Mgr Francesco Follo invite à « ne pas prendre soin de nous », mais à « laisser le Seigneur prendre soin de nous », dans ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 7 novembre 2021, 32e dimanche du temps ordinaire.
Comme lecture patristique, l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris, propose une page de saint Paulin de Nole (+ 431).
La vie est un don, pas un spectacle
1) La vraie humilité.
L’Evangile, proposé dans la liturgie de ce dimanche, relate deux scènes de la vie qui sont toujours d’actualité et nous invitent à un examen de conscience sur ce qui fait de nous des chrétiens: l’humilité et le dévouement. En effet, à nous aussi Jésus dit ce qu’il enseigna à ses disciples, dans le temple de Jérusalem : « ‘Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés’. Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. ». (Mc 12,38-44)
Dans la première scène, le Christ parle des scribes. Son but est de dénoncer certaines manières d’agir, que l’on peut trouver chez n’importe quel homme religieux, et à toute époque. On reconnaît tout de suite ces hommes à leur attitude arrogante, un défaut qui pourrait nous faire sourire mais, hélas, toujours actuel.
Les scribes s’exhibent dans des habits recherchés, prétendent déférence et vénération. Mais le plus grave c’est qu’ils ont introduit dans leur vie la supercherie (« ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières »). Une double tromperie, celle de séparer le culte de Dieu et la justice : ils prient Dieu mais nuisent aux pauvres. Et, pire encore, ils se donnent l’illusion d’aimer Dieu et leur prochain, alors qu’en fait ils n’aiment que leur personne. L’autorité morale dont jouissent ces scribes, leur doctrine, tout est utilisé pour les mettre en lumière, tout est instrumentalisé à leur avantage. Même les critères de justice finissent par se mélanger à leurs intérêts personnels.
Je crois qu’il est important de relever que le but du Rédempteur n’est pas simplement d’inviter à l’humilité, en dénonçant l’arrogance et l’hypocrisie des scribes. Après avoir stigmatisé les scribes en disant qu’ils étaient de faux et mauvais maitres, il parle dans la deuxième scène d’une pauvre veuve, montrant que c’est elle qui est dans le juste en enseignant à tout donner. De cette façon, avec un « tout petit » exemple, nous pourrons comprendre le grand exemple du Christ qui s’est livré jusqu’à mourir pour nous et ainsi nous donner la vie.
La scène se déroule dans la cour du temple de Jérusalem auquel les femmes avaient accès elles aussi. Dans cette cour, étaient alignés treize paniers destinés aux offrandes. Les gens y jetaient de l’argent sous le regard d’un prêtre du Temple qui vérifiait l’authenticité des pièces et annonçait tout haut le montant de la somme, pour la foule qui assistait au « spectacle ». Jésus, Grand prêtre du nouveau testament, est lui aussi assis devant les treize petits coffres, mais il ne fait pas l’éloge – comme font les autres – de l’offrandes généreuse qui est faite et dont le prêtre vient d’annoncer le montant.
Le Fils de Dieu ne regarde pas les apparences, car Dieu regarde le cœur (cf. 1 Sam16,7) et il vante le geste d’une veuve qui fait don d’à peine quelques pièces. Cette veuve est une pauvre femme qui n’a plus personne, plus d’attache, mais une foi en Dieu si grande que, même si ces petites pièces sont tout ce qu’elle possède, elle les offre à Dieu parce qu’elle est sûre de Lui appartenir.
2) Une vraie dévotion.
Le geste de la femme n’est pas spectaculaire, mais un vrai geste de piété que Jésus reconnaît et indique comme étant un vrai beau geste, « un geste authentique » car sûr, droit, ordonné, dévoué, humble, en un mot: total. La veuve jette dans le trésor du temple tout ce qu’elle possède et jette en Dieu tout ce qu’elle est. Tout ce que cette veuve possède et qu’elle est, dont elle fait don totalement, nous renvoie à cette mesure de l’amour du Christ, qui consiste à donner sa propre vie. Aimer vraiment, c’est tout donner, sans compter, sans rien attendre en retour, comme ici, comme le Seigneur fait toujours avec nous.
Relatif aux quatre adjectifs utilisés pour qualifier ce geste « d’authentique », j’ajouterais qu’il est :
- humble, parce que fait sans prétentions et parce que Dieu « se tourne vers la prière du spolié, et ne méprise pas sa prière” (Ps 102,18);
- dévoué, parce que débordant de charité, autrement dit d’amour de Dieu et du prochain, vécu comme un don de soi ému;
- ordonné, car rien ne passe avant Dieu et qu’en Dieu elle aime son prochain;
- droit, parce qu’elle demande le bien. La prière est une « demande Dieu de choses qui sont un bien pour nous » (Saint Jean Damascène);
- sûr, car parti d’un cœur sûr d’être écouté : « Il m’appelle, et moi, je lui réponds » (Ps91,15).
Ce vrai geste de dévotion, total, est « utilisé » par le Magistère. Jésus l’utilise pour enseigner que son critère pour mesurer le monde n’est pas la quantité mais le cœur. Aux yeux de Celui qui regarde le cœur, la quantité n’est qu’apparence. Ce n’est pas l’argent qui compte, mais tout l’amour mis dans le geste, toute la vie que renferme celui-ci. Comme dit saint Jean de la Croix: « A la fin de notre vie nous serons jugés sur la quantité d’Amour », et l’épisode d’aujourd’hui comme la description du Jugement dernier: « J’avais faim, soif, etc., et vous m’avez donné à manger, à boire, etc. » nous rappellent que l’évangile peut être vécu grâce à un morceau de pain ou dans un verre d’eau fraîche, donnés seulement par amour, grâce à deux pièces de monnaie, données de tout son cœur.
L’important est de donner, en y mettant tout son cœur. Tout donner comme la veuve de l’Evangile d’aujourd’hui, ou la moitié de ses biens comme a fait Zachée, importe peu à Jésus, car Il ne mesure pas. Il demande d’être aimé avec tout le cœur, avec toute l’âme, de tout notre être. Raison pour laquelle, il loue le geste de la veuve et dit à Zachée qui a donné la moitié de ses biens: « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » (cf. Lc 19, 9).
La charité ne fonctionne pas au poids ou quand on a le temps. Le don, qui a « du poids » aux yeux du Christ, est celui que nous faisons en nous donnant à Lui, « dans un abandon total et une confiance amoureuse » (cf. M. Teresa de Calcutta) On peut aussi donner la vie, comme dit saint Paul, mais si notre cœur ne connaît pas la charité ou si l’on est généreux pour s’entendre dire des compliments, pour faire bien … laissons tomber. Nos offrandes à l’Eglise et aux pauvres peuvent être riches, mais si notre cœur n’est pas en Dieu, ces biens ne sont que poussière. Jésus nous dit de donner beaucoup de ce que nous avons, mais tout ce que nous pouvons, avec joie.
Enfin, je crois qu’il est juste de souligner que la veuve citée par Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui ressemble à l’Eglise-Epouse. Elle est à son image,car elle se donne entièrement à l’Epoux qui est en Jésus Christ, le Fils de Dieu, qui s’est fait pauvre pour elle.
C’est donc de cette femme, de son exemple, que les femmes consacrées dans le monde doivent s’inspirer pour vivre leur vocation d’épouses. Elles aussi, comme cette femme, sont appelées à témoigner qu’aucune autre présence ne trouvera désormais place en elles et que, comme cette femme, elles mettent tout à la disposition de Dieu et de son royaume. Leur vie devient une réponse très concrète au Christ qui leur dit : « Tu m’as ravi le cœur, ma sœur, mon épouse, tu m’as ravi le cœur d’un seul regard » (Ct 4,9) et par leur vie, comme l’épouse du cantique des cantiques à son bien-aimé, elles demandent toujours: « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras; Car l’amour est fort comme la Mort, la passion, implacable comme l’Abîme : ses flammes sont des flammes de feu, fournaise divine.! » (Ct 8,6). En effet: « Je suis à mon bien-aimé, mon bien-aimé est à moi » (Ct 6,3). La virginité révèle l’intégrité, la sainteté et la vérité d’une personne, elle permet de vivre pour le Seigneur, de témoigner que le cœur humain est fait par Dieu et pour Dieu, de servir Dieu de tout son cœur dans un dévouement total, en commençant par donner deux petites pièces de monnaie.
Traduction d’Océane Le Gall
Lecture Patristique: saint Paulin de Nole (+ 431)
Donner avec générosité-Epître 34, 2-4
(CSEL 29, 305-306)
Qu’as-tu donc que tu n’aies reçu? demande l’Apôtre (1Co 4,7). Voilà pourquoi, mes bien-aimés, il ne faut pas que nous gardions jalousement nos richesses comme si elles étaient nôtres, mais que nous les prêtions, puisqu’elles nous ont été confiées. Car on nous en a confié la charge, et nous avons l’usage d’une richesse commune, non la possession éternelle d’un bien propre (cf. 1Co 9,17). Si tu reconnais que ce bien n’est à toi ici-bas que pour un temps, tu pourras le posséder éternellement dans le ciel. <>
Rappelons-nous cette veuve qui se préoccupait des pauvres sans se soucier d’elle-même. Ne pensant qu’à la vie future, elle abandonna tous ses moyens d’existence, comme le Juge lui-même l’a attesté. Les autres, en effet, avaient donné du surplus de leurs biens. Cette femme, qui avait pour toute fortune deux petites pièces de monnaie, était peut-être plus dépourvue que beaucoup de pauvres, mais les richesses de son cœur dépassaient celles de tous les riches. Elle n’avait en vue que les richesses de la récompense éternelle. Elle ne désirait que le trésor céleste et, d’un seul coup, elle s’est dépouillée de tous ses biens, ceux qui viennent de la terre et qui retournent à la terre.
Prêtons donc au Seigneur les biens que nous avons reçus de lui. Nous ne possédons rien, en effet, qu’il ne nous ait donné, et nous n’existons que parce qu’il le veut. En particulier, comment pourrions-nous penser avoir quelque chose à nous, alors que nous avons contracté une dette plus grande et spéciale, et que nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes? Car Dieu nous a créés, mais il nous a aussi rachetés.
Eh bien, réjouissons-nous d’avoir été rachetés à grand prix, en vérité, par le sang du Seigneur lui-même. Ce qui fait que nous ne sommes plus des esclaves sans valeur. Être libre de la justice est en effet une liberté plus vile que l’esclavage, puisqu’une pareille liberté fait de l’homme un esclave du péché et un prisonnier de la mort. Aussi, rendons au Seigneur ce qu’il nous a donné; donnons à Celui qui reçoit en tout pauvre; donnons, dis-je, avec joie, pour recevoir de lui dans l’allégresse, comme il l’a promis.