« Je viens amplifier le cri de toutes les personnes qui implorent la paix, voie de développement essentielle pour notre monde globalisé », a déclaré le pape François dans son premier grand discours, devant les autorités, la société civile et le corps diplomatique au Kazakhstan, mardi 13 septembre, à 19h30.
Au Kazakhstan pour son 38ème Voyage apostolique (13-15 septembre 2022), le pape François a rencontré dans la capitale, les autorités, la société civile et le corps diplomatique, au Qazak Concert Hall de Nour-Soultan, mardi 13 septembre, à 19h30. Le pape a défendu le principe d’une « laïcité saine » et de la démocratie, qui est « la forme la plus appropriée pour que le pouvoir se traduise dans le service du peuple tout entier et pas seulement de quelques-uns ».
Le pape François a salué la « vocation particulière » du Kazakhstan, « pays de la rencontre ». « Je souhaite, a-t-il dit, que le nom de ce grand pays continue d’être synonyme d’harmonie et de paix ». Etant situé au « carrefour d’importants nœuds géopolitiques », le Kazakhstan « joue donc un rôle fondamental dans l’atténuation des conflits », a insisté François.
Le pape a rendu hommage à la Constitution du Kazakhstan qui, définissant le pays comme « laïque, prévoit judicieusement la liberté de religion et de croyance ». Il a également encouragé le processus de démocratisation récemment initié dans le pays, « un chemin méritoire et exigeant, surement long, qui nécessite de persévérer vers le but sans revenir en arrière ».
Discours du pape François
Monsieur le Président de la République,
Distingués membres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
Illustres Autorités religieuses et civiles,
Insignes Représentants de la société civile et du monde de la culture,
Mesdames et Messieurs !
Je vous salue cordialement et je remercie Monsieur le Président pour les paroles qu’il m’a adressées. Je suis honoré d’être ici avec vous, sur cette terre aussi vaste qu’ancienne, où je viens comme pèlerin de paix, en recherche de dialogue et d’unité. Notre monde en a un besoin urgent, il a besoin de retrouver l’harmonie. Harmonie qui dans ce pays est bien représentée par un instrument de musique traditionnel et caractéristique dont j’ai entendu parler : la dombra. Elle constitue un emblème culturel et l’un des symboles les plus importants du Kazakhstan, si bien qu’une journée spécifique lui a été consacrée récemment. Je voudrais prendre la dombra comme l’élément autour duquel j’articulerai ce que je désire partager avec vous.
En me préparant à ce voyage j’ai appris que l’on jouait déjà de la dombra à l’époque médiévale et que, au fil des siècles, elle a accompagné les récits musicaux de sagas et d’œuvres poétiques, unissant le passé au présent. Symbole de continuité dans la diversité, elle rythme donc la mémoire du pays, et elle rappelle ainsi l’importance, face aux rapides changements économiques et sociaux en cours, de ne pas négliger les liens avec la vie de ceux qui nous ont précédés, même à travers ces traditions qui permettent de tirer profit du passé et de valoriser ce dont on a hérité. Je pense, par exemple, à la belle coutume répandue ici de préparer, le vendredi matin, sept pains en honneur des ancêtres.
La mémoire du Kazakhstan, que le Pape Jean-Paul II, venu ici en pèlerin, a défini comme « terre de martyrs et de croyants, terre de déportés et de héros, terre de penseurs et d’artistes » (Discours à l’occasion de la cérémonie de bienvenue, 22.9.2001), porte une glorieuse histoire de culture, d’humanité et de souffrance. Comment ne pas se rappeler, en particulier, les camps d’emprisonnement et les déportations de masse qui ont vu l’oppression de tant de populations dans les villes et dans les steppes infinies de ces régions ? Mais les Kazakhs ne se sont pas laissé emprisonner par ces exactions : du souvenir de la réclusion, a fleuri le souci de l’inclusion. Que sur cette terre, foulée depuis l’Antiquité par de grands déplacements de peuples, le souvenir de la souffrance et des épreuves vécues soit un bagage indispensable pour s’acheminer vers l’avenir en mettant au premier plan la dignité de l’homme, de tout homme et de tout groupe ethnique, social ou religieux.
Revenons à la dombra : on en joue en pinçant ses deux cordes. Le Kazakhstan se caractérise également par sa capacité à avancer en créant une harmonie entre “deux cordes parallèles” : des températures aussi basses en hiver qu’élevées en été ; la tradition et le progrès, symbolisés par la rencontre de villes historiques avec d’autres modernes, comme cette capitale. Surtout, les notes de deux âmes, l’âme asiatique et l’âme européenne, résonnent dans le pays, faisant de lui une permanente « mission de pont entre deux continents » (Id., Discours aux jeunes, 23.9.2001) ; « un pont entre l’Europe et l’Asie », un « anneau de conjonction entre l’Orient et l’Occident » (Id., Discours lors de la cérémonie de départ, 25.9.2001). Les cordes de la dombra résonnent d’habitude avec d’autres instruments à cordes typiques de ces lieux : l’harmonie mûrit et grandit dans l’ensemble, dans un chœur qui rend harmonieuse la vie sociale. « La source du succès, c’est l’unité », dit un beau proverbe local. Si cela vaut partout, c’est vrai ici en particulier : les quelques cent-cinquante groupes ethniques et les plus de quatre-vingts langues parlées dans le pays, avec des histoires, des traditions culturelles et religieuses variées, composent une symphonie extraordinaire et font du Kazakhstan un laboratoire multi-ethnique, multiculturel et multireligieux unique, en révélant sa vocation particulière, celle d’être un pays de la rencontre.
Je suis ici pour souligner l’importance et l’urgence de cet aspect, auquel les religions sont particulièrement appelées à contribuer ; c’est pourquoi j’aurai l’honneur de prendre part au septième Congrès des Leaders des Religions mondiales et traditionnelles. La Constitution du Kazakhstan, en le définissant comme laïque, prévoit judicieusement la liberté de religion et de croyance. Une laïcité saine, qui reconnaisse le rôle précieux et irremplaçable de la religion et qui s’oppose à l’extrémisme qui la ronge, est une condition essentielle pour traiter équitablement chaque citoyen et pour favoriser un sentiment d’appartenance au pays de toutes ses composantes ethniques, linguistiques, culturelles et religieuses. En effet, puisqu’elles jouent un rôle irremplaçable dans la recherche et le témoignage de l’Absolu, les religions ont besoin de la liberté de s’exprimer. Par conséquent, la liberté religieuse constitue le meilleur berceau de la coexistence civile.
C’est un besoin inscrit dans le nom de ce peuple, dans le mot “kazakh”, qui évoque justement la marche libre et indépendante. La préservation de la liberté, aspiration écrite dans le cœur de tout homme, seule condition pour que la rencontre entre les personnes et les groupes soit réelle et non artificielle, se traduit dans la société civile principalement par la reconnaissance des droits, accompagnés des devoirs. Je voudrais saluer ici l’affirmation de la valeur de la vie humaine à travers l’abolition de la peine de mort, au nom du droit à l’espérance pour chaque être humain. En outre, il est important de garantir les libertés de pensée, de conscience et d’expression, afin de donner de la place au rôle unique et égal que chacun revêt pour l’ensemble.
Là aussi, la dombra peut nous stimuler. Elle est principalement un instrument musical et populaire et, en tant que telle, elle communique la beauté de conserver le génie et la vivacité d’un peuple. Ceci est confié avant tout aux autorités civiles, premières responsables de la promotion du bien commun, et cela se réalise de manière particulière par le soutien à la démocratie, qui constitue la forme la plus appropriée pour que le pouvoir se traduise dans le service du peuple tout entier et pas seulement de quelques-uns. Je sais que ces derniers mois en particulier, un processus de démocratisation visant à renforcer les compétences du Parlement et des autorités locales et, plus généralement, une meilleure répartition du pouvoir, a été engagé. C’est un chemin méritoire et exigeant, surement long, qui nécessite de persévérer vers le but sans revenir en arrière. En effet, la confiance dans les gouvernants augmente lorsque les promesses ne sont pas instrumentalisées, mais sont effectivement mises en œuvre.
Partout, il faut que la démocratie et la modernisation ne soient pas réduites à des proclamations, mais qu’elles convergent dans un service concret du peuple : une bonne politique faite d’écoute des personnes et de réponses à leurs besoins légitimes, d’une implication constante de la société civile et des organisations non gouvernementales et humanitaires, d’une attention particulière à l’égard des travailleurs, des jeunes et des groupes les plus faibles. Et aussi – chaque pays du monde en a besoin – de mesures de lutte contre la corruption. Ce style politique réellement démocratique est la réponse la plus efficace à d’éventuels extrémismes, personnalismes et populismes, qui menacent la stabilité et le bien-être des peuples. Je pense aussi à la nécessité d’une certaine sécurité économique, qui au début de l’année, a été invoquée ici dans des régions où, en dépit de ressources énergétiques importantes, on éprouve diverses difficultés. C’est un défi qui ne concerne pas seulement le Kazakhstan, mais le monde entier, dont le développement intégral est pris en otage par une injustice généralisée, de sorte que les ressources sont inégalement distribuées. Et il appartient à l’État, mais aussi au secteur privé, de traiter toutes les composantes de la population avec justice et égalité de droits et de devoirs, et de promouvoir le développement économique non pas en raison des gains d’un petit nombre, mais de la dignité de chaque travailleur.
Revenons pour la dernière fois à la dombra – on dira que ce Pape est musicien –. Elle rapproche le Kazakhstan de différents pays de la région environnante et contribue à répandre la culture dans le monde. De même, je souhaite que le nom de ce grand pays continue d’être synonyme d’harmonie et de paix. Le Kazakhstan se présente comme un carrefour d’importants nœuds géopolitiques : il joue donc un rôle fondamental dans l’atténuation des conflits. Ici Jean-Paul II est venu semer l’espérance immédiatement après les tragiques attentats de 2001. Je viens au cours de la folle et tragique guerre causée par l’invasion de l’Ukraine, tandis que d’autres affrontements et menaces de conflits mettent en danger notre époque. Je viens amplifier le cri de toutes les personnes qui implorent la paix, voie de développement essentielle pour notre monde globalisé. Et c’est cela, la paix : une voie de développement essentielle pour notre monde globalisé.
Il est donc de plus en plus urgent d’élargir l’engagement diplomatique en faveur du dialogue et de la rencontre, car le problème d’un seul est aujourd’hui le problème de tous, et celui qui détient le plus de pouvoir au monde a plus de responsabilités à l’égard des autres, spécialement des pays les plus en crise à cause des logiques conflictuelles. C’est à cela qu’il faut penser, et pas seulement aux intérêts qui profitent à chacun. Il est temps d’éviter d’accentuer les rivalités et de renforcer les blocs opposés. Nous avons besoin de leaders qui, au niveau international, permettent aux peuples de se comprendre et de dialoguer, et génèrent un nouvel “esprit d’Helsinki”, la volonté de renforcer le multilatéralisme, de construire un monde plus stable et pacifique en pensant aux nouvelles générations. Et pour ce faire, il faut de la compréhension, de la patience et du dialogue avec tous. Je le répète, avec tous.
C’est en pensant à l’engagement global pour la paix que j’apprécie vivement le renoncement aux armes nucléaires que ce pays a entrepris avec détermination ; et de même pour le développement de politiques énergétiques et environnementales axées sur la décarbonisation et l’investissement dans des sources propres, que l’Exposition internationale d’il y a cinq ans a mis en évidence. Avec une attention au dialogue interreligieux, ce sont des semences concrètes d’espérance plantées dans le terrain commun de l’humanité, qu’il nous appartient de cultiver pour les générations futures ; pour les jeunes, aux désirs desquels il faut se référer pour entreprendre les choix d’aujourd’hui et de demain. Le Saint-Siège vous est proche dans ce parcours : immédiatement après l’indépendance du pays, il y a trente ans, des relations diplomatiques ont été établies et je suis heureux de visiter le pays à l’approche de cet anniversaire. Je puis assurer que les catholiques, présents en Asie centrale depuis les temps anciens, désirent continuer à témoigner de l’esprit d’ouverture et de dialogue respectueux qui distingue cette terre. Et ils le font sans esprit de prosélytisme.
Monsieur le Président, chers amis, je vous remercie pour l’accueil que vous m’avez réservé et qui révèle votre sens bien connu de l’hospitalité, ainsi que pour l’occasion de passer ces journées de dialogue fraternel avec les leaders de nombreuses religions. Que le Très-Haut bénisse la vocation de paix et d’unité du Kazakhstan, pays de la rencontre. À vous, qui avez la responsabilité prioritaire du bien commun, et à chacun de ses habitants, j’exprime ma joie d’être ici et ma volonté d’accompagner par la prière et la proximité tout effort pour un avenir prospère et harmonieux de ce grand pays. Raqmét ! [merci !] Que Dieu bénisse le Kazakhstan !
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