Cathedra Petri, basilique Saint-Pierre de Rome © WikiCommons

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De l’évêque de Rome au vicaire du Christ

Quel est l’origine du rôle que le pape joue dans le monde?

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Le rôle du pape dans l’Église et le monde, dont Zenit suit avec intérêt les actes de gouvernement et les déclarations, se dessine et se précise, à partir de son germe évangélique, au fil des siècles. Même si le pape François a fait retirer depuis 2020 le titre de « vicaire du Christ » de l’annuaire pontifical, son ministère comme pasteur universel, enraciné dans l’histoire, évolue en fonction des époques.

 

Ubi papa, ibi Roma : « là où se trouve le pape, là se trouve Rome ».

Cette règle lapidaire date du XIIIe siècle ; elle était destinée à faciliter l’organisation matérielle des déplacements du souverain pontife lors de ses voyages, ou tout simplement en temps de canicule pour respirer l’air frais des collines autour de la ville sainte. Elle répond à une conviction qu’affirmait déjà saint Ambroise huit cents ans plus tôt : « Là où est Pierre, là est l’Église. »

Pourtant, aux premiers siècles de notre ère, L’Église de Rome, constituait une communauté chrétienne au même titre que les autres Églises. Antioche, Corinthe, Alexandrie ou Carthage étaient également des centres importants de diffusion et le lien entre elles se développait sans hiérarchie et sans subordination de l’une à l’autre.

Sans pape non plus. On ne sait pas précisément quand s’impose le nom de « Pape ». Papa signifie père et le mot a une résonance affective. Le terme qualifiait au IIIe siècle certains dignitaires à Carthage et Alexandrie, et ce n’est qu’à partir de la fin du IVe siècle qu’il aurait été réservé à l’évêque de Rome. Chaque Église se gouverne elle-même, avec diacres et presbytres. La succession apostolique dès la fin du 1er siècle est assurée à Rome, mais la jeune Église reste dépendante du pouvoir politique romain.

Pôle d’attraction pour la mission chrétienne, la capitale de l’Empire donne une autorité particulière à son évêque. Pierre, le chef des apôtres, y est arrivé au milieu du Ier siècle pour annoncer l’Évangile, et il meurt martyrisé lors des persécutions de Néron, sans doute en 69. Quant à Paul, il y est conduit à la suite d’un procès : condamné à mort, il est exécuté entre 58 et 68. Ce double martyre renforce le culte discret de la chrétienté et lui donne une impulsion nouvelle – le  26 juin 1968, le pape Paul VI pourra annoncer que les reliques de Pierre ont été identifiées de façon convaincante.

Les successeurs de Pierre, évêques de Rome, jouissent d’un prestige particulier face aux autres cités, mais les documents précis manquent : la correspondance de saint Cyprien de Carthage au IIIe siècle indique que lorsqu’il y a conflit entre les communautés, c’est à l’Église de Rome que l’on demande d’arbitrer, mais celle-ci ne réclame pas un droit particulier à définir la doctrine : tous les évêques ont le même pouvoir. Avec la conversion de l’empereur Constantin au IVe siècle qui fait du christianisme la religion officielle (édit de Milan en 313), les évêques de Rome réclament une place à part avec certaines prérogatives, en particulier la préséance par rapport aux autres Églises. Il s’agit moins de prétendre à une supériorité qu’à une antériorité. C’est à Pierre que Jésus a dit : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. »

Bouleversements

En 330, Constantin inaugure la nouvelle capitale de l’Empire en Orient sur les rives du Bosphore, et y fait transférer son administration quelques années plus tard : dès ce moment l’Église de Constantinople réclame l’égalité avec celle de Rome, et même plus encore, la reconnaissance de sa supériorité sur les autres Églises d’Orient, en particulier, Alexandrie, Jérusalem et Antioche. L’Église est cette fois divisée en deux pôles rivaux.

La situation politique se tend entre Byzance et Rome. Les liens ne sont plus que formels – personne ne sait plus le latin à Constantinople ! La capitale romaine de son côté s’est enrichie de sanctuaires, de basiliques comme Sainte-Marie-Majeure, le Panthéon a été converti en église. Le « pape » réside au palais du Latran, et c’est à lui qu’on s’adresse en matière doctrinale, parfois aussi en matière disciplinaire lorsqu’il y a conflit. Son autorité temporelle s’accroît et peu à peu se substitue à celle d’un pouvoir politique qui s’effondre lorsque les invasions « barbares » s’abattent partout sur le fragile empire, hordes d’Attila qui s’arrêtent sous les murs de Rome, Vandales, Lombards qui s’installent à Ravenne. Le dernier empereur romain est assassiné en 480 : son successeur, un enfant, est déposé.

L’Empire n’existe plus qu’en Orient. Les Francs s’installent sur les ruines de l’Empire d’Occident. Mais la vie économique se poursuit sans effondrement majeur. Le christianisme résiste, les rois barbares se convertissent, l’assimilation contribue au renouveau. Le pape demande assistance au seul pouvoir fort qui émerge en Europe, celui des Francs devenus chrétiens. Pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, l’évêque de Rome quitte sa ville et franchit les Alpes : en 754, Etienne II se rend en France pour y couronner Pépin le Bref.

Charlemagne qui a accordé son aide militaire au pape Léon III reçoit de lui, en échange, la couronne d’empereur le 25 décembre 800. Grâce aux donations carolingiennes, le patrimoine de Saint-Pierre s’est élargi :  le Territoire dispose d’une centaine de kilomètres autour de la ville, entouré en 850 d’une muraille et le château Saint-Ange est transformé en une forteresse quasi imprenable. Otton Ier, roi de Germanie, se fait couronner empereur en 936 à Rome : l’Empire romain germanique (962) se présente alors comme l’héritier de l’Empire romain, restaurant le prestige de l’évêque de Rome.

Vicaire du Christ

L’Église fait encore partie, politiquement, de l’État, et les conflits ne l’épargnent pas. Il appartiendra au pape Grégoire VII (1074-1085) de mener une réforme destinée à libérer Rome des ingérences politiques et à affirmer sa suprématie sur l’ensemble de l’Église. Le pape intervient désormais dans les Églises locales et dans l’élection des évêques qu’il peut déplacer ou déposer ; il envoie ses légats dans les régions lointaines et il peut excommunier, ou prononcer un interdit frappant tout un royaume. C’est Urbain II (1088-1099), à Clermont en 1095, qui appellera directement les fidèles à la première Croisade en passant par-dessus l’autorité des souverains et provoquant l’enthousiasme. De vicaire de saint Pierre, le pape devient « vicaire du Christ » en l’an 1200. Cette formule est attribuée à Pierre Damien et s’est imposée grâce à saint Bernard de Clairvaux.

 

Sabine Melchior-Bonnet, historienne

 

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Bibliographie :

* Anne Bernet, Les Chrétiens dans l’Empire romain, Ier-IVe siècle, Tallandier, Texto, 2015.

* Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval: le Christianisme des origines à Constantin, Nouvelle Clio, Puf, 2014.

* Histoire du Christianisme, Desclée,  sous la direction de J.M. Mayeur et L. Pietri, A. Vauchez : t.1  « La papauté et l’épiscopat (primauté), l’Église de Rome et les autres Églises »

* Pour aller plus loin : En 1998, la Congrégation pour la doctrine de la foi avait publié, à la date du 31 octobre de la même année, un document exposant la réflexion de l’Église sur la primauté du successeur de saint Pierre. Le document signé Joseph Ratzinger, alors préfet de ladite congrégation, expose avec la clarté qui lui est connue les origines, la nature et la finalité de cette primauté. Le texte intégral se trouve sur le site Internet du Vatican : https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19981031_primato-successore-pietro_fr.html

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