas que, sévère parce que sans péché, il soit incapable de pardonner à ses frères. Il a été soumis au péché pour que la conscience de sa faute et du pardon reçu du Seigneur, le conduise à pardonner aux autres par amour. Il accomplissait ainsi une disposition providentielle conforme à la manière d’agir de Dieu.
Il a fallu que Pierre, lui à qui l’Église devait être confiée, la colonne des Églises, le port de la foi, le docteur du monde, se montre faible et pécheur. C’était, en vérité, pour qu’il puisse trouver dans sa faiblesse une raison d’exercer sa bonté envers les autres hommes.