Ce matin du lundi 29 mai, le pape François a reçu en audience spéciale les membres de l’Institut Paul VI, de Brescia, à l’occasion de la remise du Prix Paul VI au président de la République italienne, M. Sergio Mattarella. Avec un profond égard à la mémoire de Paul VI, qui a profondément ressenti les angoisses et les espoirs de l’humanité, s’efforçant de connaître et de comprendre ses expériences pour les amener à une confrontation éclairante et décisive avec le message chrétien, le Prix Paul VI vise à faire fondre dans l’unité les dimensions religieuses et culturelles. Au fil des ans, le Comité scientifique et le Comité exécutif de l’Institut Paul VI ont décidé de l’accorder six fois à différentes disciplines, reconnaissant ainsi la contribution d’excellence absolue apportée par des personnes et des institutions dans leurs domaines respectifs. Parmi les lauréats, citons Paul Ricoeur, Oscar Cullman, von Balthasar et Olivier Messiaen.
Ci-dessous le texte du discours du pape en français :
Monsieur le Président de la République,
Autorités civiles et religieuses distinguées,
Mesdames et messieurs,
Chers frères et sœurs,
Je vous souhaite la bienvenue et vous salue cordialement, me réjouissant de votre présence. Je suis heureux de remettre au président Sergio Mattarella le prix international Paul VI, qui lui a été décerné par l’Institut du même nom, auquel je tiens à exprimer ma gratitude pour le travail précieux qu’il accomplit dans la prise en charge de la mémoire du pape Montini : ses écrits et ses discours sont une mine inépuisable de pensée et témoignent de l’intense vie spirituelle dont a découlé son action en tant que grand pasteur de l’Église ! Merci donc aux membres et collaborateurs de l’Institut, et merci à ceux qui sont venus du diocèse de Brescia !
Le Concile Vatican II, pour lequel nous devons être si reconnaissants à saint Paul VI, a souligné le rôle des fidèles laïcs, soulignant leur caractère laïc. En effet, les laïcs, en vertu du baptême, ont une mission réelle, qu’ils doivent accomplir « dans le monde, c’est-à-dire engagés dans chacune des occupations et des affaires du monde et dans les conditions ordinaires de la vie familiale et sociale » (Lumen gentium, 31). Et parmi ces occupations se distingue la politique, qui est la « plus haute forme de charité » (Pie XI, Aux dirigeants de la Fédération universitaire catholique, 18 déc. 1927). Mais – on peut se demander – comment faire de l’action politique une forme de charité et, d’autre part, comment vivre la charité, c’est-à-dire l’amour au sens le plus élevé, dans la dynamique politique ?
Je pense que la réponse est dans un mot : le service. Saint Paul VI disait que ceux qui exercent le pouvoir public doivent être considérés comme des « serviteurs de leurs compatriotes, avec le désintérêt et l’intégrité propres à leur haute fonction » (Aux Représentants de l’Union européenne des démocrates-chrétiens, 8 avr. 1972). Et il a condamné : « Le devoir de service est inhérent à l’autorité ; et plus ce devoir est grand, plus cette autorité est élevée » (Audience générale, 1968). Cependant, nous savons bien à quel point c’est difficile et comment la tentation généralisée, à toutes les époques, même dans les meilleurs systèmes politiques, est de se servir de l’autorité plutôt que de servir par l’autorité. Comme il est facile de monter sur un piédestal et comme il est difficile de s’abaisser au service des autres !
Le Christ lui-même a parlé de la difficulté de servir et de se dévouer pour les autres, admettant, avec un réalisme voilé de tristesse, que « ceux qui sont considérés comme les chefs des nations les dominent et leurs dirigeants les oppriment ». Mais il dit tout de suite aux siens : « Mais parmi vous, ce n’est pas le cas, mais celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » (Mc 10, 42-43) Dès lors, pour le chrétien, la grandeur est synonyme de service. J’aime dire que « qui ne vit pas pour servir, ne vit pas pour vivre ». Et je pense qu’aujourd’hui la remise du prix Paul VI au président Mattarella est précisément une belle occasion de célébrer le courage et la dignité du service, le plus haut style de vie, qui fait passer les autres avant leurs propres attentes.
Que cela le cas pour vous, monsieur le président, est attesté par le peuple italien, qui n’oublie pas votre décision pour une retraite bien méritée au nom du service que l’État vous exige. Il y a une semaine, vous avez voulu rendre hommage, à l’occasion du 150e anniversaire de sa mort, à ce grand italien et chrétien qui était Alessandro Manzoni, capable de tisser avec des mots le précieux tissu de valeurs sociales, religieuses et solidaires du peuple italien. Paul VI l’appelait « génie universel », « trésor inépuisable de sagesse morale », « maître de la vie » (cf. Regina Caeli, 20 mai 1973). Moi aussi, je garde dans mon cœur tant de ses personnages. Je pense au tailleur, qui parle de la bonne assiduité de ceux qui conçoivent la vie comme du temps accordé à l’individu pour augmenter le bien des autres, pour « industriarsi, aiutarsi, e poi esser contenti » (I promessi sposi, chap. XXIV). Et avec cette œuvre, il a réussi à exprimer l’un des passages les plus sages : « Je n’ai jamais trouvé que le Seigneur commençait un miracle sans bien le terminer » (ibid.). Parce que servir crée de la joie et fait du bien avant tout à celui qui sert. Selon les mots de Manzoni : « On devrait penser davantage à bien faire qu’à bien être : et ainsi on finirait aussi par être meilleur. » (chap. XXVIII).
Mais le service risque de rester un idéal assez abstrait sans un second mot qui ne peut en être séparé : la responsabilité.
C’est, comme le mot lui-même l’indique, la capacité d’offrir des réponses, à partir de son propre engagement, sans attendre que les autres les donnent. Combien de fois, monsieur le président, plus par l’exemple que par les mots, vous l’avez appelé de vos vœux ! Là aussi, on ne peut que constater une affinité fructueuse avec Giovanni Battista Montini qui, jeune prêtre, était un « éducateur de la responsabilité ».
En tant que pape, il a donc écrit que les mots ne servent à rien « s’ils ne sont pas accompagnés en chaque personne d’une conscience plus vive de sa propre responsabilité » (Lettre apostolique Octogesima adveniens, 14 mai 1971, 48). Parce que, expliquait-il, « il est trop facile de décharger sur les autres la responsabilité de l’injustice, si l’on n’est pas convaincu en même temps que chacun y participe et que la conversion personnelle est nécessaire avant tout » (ibid., 47). Ce sont des mots qui me semblent très pertinents aujourd’hui, alors qu’il est presque automatique de blâmer les autres, alors que la passion pour l’ensemble s’affaiblit et que l’engagement commun risque d’éclipser les besoins de l’individu ; où, dans un climat d’incertitude, la méfiance se transforme facilement en indifférence. La responsabilité, en revanche, comme nous l’ont montré ces jours-ci tant de citoyens d’Émilie-Romagne, appelle chacun à aller à contre-courant du climat de défaitisme et de plainte, à ressentir les besoins des autres comme les siens et à se redécouvrir comme un élément irremplaçable du tissu social et humain unique auquel nous appartenons
Poursuivant le thème de la responsabilité, je pense à cette composante essentielle de la vie commune qui est l’engagement envers la légalité. Cela demande de la lutte et de l’exemple, de la détermination et de la mémoire, la mémoire de ceux qui ont sacrifié leur vie pour la justice ; je pense à votre frère Piersanti, monsieur le président, et aux victimes du massacre de la mafia de Capaci, dont le 31e anniversaire a été commémoré il y a quelques jours. Saint Paul VI a observé que dans les sociétés démocratiques, les institutions, les pactes et les statuts ne manquent pas, mais que « il manque souvent le respect libre et honnête de la légalité » et que « l’égoïsme collectif s’y développe » (Angelus, 31 août 1975). Aussi dans ce domaine, monsieur le Président, avec votre parole et votre exemple, corroborés par ce que vous avez vécu, vous êtes un enseignant cohérent de la responsabilité.
Saint Paul VI a senti l’importance de la responsabilité de chacun pour le monde de tous, pour un monde devenu global. Il l’a fait en parlant de la paix – comme elle est urgente aujourd’hui ! – il l’a fait en exhortant à lutter sans se résigner contre les déséquilibres de l’injustice planétaire, parce que la question sociale est une question morale et parce qu’une action solidaire après les guerres mondiales ne l’est vraiment si elle est globale (cf. Lettre encyclique Populorum Progressio, 26 mars 1967, 1) Il y a plus de cinquante ans, il mettait en garde contre l’urgence de faire face aux défis climatiques, face à la menace d’un environnement qui, écrivait-il, deviendrait intolérable pour l’homme en raison de l’activité destructrice de l’homme lui-même qui, en dominant la création, n’en aurait plus la maîtrise. Et il précisait : « Le chrétien doit consacrer son attention à ces nouvelles perspectives, pour assumer, avec les autres hommes, la responsabilité d’un destin qui est maintenant devenu commun » (Octogesima adveniens, 21).
Oui, le sens de la responsabilité et l’esprit de service ont été pour saint Paul VI la base de la construction de la vie sociale. Il nous a laissé l’héritage exigeant de construire des communautés solidaires. C’était son rêve, qui s’est heurté à divers cauchemars devenus réalités – je pense à la terrible affaire d’Aldo Moro – ; c’était le désir ardent qu’il portait dans son cœur et qu’il a exprimé en termes de « communautés de participation et de vie », animées par l’engagement de « s’efforcer de construire une solidarité active et vécue. » (ibid. 47)
Ce ne sont pas des utopies, mais des prophéties ; des prophéties qui nous exhortent à vivre de hauts idéaux. Parce que c’est ce dont les jeunes d’aujourd’hui ont besoin. Et je suis heureux, monsieur le président, de devenir un instrument de gratitude au nom de tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui voient en vous un maître, un simple maître, et surtout un témoin cohérent et courtois de service et de responsabilité. Le pape Montini en serait heureux, dont j’aime répéter, enfin, des mots aussi connus que vrais : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. » (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, 41). Merci.
Traduction de l’italien réalisée par ZENIT