« L’Église nous apprend à suivre Jésus en nous faisant passer chaque année par le mercredi des cendres, le carême et la semaine sainte. Durant cette marche, nos cœurs se purifient et la joie de Pâques n’apparaît donc pas à des personnes aveuglées par les incrustations du péché mais à des personnes ouvertes à Lui, notre vie, que nous pouvons voir parce que « les cœurs purs voient Dieu ».
Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco, propose une méditation des textes liturgiques du 1er dimanche de Carême de l’année A, le 26 février prochain, intitulée « Carême : chemin avec le Christ qui nous invite à convertir notre cœur et à croire ò la bonne nouvelle ».
Il rappelle que le Carême est « un chemin de miséricorde reçu et partagé, non seulement parce qu’on fait ce qui nous est conseillé de faire en cette période – prière, jeûne et aumône – mais parce que ces actes nous enracinent en Dieu, nous convertissent à Lui avec un cœur contrit et un corps mortifié ».
Méditation par Mgr Francesco Follo
Prémisse
Au début du carême le prêtre impose les cendres à tous ceux qui viennent à la messe. Ce rite des cendres sur la tête ou sur le front des fidèles a une triple signification. Premièrement, il rappelle la fragilité et la faiblesse de l’homme, façonné avec la poussière du sol. Deuxièmement, il est le signe extérieur de celui qui se repent de ses mauvaises actions et décide de prendre un nouveau chemin pour aller vers le Seigneur. Troisièmement, il indique que notre pauvre personne est le fruit d’une Rencontre « cuisante ». Le chrétien passe dans le feu ardent de l’Amour du sauveur, et devient, oui, de la « cendre », mais une cendre purificatrice et féconde pour le monde, une cendre d’où sort la chaleur du Créateur.
Le carême n’est donc pas seulement « souffrance » d’avoir commis des péchés, n’est pas seulement « effort » ascétique pour affiner les facultés de l’esprit, mais « redécouvrir » que « nous avons reçu gratuitement et donnons gratuitement aux autres ».
« Le carême nous aide à comprendre d’une manière singulière que la vie est rachetée en lui. Par le Saint-Esprit, il renouvelle notre vie et nous rend participants de la vie même de Dieu qui nous introduit dans son intimité et nous fait goûter son amour pour nous » (Saint Jean Paul II).
Le carême est un chemin qui conduit vers une destination sûre : la Pâque de la Résurrection, la victoire du Christ sur la mort.
Le carême est aussi « temps de miséricorde qui nous adresse un appel pressant à la conversion : le chrétien est appelé à revenir à Dieu « de tout son cœur » (Jl 2,12), pour ne pas se contenter d’une vie médiocre, mais grandir dans l’amitié avec le Seigneur. Jésus est l’ami fidèle qui ne nous abandonne jamais, car même lorsque nous péchons, il attend patiemment notre retour à Lui et, par cette attente, il manifeste sa volonté de pardon » (Pape François, Message pour le Carême 2017).
- De la miséricorde à la miséricorde
Il est important de rappeler que la perfection de notre condition de chrétien ne se réalise pas si nous disons « nous avons tout abandonné », mais si nous disons au Christ : « Nous avons tout abandonné et T’avons suivi ». L’Église nous apprend à suivre Jésus en nous faisant passer chaque année par le mercredi des cendres, le carême et la semaine sainte. Durant cette marche, nos cœurs se purifient et la joie de Pâques n’apparaît donc pas à des personnes aveuglées par les incrustations du péché mais à des personnes ouvertes à Lui, notre vie, que nous pouvons voir parce que « les cœurs purs voient Dieu » (Mt 5,8).
Les juifs sortirent autrefois de l’esclavage de l’Égypte et mirent quarante ans pour arriver à la Terre Promise, nous – chaque année – nous progressons dans notre marche de carême, car obtenir la victoire sur nous-même consiste à quitter l’Égypte de notre péché pour vivre uniquement dans l’amour du Christ et pour le Christ. Aidés par le jeûne, par la prière et par l’aumône durant le carême nous vivons l’expérience particulière de la miséricorde de Dieu qui « efface, lave et purifie » (Ps 50, 3-4) nous pécheurs et nous transforme en une créature nouvelle avec un esprit, une langue, des lèvres, un cœur, transfigurés (cf. Id vv 14-19). C’est avec un cœur pur comme celui des enfants qu’en cette période de Pâques nous pourrons comprendre et vivre l’antienne d’ouverture du dimanche de la miséricorde : « Comme des enfants nouveaux nés ont soif du lait qui les nourrit, soyez avides du lait pur de la Parole, afin qu’il vous fasse grandir pour le salut ». Ce dimanche, que l’on appelait jadis in Albis[1], on l’appelle aujourd’hui dimanche de la miséricorde[2]. Saint Jean Paul II en décida ainsi en s’inspirant de sainte Faustine Kowalska, qui avait écrit : « Nos péchés seraient-ils noirs comme la nuit, la Miséricorde de Dieu est plus forte que notre misère. Une seule chose est nécessaire : que le pécheur entrouvre, ne serait-ce qu’un peu, les portes de son cœur … Dieu fera le reste … Tout commence par la miséricorde de Dieu et se termine par Sa miséricorde ».
- Le carême : temps de miséricorde et chemin de conversion.
Le Carême est un moment spécial de miséricorde qui dure quarante jours. L’Église nous demande de le vivre comme un cheminement spirituel de conversion pour bien nous préparer à Pâques. Il s’agit essentiellement de suivre Jésus qui se dirige résolument vers la Croix, point d’orgue de sa mission de salut et la clef qui ouvre à la Résurrection.
Le carême est un chemin de miséricorde reçu et partagé, non seulement parce qu’on fait ce qui nous est conseillé de faire en cette période – prière, jeûne et aumône – mais parce que ces actes nous enracinent en Dieu, nous convertissent à Lui avec un cœur contrit et un corps mortifié. En effet, s’il est vrai que c’est le cœur de pierre de l’homme qui veut le mal, il est vrai aussi que, souvent, son corps l’aide à le commettre. D’un autre côté, nous êtres humains, nous sommes faits de l’un et de l’autre, et devons unir les deux dans l’hommage que nous rendons à Dieu. Le corps participera ou aux joies de l’éternité ou aux tourments de l’enfer. Il n’y a donc pas de vie chrétienne complète, ni d’expiation valable, si dans l’une et dans l’autre le corps ne s’associe pas à l’âme.
Rappelons naturellement que le principe de la vraie pénitence est dans le cœur. L’évangile nous l’enseigne en nous parlant du fils prodigue, de la pécheresse, de Zachée le publicain et de saint Pierre. Il faut donc que le cœur abandonne à jamais le péché, que celui-ci provoque en lui une souffrance profonde, qu’il le déteste et fuit les occasions.
Pour indiquer cette disposition du cœur, la Bible utilise un mot qui est entré dans le langage chrétien et décrit très bien l’état de la personne humaine sincèrement repentie de ses péchés : C’est la Conversion. Pendant le carême, nous sommes invités à nous exercer dans la pénitence du cœur et à la considérer comme le fondement essentiel de tous les actes propres à cette sainte période. Mais cette conversion resterait illusoire si on n’ajoutait pas l’hommage du corps aux sentiments intérieurs qu’elle inspire. Le Sauveur, sur la montagne, ne se contente pas de pleurer sur nos péchés : il les expie en souffrant de tout son corps ; et l’Église, son infaillible interprète, nous prévient que la pénitence de notre cœur ne sera pas accueillie, si nous ne l’accompagnons pas de la stricte observance de l’abstinence et du jeûne.
- Carême : pèlerinage vers et avec le Christ, source de miséricorde.
Le carême est une période privilégiée, avec laquelle l’Église nous conduit vers Celui qui est la source de la miséricorde. C’est un pèlerinage où Lui-même nous accompagne à travers le désert de notre pauvreté, nous soutenant dans notre marche vers la joie vivante de Pâques. Mais ce cheminement n’est pas sans épreuves, et c’est pourquoi la liturgie du premier dimanche de Pâques nous fait méditer sur les tentations que le Christ affronta dans le désert.
Comme Moïse, comme le peuple d’Israël, Jésus a lui aussi sa traversée du désert pour mettre à l’épreuve sa fidélité, pour donner des bases solides à sa propre action.
Mais alors que le peuple d’Israël dans le désert n’a pas su résister à la fatigue et à la tentation et a plusieurs fois manqué de fidélité à Dieu, Jésus, Lui, surmonte les trois tentations : celle du pain (Comment parler de Dieu à ceux qui ont tout en abondance ? Comment parler de Dieu à ceux qui ressentent la faim ?), celle du prestige (prestige de la science, de l’argent, d’une conduite morale irrépréhensible, de faire bonne figure, du nom, de l’honneur), celle du pouvoir (là où deux personnes se rencontrent, ressort une relation de pouvoir).
Ces épreuves sont maquillées en promesse, pour détacher le Fils du Père. Par trois fois, le diable dit à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu, fais… » Et par trois fois, Lui, il répond : « Mon Père ». Fidèle à l’amour du Père le Christ résiste aux trois formes d’une seule et même tentation : celle d’une vie construite de façon autonome comme celle du premier Adam (« vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal … ») et une vie de confidence et obéissance à Dieu, celle du second Adam. Jésus dit ici : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte », et au Gethsémani il dira : « Que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne » (Lc 22,42).
Imitons Jésus dans cet amour au Père et ce chemin se transformera en marche derrière Lui, le Rédempteur. Pour marcher à sa suite, nous avons l’exemple de personnages évangéliques que saint Grégoire de Nazianze décrit ainsi :
« Si tu es pareil à Simon de Cyrène, prends la croix et suit Le Christ.
Si tu es pareil au voleur suspendu à la croix, fait comme le bon voleur et reconnaît ton Dieu avec honnêteté, qui t’attendait dans l’épreuve. Il a été compté avec les pécheurs pour toi et pour ton péché, et pour que tu deviennes juste pour lui.
Si tu es pareil à Joseph d’Arimathie, réclame le corps à celui qui l’a crucifié, prends ce corps et fait ainsi tienne l’expiation du monde.
Si tu es pareil à Nicodème, l’adorateur nocturne de Dieu, enterre son corps et oint-le avec les onguents rituels, autrement dit en l’entourant de ton culte et de ton adoration.
Et si tu es pareil à une des Marie, laisse couler le matin tes larmes. Fais que tu sois la première à voir la pierre roulée sur le côté, va à la rencontre des anges et de Jésus lui-même. Voilà ce que veut dire participer à la Pâques du Christ, en vivant bien le Carême ».
Voulant continuer cette liste avec des personnes non présentes dans l’évangile, mais qui vivent évangéliquement, je me permets d’ajouter : « Si tu es vierge consacrée, sois comme une des vierges prudentes qui attendaient l’Époux avec abondance d’huile (qui indique la fidélité et la persévérance), pour que la lampe d’amour ne s’éteigne pas ». La vierge qui se consacre au Rédempteur se met définitivement sur un chemin de conversion, c’est-à-dire en condition d’union constante avec le Christ Époux. Avec la consécration, l’appartenance au Christ, qui avait commencé avec le baptême, prend une physionomie d’absoluité, d’amour indivis, car le cœur de la consacrée est désormais incapable de se satisfaire de n’importe quel autre amour. Le Christ est le vrai trésor, caché, la perle précieuse, et pour l’avoir celui qui l’a trouvée va vendre tout ce qu’il possède ses biens et l’achète (cf. Mt 13, 44- 46). A Dieu qui lui dit : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi » (cf. Is 43, 1), la vierge consacrée dit : « Me voici ». Et sa vie devient féconde comme celle de la Vierge Marie, Mère du Christ et de l’humanité entière.
Avant la Lecture patristique je propose cette prière pour le Carême
Rendez-moi, Seigneur Dieu, obéissant sans contradiction, pauvre sans défection, chaste sans corruption, patient sans protestation, humble sans fiction, joyeux sans dissipation, sérieux sans abattement, retenu sans rigidité, actif sans légèreté, animé de votre crainte sans désespoir, véridique sans duplicité, faisant le bien sans présomption, reprenant le prochain sans hauteur, l’édifiant de parole et d’exemple sans simulation.
(Saint Thomas d’Aquin)
Lecture Patristique
Saint Grégoire de Nazianze (329 – 389)
Discours 40, 10, PG 36, 370-371
Le baptisé, tenté comme le Christ
Si le persécuteur et le tentateur de la lumière vient t’assaillir après le baptême, – et certes il le fera, car il a bien assailli le Verbe, mon Dieu, dissimulé sous le voile de la chair, cette lumière cachée par son humanité visible, – tu as de quoi le vaincre ! Ne redoute pas le combat. Oppose-lui l’eau du baptême, oppose-lui cet esprit en qui s’éteignent les traits enflammés du Mauvais.
Si celui-ci te montre la pauvreté, – car il n’a pas hésité à la montrer au Christ lui-même – et si, te montrant la faim qui te menace, il te demande que les pierres deviennent du pain, dépiste ses intentions. Enseigne-lui ce qu’il ignore, oppose-lui cette Parole de vie qui est le Pain envoyé du ciel pour donner la vie au monde.
S’il t’attaque par les pièges de la vaine gloire – comme il l’a fait pour lui, en l’élevant sur le pinacle du Temple et en lui disant : Jette-toi en bas (Mt 4,6) pour donner une preuve de sa divinité -, ne te laisse pas abaisser par l’élévation de l’esprit. Car si cette épreuve le met en échec, il ne s’arrêtera pas pour autant. Il est insatiable, il attaque sur tous les fronts. Il flatte, avec une apparence de bénignité, mais il finit par le mal. C’est là sa stratégie. En outre, cet usurpateur est versé dans les Écritures. D’où ce refrain : Il est écrit, dit-il, au sujet du pain ; il est écrit au sujet des anges. Car il est écrit, dit-il, qu’il a donné pour toi des ordres à ses anges, ils te porteront sur leurs mains (Mt 4,6). O sophiste du mal ! Comment as-tu supprimé ce qui suit ? Car cela, je le comprends parfaitement, même si tu l’as caché : que je marcherai sur l’aspic et le basilic, qui te représentent ; que je foulerai aux pieds serpents et scorpions, car je serai entouré et protégé par la Trinité.
S’il t’attaque par la cupidité en te montrant en un moment, d’un seul coup d’œil, tous les royaumes comme s’ils lui appartenaient, en exigeant que tu l’adores, méprise-le comme le pauvre qu’il est. Dis-lui, encouragé par le sceau du baptême : « Moi aussi, je suis une image de Dieu, mais je n’ai pas, comme toi, été précipité de ma gloire céleste à cause de mon orgueil. J’ai revêtu le Christ. Par le baptême, le Christ m’appartient. C’est à toi de m’adorer. »
A ces paroles, crois-moi, il s’en ira, vaincu et humilié par ceux que le Christ a illuminés, comme il l’a été par le Christ, lumière primordiale.
Tels sont les bienfaits qu’apporté le bain du baptême à ceux qui reconnaissent sa force ; voilà le festin qu’il propose à ceux qui souffrent d’une faim méritoire.
[1] Le Dimanche in Albis (sous-entendu deponendis, appelé Dimanche in Albis Depositis dans le rite ambrosien, littéralement: « le dimanche où les vêtements blancs sont déposés ») est lié au rite du baptême: les nouveaux baptisés reçoivent et portent un vêtement blanc, signe de la vie divine qu’ils viennent de recevoir; les adultes baptisés pendant la Vigile pascale, le portent ensuite pendant toute la semaine de l’Octave de Pâques, jusqu’au dimanche suivant, qui est donc le dimanche où sont déposés les vêtements blancs.
[2] Ce dimanche a été proclamé fête de la divine miséricorde par le pape Saint Jean Paul II en 2000. Le culte de la divine miséricorde est lié à sainte Faustina Kowalska, la mystique polonaise canonisée pendant l’Année sainte de l’An 2000, pour qui Jean Paul II avait une grande dévotion, comme en témoigne son encyclique Dives in Misericordia, écrite en 1980 et consacrée donc à la Divine Miséricorde.