« Avec l’invitation à accueillir le Christ, le Fils de Dieu, l’Amour incarné qui se met au service de la vérité et de l’amour. »
Lectures de la messe du dimanche 30 janvier 2022.
Accueillir avec intelligence
et avec le cœur
la Parole qui libère
Prémisse.
C’est à Nazareth, village où le Messie a vécu caché jusqu’à trente ans, que s’ouvre le chemin ardu de la croix : d’un accueil festif à une douloureuse expulsion.
C’est la mission du Prophète et de tout prophète qui veut rester dans la Vérité. Mais, comme au temps d’Elie et d’Elisée, l’accueil vient de l’extérieur. Et Jésus, non accueilli, de façon élégante, passe au milieu, le mystère de Pâques, et continue son chemin vers le Père et nous demande de cheminer avec lui.
Jésus, le Fils de Dieu, c’est l’envoyé de Dieu qui s’est fait homme, conscient de sa mission. Un homme qui ne parle pas, ne raisonne pas et ne pense plus comme un enfant. Le prophète, le vrai prophète, a éliminé la pensée de l’enfant, tandis que l’enfant conserve l’innocence et l’étonnement.
1) La parole dite, écoutée et accueillie.
La phrase finale de l’Evangile de dimanche dernier est reprise au début de celui de ce dimanche. Cette phrase est : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21).
De qui sont les paroles formulées par Isaïe? Du Christ, du Fils de Dieu qui s’est fait comme nous pour nous faire comme Lui, pour nous sauver en nous réconciliant avec Dieu, pour que nous connaissions l’amour de Dieu et qu’Il soit notre modèle de sainteté, pour faire de nous des ‘participants à la nature divine’ (2 Pt 1,4) (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n 456 – 460)
Où? Dans les oreilles et à Nazareth.
Dans les oreilles pour enseigner que la parole agit en ceux qui l’écoutent, pour la comprendre et l’appliquer. Car « la foi naît toujours de la parole de Dieu — cette écoute, naturellement, n’est pas seulement celle des sens, car des sens, elle passe à l’esprit et au cœur » (Benoît XVI, 10.11. 2012). « Ecouter Jésus renforce notre foi » (François, 6.09. 2015), l’amour est sa mesure.
A Nazareth, c’est-à-dire là où Jésus Christ a grandi en grâce et sagesse, où pendant trente ans il a mené une vie si normale que tous ses concitoyens pensaient qu’il était le simple fils d’un simple menuisier. Dans cette ville, Dieu qui s’est fait homme a conduit une vie d’homme, trente années de vie ordinaire.
Quand? Aujourd’hui. Dans l’Evangile de Luc, le terme « aujourd’hui » n’est pas une simple précision de temps, mais s’inscrit dans un contexte de salut qui est en train de se réaliser. L’ « aujourd’hui » de l’évangile est l’ « aujourd’hui » de Dieu, de son amour, de sa miséricorde. C’est revivre jusqu’au bout les merveilleuses paroles de Jésus: « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison” (Lc 19, 5) et « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi (Zachée) est un fils d’Abraham” (Lc 19, 9). Le salut c’est pour « aujourd’hui », pas pour « après », quand nous serons plus meilleurs. Notre souffrance de pécheurs repentis suffit pour être confirmés dans son amour. Il frappe à notre porte aujourd’hui, nous ne devons pas attendre demain: Le Christ est venu sur terre pour que « nous ayons tous la vie, la vie en abondance » (Jn 10,10). Et c’est de cet « Amour miséricordieux » que notre « aujourd’hui » a besoin, comme le pape François nous le rappelle si souvent.
Donc, aujourd’hui, à Nazareth, dans la synagogue de notre cœur, Jésus se présente comme un nouveau prophète, car il n’est pas quelqu’un qui annonce des choses à venir, mais le libérateur venu traduire les paroles de Dieu en actes, aujourd’hui. Il se présente sous les traits de celui qui est venu porter à son accomplissement l’ancienne espérance contenue dans la prophétie d’Isaïe: grâce à Lui la libération des opprimés et la bonne nouvelle pour les pauvres, la guérison des aveugles et le pardon des pécheurs sont finalement devenus une réalité, aujourd’hui.
Si l’on me demandait de résumer en quelques mots ce premier paragraphe, je dirais que la parole est éternelle, donc qu’elle vaut toujours, mais se réalise dans le temps présent, se réalise dans la mesure où aujourd’hui nous l’écoutons avec les oreilles et l’accueillons avec l’intelligence et le cœur.
2) Comment se laisser surprendre par la vérité.
La deuxième phrase de l’Evangile du jour nous dit: « Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient: « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » (Lc 4, 22). Si on fait le lien avec la première phrase « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Ibid. 4, 21), nous devons remarquer que Jésus ne fait pas de longs commentaires sur ce que dit Isaïe, mais explique que les paroles du prophète renferment son programme pour un monde libéré, sans désespoir, sans pauvreté, sans aveugles ni opprimés. Il vise l’humain dans son intégralité, et tout monde dans la synagogue de Nazareth, comprend ces paroles jamais dites, des paroles de grâces qui font du bien. Mais la surprise et l’enthousiasme passent rapidement. Les habitants de Nazareth connaissaient leur camarade. Ils ont grandi avec lui, partagé son quotidien « ordinaire ». Cette connaissance étouffe la surprise et l’étonnement qu’auraient du provoquer ses paroles inédites, ces paroles de grâces. L’habitude – trente années de vie normale – a tué la surprise de la rencontre. La vie s’éteint quant l’esprit et le cœur ne sont pas ouverts à la nouveauté, ne vivent pas dans l’attente de cette nouveauté, arrivée dans leur quotidien comme quelque chose de normal. La vie s’éteint quand meurent les attentes. Sans cette attente, une attente orante, l’habitude éteint le mystère et la surprise, et l’autre, au lieu d’être le Ciel sur la terre, une Bénédiction de Dieu marchant sur terre, n’est plus que le fils de Joseph, un simple menuisier.
Ce qui semble un grand rêve, une utopie irréalisable, se réalise en Jésus et ainsi
– nous aveugles que nous étions, nous mettons à voir, venons à la vraie lumière,
– nous esclaves que nous étions, apprenons la vérité de l’amour qui nous libère,
– nous que le mal opprimait, la miséricorde nous libère.
L’attente du Sauveur favorise l’étonnement et évite de rejeter le Christ, de trouver scandaleux que la Parole, le plan de Dieu, se réalise dans la chair de cette homme, qui semble un homme quelconque, alors qu’il est le Vrai Homme, le vrai Dieu, le Frère de l’homme.
On ne saurait oublier les paroles du vieux Siméon accueillant Jésus au temple. Il chanta: « Il (le Christ) est la lumière qui se révèle aux nations, mais il sera un signe de contradiction” (cf. Lc 2, 32.34, signe de Dieu qui suscite stupeur, contestation et rejet.
Certes, il y a un écart entre l’étonnement, l’émerveillement, les attentes que nourrissaient les concitoyens de Jésus et les nôtres aujourd’hui. Comment surmonter cet écart? Avec le discernement et la docilité, suggère le pape François, qui nous dit : « la parole de Dieu vient à nous et illumine l’état de notre cœur, de notre âme »: en un mot, « elle discerne ». Et précisément les deux lectures — a-t-il dit — « nous parlent de cette attitude que nous devons avoir », devant la « parole de Dieu: la docilité ». Il s’agit, a-t-il affirmé, d’« être dociles à la parole de Dieu. La parole de Dieu est vivante. C’est pourquoi elle vient et dit ce qu’elle veut dire : pas ce que je m’attends à ce qu’elle dise ou que j’espère qu’elle dise ou que je veux qu’elle dise ». La parole de Dieu « est libre ». Et Dieu, notre Dieu, n’est pas un Dieu des habitudes, c’est un Dieu des surprises: Il vient et rend neuve toute chose. Il est la nouveauté même. L’Evangile est « nouveauté ». La révélation est « nouveauté ». « Notre Dieu — poursuit le pape – est un Dieu qui apporte toujours du nouveau. Et il nous demande d’être dociles à sa nouveauté ». Donc « Dieu doit être reçu avec cette ouverture à la nouveauté ». Et cette attitude « s’appelle docilité » (20 janvier 2014).
Si au lieu de vivre cette attente avec docilité et discernement, nous la vivons comme quelque chose que l’on est en droit « de prétendre », non seulement on ne reconnaîtra pas le Christ mais on se fâchera, comme ce fut le cas pour les nazaréens. Jésus est plein d’Esprit, de vie et d’amour, ses concitoyens passèrent de la stupeur à la colère, qui est l’esprit de mort. Ils le chassèrent de la ville et le conduisirent sur la montagne. Ils voulaient le jeter d’en haut, mais Lui, passa au milieu d’eux et poursuivit sa marche[1].
Avoir de la « docilité » est important, ce n’est pas un synonyme de « faiblesse ». Cette attitude est au contraire liée à la prudence[2]. Et il est important d’avoir un « cœur docile, autrement dit « une conscience qui sait écouter, sensible à la voix de la vérité, donc capable de discerner le bien du mal » (Benoît XVI). On a un bel exemple de cela chez les Vierges consacrées dans le monde qui ont répondu avec « discernement » à la vocation de Dieu qui les appelle à être des épouses du Christ. Celles-ci Lui ont offert leur « cœur » avec humilité et simplicité. Les vierges consacrées témoignent que la docilité ne les a pas transformées en personnes inutiles, dépendantes, influençables, sans caractère et incapables de prendre des décisions. En effet « la docilité au Christ dans l’Esprit Saint est le chemin qui conduit à la sainteté » (P. Louis Lallement, SJ[3]) parcouru par des femmes adultes qui suivent leur Epoux le Christ, le « doux » Agneau immolé pour le salut du monde. Etre dociles, doux, comme le Christ, veut dire participer activement à sa passion.
Le Christ, avec « docilité » et sa force prit sur lui la lourde croix de nos péchés. Les Vierges sont à la fois fortes et « dociles » pour suivre le Rédempteur et rester au pied de sa croix, comme a fait la Vierge Marie.
Pour être dociles à l’Esprit il faut vivre avec la Vierge Marie et avec sa pureté, et toute notre âme sera donnée au Christ uniquement; une virginité non seulement physique, mais également spirituelle. Une virginité qui refuse toute pensée, tout souvenir, tout affect qui ne soit pas pour lui. Tout l’être de la personne consacrée se consume en un geste d’amour qui l’unit à son Epoux divin. Et pas la pureté et la simplicité seulement, mais aussi l’humilité et la docilité. (cf rituel de consécration des vierges, n° 24 : « Par la grâce de ton Esprit Saint, qu’il y ait toujours en elles prudence et simplicité, douceur et sagesse, gravité et délicatesse, réserve et liberté. »)
Lecture patristique
Saint Cyrille d’Alexandrie (+ 444)
Sur le prophète Isaïe, 5, 5 (PG 70, 1352 1353)
Le Christ a voulu amener à lui le monde entier et conduire à Dieu le Père tous les habitants de la terre. Il a voulu rétablir toutes choses dans un état meilleur et renouveler, pour ainsi dire, la face de la terre. Voilà pourquoi, bien qu’il fût le Seigneur de l’univers, il a pris la condition de serviteur (Ph 2,7). Il a donc annoncé la bonne nouvelle aux pauvres, affirmant qu’il avait été envoyé dans ce but. Les pauvres, ou plutôt les gens que nous pouvons considérer comme pauvres, sont ceux qui souffrent d’être privés de tout bien, ceux qui n’ont pas d’espérance et sont sans Dieu dans le monde (Ep 2,12), comme dit l’Écriture.
Ce sont, nous semble-t-il, les gens venus du paganisme et qui, enrichis de la foi dans le Christ, ont bénéficié de ce divin trésor: la proclamation qui apporte le salut. Par elle, ils sont devenus participants du Royaume des cieux et compagnons des saints, héritiers des réalités que l’homme ne peut comprendre ni exprimer. Ce que, d’après l’Apôtre, l’oeil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (1Co 2,9).
A ceux qui ont le coeur brisé, le Christ promet la guérison et le pardon des péchés, et il rend aussi la vue aux aveugles. Comment ne seraient-ils pas aveugles, alors qu’ils adorent une créature, qu’ils disent à un morceau de bois: « Tu es mon père « , et à une pierre: « Tu m’a mis au monde » (Jr 2,27) et qu’ils ne reconnaissent pas Celui qui est Dieu véritable et par nature? Leur coeur n’est-il pas privé de la lumière divine et spirituelle? A eux, le Père envoie la lumière de la vraie connaissance de Dieu. Car, appelés par la foi, ils l’ont connu; plus encore, ils ont été connus par lui. Alors qu’ils étaient fils de la nuit et des ténèbres, ils sont devenus enfants de la lumière car le jour les a illuminés, le Soleil de justice s’est levé pour eux, et l’étoile du matin leur est apparue dans tout son éclat.
Rien pourtant ne s’oppose à ce que nous appliquions tout ce que nous venons de dire aux descendants d’Israël. Eux aussi, en effet, avaient le coeur brisé, ils étaient pauvres et comme prisonniers, et remplis de ténèbres. <> Mais le Christ est venu annoncer les bienfaits de son avènement, précisément aux descendants d’Israël avant les autres, et proclamer en même temps l’année de grâce du Seigneur et le jour de la récompense.
L’année de grâce, c’est celle où le Christ a été crucifié pour nous. Car c’est alors que nous sommes devenus agréables à Dieu le Père. Et nous portons du fruit par le Christ, comme lui-même nous l’a enseigné, en disant: Amen, amen, je vous le dis: si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il donne un fruit plus abondant (Jn 12,24). Il dit encore: Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (Jn 12,32). En vérité, il a repris vie le troisième jour, après avoir foulé aux pieds la puissance de la mort. Puis il a dit aux saints disciples: Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du F ils, et du Saint-Esprit (Mt 28,18-19).
NOTES
[1] Je traduis littéralement l’Evangile en grec qui utilise ἐπορεύετο de πορεύομαι, qui veut dire « marcher » même si la traduction liturgique dit : « s’en alla ». « il marchait » c’est diffèrent. « S’en aller » peut être compris comme: « je vous abandonne ». « Marcher », au contraire, veut dire que rien n’arrête Jésus, Il poursuit sa mission d’amour. La mort ne l’arrêtera pas. Personne ne l’arrêtera. Il sait attendre, sait marcher, sait nous chercher comme le Bon Pasteur parti à la recherche de sa brebis égarée.
[2] Saint Thomas d’Aquin affirme que la docilité est la plus importante des qualités pour avoir un jugement juste, un jugement conscient, à partir du moment où la réalité de la vie est complexe et que nous sommes occupés par les passions (S. Th. II-II. q. 49, a. 3).
[3] Louis Lallement est un auteur classique de spiritualité chrétienne. Il est né le 1° novembre 1588 à Châlons sur Marne en Champagne. Dès tout petit, il a été mis au collège des jésuites à Bourges; à 17 ans il était novice au sein de la Compagnie; à 33 ans il prononçait ses voeux. Successivement, il a été professeur de mathématiques, philosophie, théologie morale, scolastique. Il est mort le 5 avril 1635 à Bourges (France).
Un de ses confrères, le P. Champion, SJ, a laissé deux portraits de P. Louis Lallement, SJ, l’un physique et l’autre spirituel, qui méritent d’être rappelés. « Il était d’une taille haute, d’un port majestueux : il avait le front large et serein, le poil et les cheveux châtain, la tête déjà chauve, le visage ovale et bien proportionné, le teint un peu basané, et les joues ordinairement enflammées du feu céleste qui brûlait son cœur ; les yeux pleins d’une douceur charmante, et qui marquaient la solidité de son jugement et la parfaite égalité de son esprit … ». « Un esprit éminent et capable de toutes les sciences ;un jugement pénétrant et solide ; un naturel doux, franc et honnête; beaucoup d’amour pour l’étude ; une horreur extrême du vice, et principalement de l’impureté ; une haute idée du service de Dieu et un attrait particulier pour la vie intérieure … ».