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« C’est quelque chose que le Seigneur a voulu pour nous faire comprendre… »

Interview exclusive pour le 10e anniversaire du pontificat

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« Il y avait la pluie et il n’y avait personne. J’ai senti que le Seigneur était là. C’est quelque chose que le Seigneur a voulu pour nous faire comprendre la tragédie, la solitude, l’obscurité et la peste » : c’est ainsi que le pape François a évoqué pour un média suisse la période de confinement qui aura marqué son pontificat, et la fameuse prière « en temps d’épidémie » du 27 mars 2020, sur le parvis de la Place Saint-Pierre, dont les photos ont ému le monde.

Le pape François a accordé une interview exclusive, pour le dixième anniversaire de son pontificat, au journaliste Paolo Rodari, de RSI (Radiotélévision suisse de langue italienne, ndr). L’entretien intégral, dont une partie est déjà publiée sur le site de la chaîne, sera diffusé dimanche 12 mars à 20h40, à la veille du dixième anniversaire de son élection.

 

Des questions personnelles…

La question n’a pas manqué : qu’est-ce qui pourrait pousser le pape à démissionner ? « Une fatigue qui ne te permet pas de voir clairement les choses. Le manque de clarté, de savoir évaluer les situations. Et aussi, peut-être, le problème physique », a répondu le pontife. Sur ce dernier point, il dit suivre les conseils qu’il demande toujours à ceux qui le connaissent, « notamment certains cardinaux intelligents », dit-il avec humour. « Et ils me disent la vérité : continue, ça va. Mais s’il te plaît, crie tant qu’il est temps ! ».

Le pape argentin, qui a fêté ses 86 ans en décembre dernier admet cependant qu’il ressent le poids de l’âge et qu’il a « moins de résistance physique ». Son problème au genou, qui semble se résorber maintenant, a été « une humiliation physique » : « j’avais un peu honte » d’être en fauteuil roulant, avoue-t-il.

Parmi les questions personnelles, l’ancien archevêque de Buenos Aires, habitué à utiliser les moyens de transport publics de la capitale argentine, reconnaît que ce qui lui manque aujourd’hui, c’est « de marcher, d’aller dans la rue ». Je marchais beaucoup. Je prenais le métro, le bus, toujours avec les gens ».

Quant à son choix d’habiter à la Maison Sainte-Marthe, François redit ce qu’il a toujours affirmé, son besoin de voir du monde : « Deux jours après mon élection, je suis allé prendre possession du Palais apostolique. Il n’est pas très luxueux. Il est bien fait, mais il est énorme. La sensation que j’ai eue était comme celle d’un entonnoir à l’envers. Psychologiquement, je ne supporte pas cela. Je suis passé par hasard devant la chambre où j’habite. Et j’ai dit : “Je reste ici“. C’est un hôtel, quarante personnes qui travaillent à la Curie y habitent. Il y vient des gens de partout ».

Autre question ayant fait couler un peu d’encre ces derniers temps, la relation avec le pape émérite Benoît XVI, logé jusqu’à sa mort au monastère Mater Ecclesiae, dans les Jardins du Vatican : « C’est un homme de Dieu, je l’aime beaucoup », déclare François, qui évoque leur dernière rencontre, à Noël : « Il ne pouvait quasiment plus parler. Il parlait très, très, très bas. Il fallait que quelqu’un traduise ses paroles. Il était lucide. Il posait des questions : comment va un tel ? Et ce problème ? Il était au courant de tout. C’était un plaisir de parler avec lui. Je lui demandais son avis. Il donnait son avis mais toujours équilibré, positif, un sage. Mais la dernière fois, on voyait que c’était la fin ».

 

… aux questions ecclésiales, sociales et politiques

S’expliquant sur la sobriété des obsèques de son successeur, le pape François raconte que « les cérémoniaires se sont “cassé la tête“ pour faire les obsèques d’un pape non régnant. C’était difficile de faire la différence ». Depuis, il a demandé que l’on étudie la cérémonie « pour les funérailles des futurs papes, de tous les papes » : « on est en train d’étudier et de simplifier un peu les choses, de supprimer ce qui n’est pas liturgique », précise-t-il.

Que signifie pour le pape François d’être appelé « le pape des plus petits » ? « Il est vrai, répond-il, que j’ai une préférence pour ceux qui sont rejetés, mais cela ne signifie pas que je rejette les autres. Les pauvres sont les bien-aimés de Jésus. Mais Jésus ne renvoie pas les riches ». « Personne n’est exclu », poursuit le pape, qui rappelle que le Christ invite « tout le monde, les malades, les bons et les mauvais, les petits et les grands, les riches et les pauvres, tous ». Et d’insister : « l’Eglise n’est pas une maison pour quelques-uns, elle n’est pas sélective. C’est cela, le saint peuple fidèle de Dieu : tous ».

François met en garde contre « le péché », « les hommes d’Eglise », les « femmes d’Eglise qui mettent une distance » : « c’est un peu la vanité du monde, se sentir plus justes que les autres, mais ce n’est pas juste. Nous sommes tous pécheurs ». « A l’heure de la vérité, conseille-t-il, mets ta vérité sur la table et tu verras que tu es pécheur. ».

Interrogé sur ce qu’un pape venu du bout du monde peut apporter à l’Europe, le pontife argentin cite sa compatriote, la philosophe Amelia Podetti pour qui « la réalité se voit mieux des extrêmes que du centre ». « On comprend l’universalité avec de la distance, explique-t-il. C’est un principe social, philosophique et politique ».

Le pape se confie aussi sur la « guerre mondiale » actuelle : « elle a commencé par petits bouts et maintenant personne ne peut dire qu’elle n’est pas mondiale. Les grandes puissances y sont toutes empêtrées. Le champ de bataille est l’Ukraine. C’est là que tout le monde se bat ». Et de déplorer une fois encore l’industrie des armes : « c’est un marché. On fait la guerre, on vend des armes anciennes et on teste les nouvelles ».

Quant à Poutine, qu’il a rencontré plusieurs fois avant le conflit en Ukraine, le pape François redit qu’il est disposé à se rendre à Moscou : « Poutine sait que je suis à sa disposition » pour négocier. « Je lui parlerais comme je parle en public », précise-t-il, avant de dénoncer : « il y a là-bas des intérêts impériaux, pas seulement de l’empire russe, mais des empires d’ailleurs. C’est le propre de l’empire de mettre les nations au second plan ».

D’autres conflits préoccupent particulièrement le pape François : « le Yémen, la Syrie, les pauvres Rohingya du Myanmar. Pourquoi ces souffrances ? Les guerres font du mal. Il n’y a pas l’esprit de Dieu. Je ne crois pas aux guerres saintes ».

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Hélène Ginabat

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