« La migration n’est pas seulement une histoire de migrants mais d’inégalités, de désespoir, de dégradation de l’environnement, de changement climatique, mais aussi de rêves, de courage, d’études à l’étranger, de regroupement familial, de nouvelles opportunités, de sécurité et de protection et de travail dur mais décent »: le pape analyse le phénomène migratoire dans un message vidéo adressé à l’occasion du 70e anniversaire de la création de l’Organisation internationale pour les migrations (IOM).
Le texte, dont l’original est en espagnol, mais aussi publié en italien et en anglais par le Saint-Siège, a été lu par le secrétaire d’État, le cardinal Secrétaire d’Etat, Pietro Parolin, pour cet anniversaire célébré à Genève, ce 29 novembre 2021.
Le pape évoque les différentes traditions religieuses: « Dans la plupart des grandes traditions religieuses, y compris le christianisme, nous trouvons un enseignement qui nous exhorte à traiter les autres comme nous voulons être traités et à aimer notre prochain comme nous-mêmes. D’autres enseignements religieux insistent pour que l’on dépasse cette norme et que l’on ne néglige pas l’hospitalité avec l’étranger. »
Message du pape François
Directeur général,
Madame la présidente,
Distingués participants :
Je voudrais exprimer mes félicitations à l’Organisation internationale pour les migrations pour ses 70 ans de service aux migrants. Cette étape importante dans l’histoire de l’Organisation, malgré les multiples défis posés par la pandémie de COVID-19, offre l’opportunité de renouveler notre vision et notre engagement à travers une réponse plus digne au phénomène migratoire.
Il y a dix ans, lors de la 100e session de ce Conseil, par décision de mon cher prédécesseur, le Pape Benoît XVI, le Saint-Siège, d’une manière conforme à sa nature, ses principes et normes spécifiques, a choisi de devenir un État membre de cette Organisation . Les motivations sous-jacentes qui ont motivé une telle décision restent aujourd’hui plus valables et plus urgentes [1] :
1. Affirmer la dimension éthique du déplacement de population.
2. Offrir, à travers son expérience et son réseau consolidé d’associations sur le terrain à travers le monde, la collaboration de l’Église catholique dans les services internationaux dédiés aux personnes déracinées.
3. Fournir une assistance globale en fonction des besoins, sans distinction, basée sur la dignité inhérente à tous les membres d’une même famille humaine.
Le débat sur la migration ne concerne pas vraiment les migrants. Autrement dit, il ne s’agit pas que des migrants : il s’agit de nous tous, du passé, du présent et de l’avenir de nos sociétés [2]. Nous ne devons pas être surpris par le nombre de migrants, mais plutôt les rencontrer tous en tant que personnes, en voyant leurs visages et en écoutant leurs histoires, en essayant de répondre le mieux possible à leurs situations personnelles et familiales uniques. Cette réponse demande beaucoup de sensibilité humaine, de justice et de fraternité. Il faut éviter une tentation très courante aujourd’hui : se débarrasser de tout ce qui est gênant [3]. C’est précisément la « culture de l’élimination » que j’ai tant dénoncée.
Dans la plupart des grandes traditions religieuses, y compris le christianisme, nous trouvons un enseignement qui nous exhorte à traiter les autres comme nous voulons être traités et à aimer notre prochain comme nous-mêmes. D’autres enseignements religieux insistent pour que l’on dépasse cette norme et que l’on ne néglige pas l’hospitalité avec l’étranger, « car par elle certains, sans le savoir, ont reçu la visite d’anges » (He 13,2). Sans aucun doute, ces valeurs universellement reconnues doivent guider notre façon de traiter des migrants dans la communauté locale et au niveau national.
On entend souvent parler de ce que font les États pour accueillir les migrants. Mais il est tout aussi important de se demander : quels avantages les migrants apportent-ils aux communautés qui les accueillent et comment les enrichissent-elles ? D’une part, sur les marchés des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, la main-d’œuvre migrante est très demandée et accueillie comme un moyen de compenser le manque de main-d’œuvre. D’un autre côté, les migrants sont souvent rejetés et soumis à des attitudes de ressentiment par nombre de leurs communautés d’accueil.
Malheureusement, ce double standard découle de la prédominance des intérêts économiques sur les besoins et la dignité de la personne humaine. Cette tendance était particulièrement évidente lors des « confinements » de la COVID-19, lorsque de nombreux travailleurs « essentiels » étaient des migrants, mais ne bénéficiaient pas des avantages des programmes d’aide financière COVID ni de l’accès aux soins de santé de base ou aux vaccins COVID.
Il est encore plus regrettable que les migrants soient de plus en plus utilisés comme monnaie d’échange, comme des pions sur l’échiquier, victimes de rivalités politiques. Comme nous le savons tous, la décision d’émigrer, de quitter la terre natale ou le territoire d’origine, est sans aucun doute l’une des plus difficiles de la vie.
Comment la souffrance et le désespoir peuvent-ils être exploités pour faire avancer ou défendre des agendas politiques ? Comment les considérations politiques peuvent-elles prévaloir lorsque la dignité de la personne humaine est en jeu ? Le manque fondamental de respect de l’humain aux frontières nationales nous minimise tous dans notre « humanité ». Au-delà des aspects politiques et juridiques des situations irrégulières, nous ne devons jamais perdre de vue le visage humain de la migration et le fait qu’au-delà des divisions géographiques des frontières, nous faisons partie d’une même famille humaine.
Je voudrais profiter de cette occasion pour faire quatre observations :
1. Il est urgent de trouver des voies dignes pour les situations irrégulières. Le désespoir et l’espérance l’emportent toujours sur les politiques restrictives. Plus il y a de voies légales, moins il sera probable que les migrants soient entraînés dans les réseaux criminels des trafiquants de personnes ou dans l’exploitation et les abus pendant le trafic.
2. Les migrants rendent visible le lien qui unit toute la famille humaine, la richesse des cultures et la ressource pour les échanges de développement et les réseaux commerciaux qui constituent les communautés de la diaspora. En ce sens, la question de l’intégration est fondamentale ; l’intégration implique un processus à double sens, basé sur la connaissance mutuelle, l’ouverture réciproque, le respect des lois et de la culture des pays d’accueil dans un véritable esprit de rencontre et d’enrichissement mutuels.
3. La famille migrante est une composante cruciale des communautés dans notre monde globalisé, mais dans trop de pays, les travailleurs migrants se voient refuser les avantages et la stabilité de la vie familiale en raison d’obstacles juridiques. Le vide humain laissé lorsqu’un parent émigre seul est un rappel brutal du dilemme accablant d’être contraint de choisir entre émigrer juste pour nourrir sa famille ou jouir du droit fondamental de rester dans son pays d’origine avec dignité.
4. La communauté internationale doit s’attaquer d’urgence aux conditions qui donnent lieu à la migration irrégulière, faisant ainsi de la migration un choix éclairé et non une nécessité désespérée. Étant donné que la plupart des personnes qui peuvent vivre décemment dans leur propre pays d’origine ne se sentiraient pas obligées d’émigrer irrégulièrement, des efforts sont nécessaires de toute urgence pour « créer de meilleures conditions économiques et sociales [..] afin que l’émigration ne soit pas la seule option pour ceux qui recherchent la paix, la justice, la sécurité et le plein respect de la dignité humaine »[4].
En bref, la migration n’est pas seulement une histoire de migrants mais d’inégalités, de désespoir, de dégradation de l’environnement, de changement climatique, mais aussi de rêves, de courage, d’études à l’étranger, de regroupement familial, de nouvelles opportunités, de sécurité et de protection et de travail dur mais décent.
En conclusion, la réalisation d’une gestion globale adéquate des mouvements migratoires, une compréhension positive de ceux-ci et une approche efficace du développement humain intégral peuvent apparaître comme des objectifs à long terme. Cependant, nous ne devons jamais oublier qu’il ne s’agit pas de statistiques, mais de vraies personnes dont la vie est en jeu. Enracinée dans son expérience séculière, l’Église catholique et ses Institutions poursuivront leur mission d’accueillir, de protéger, de promouvoir et d’intégrer des personnes qui se déplacent.
Je vous remercie du fond du cœur et j’invoque sur vous tous, sur les nations que vous représentez et sur les migrants et leurs familles la bénédiction du Seigneur.
Fraternellement,
FRANÇOIS
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[1]Cf. Déclaration du Saint-Siège, 100e session du Conseil de l’Organisation internationale pour les migrations, 5 décembre 2011.
[2]Cf. Message pour la 105e Journée mondiale des migrants et des réfugiés, 29 septembre 2019.
[3]Cf. Discours à la session conjointe du Congrès des États-Unis, Washington D.C., 24 septembre 2015.
[4]Cf. Message pour la 100e Journée mondiale des migrants et des réfugiés, 5 août 2013.
© Traduction de Zenit, Vatican Media