Card. Parolin, Villa Bonaparte, 18 oct. 2021 © Anita Sanchez

Card. Parolin, Villa Bonaparte, 18 oct. 2021 © Anita Sanchez

Des relations diplomatiques pour « coopérer au service du bien commun », par le card. Parolin (texte complet)

Centenaire de la reprise des relations entre la France et le Saint-Siège

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Le cardinal Parolin se réjouit du centenaire de la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, « comme d’un événement à l’origine des relations qui permettent désormais à la République Française et au Saint-Siège de coopérer au service du bien commun ».

Le Secrétaire d’Etat du Saint-Siège est en effet intervenu à la Villa Bonaparte, siège de l’ambassade de France près le Saint-Siège, à Rome, ce 18 octobre 2021.

Le cardinal Parolin « forme le souhait d’une coopération toujours plus fructueuse entre la France et le Saint-Siège ».

Il a appelé le « rêve » du pape François pour l’Europe: « Je rêve d’une Europe – dit le Pape – sainement laïque, où Dieu et César soient distincts mais pas opposés. Une terre ouverte à la transcendance, où celui qui est croyant soit libre de professer publiquement sa foi et de proposer son point de vue dans la société. Les temps des confessionnalismes sont finis, mais aussi – on l’espère – le temps d’un certain laïcisme qui ferme les portes aux autres et surtout à Dieu, puisqu’il est évident qu’une culture ou un système politique qui ne respecte pas l’ouverture à la transcendance ne respecte pas convenablement la personne humaine » (3).

Après avoir évoqué le Liban, le cardinal Secrétaire d’Etat a constaté: « Une réalité s’impose à nous : fondamentalement la France et le Saint-Siège partagent des responsabilités globales dans le monde, même si nous les exerçons par des moyens et avec des objectifs différents. Cette préoccupation commune face à la mondialisation et à la nécessité de bâtir un ordre plus équitable et plus stable est en définitive source de proximité. »

Il a aussi dit l’exigence de telles relations: « Les relations diplomatiques en général, et les nôtres en particulier, exigent un langage de confiance et de vérité. Pour sa part, l’Église catholique est toujours prête à offrir sa contribution à la réflexion sur les sujets les plus sensibles, comme la place et le rôle du religieux, les questions philosophiques ou bioéthiques, dans une société qui a besoin de prendre ses distances par rapport aux contingences de la vie quotidienne et aux intérêts immédiats, pour  prendre conscience de la dignité de la personne humaine et des valeurs qui l’entourent et sont à son service. »

AB

Allocution du cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat

COLLOQUE A L’OCCASION DU CENTENAIRE DE LA REPRISE DES
RELATIONS DIPLOMATIQUES ENTRE LE SAINT-SIEGE ET LA FRANCE
ROME, VILLA BONAPARTE, 18 OCTOBRE 2021

Monsieur le Premier Ministre,
Eminences, Excellences,
Messieurs les Ministres,
Madame l’Ambassadrice,
Autorités distinguées,
Mesdames et Messieurs,

Je vous salue cordialement, Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Monsieur
le Ministre de l’Intérieur, Madame l’Ambassadrice, – que je remercie
pour son aimable invitation et son hospitalité –, ainsi que toutes les
Autorités civiles et ecclésiastiques ici réunies.

Nous nous retrouvons dans ce cadre magnifique de Villa
Bonaparte cet après-midi pour célébrer un anniversaire important de
l’histoire d’amitié qui lie le Saint-Siège et la France, fille aînée de
l’Église. C’est la dernière ligne droite d’une très longue histoire qui
s’étend sur la majeure partie de l’ère chrétienne, et qui a été marquée
par des événements, joyeux mais aussi douloureux, comme ceux qui
ont eu lieu pendant les années de la Révolution au 1er Empire ou ceux
qui sont liés à la Loi de Séparation entre l’Église et l’État du 9 décembre
1905.

La reprise des relations sous les auspices de sainte Jeanne d’Arc,
canonisée le 16 mai 1920 par le Pape Benoît XV, évoque à notre esprit
un épisode heureux de notre histoire commune.

Ce moment de réflexion donc nous offre surtout l’opportunité de
nous réjouir d’un événement à l’origine des relations qui permettent
désormais à la République Française et au Saint-Siège de coopérer au
service du bien commun.

Voici cent ans, la France décidait de rouvrir son Ambassade près le Saint-Siège et de renouer les relations diplomatiques unilatéralement interrompues en juillet 1904, suite aux protestations de Pie X contre la visite que le président Emile Loubet avait rendue au Roi d’Italie Victor Emmanuel III en avril de la même année, sans tenir compte des délicats équilibres qui s’étaient créés suite à la « Question romaine ».

La reprise des relations diplomatiques a également été favorisée par toute une série d’événements politiques qui ont caractérisé les années suivant immédiatement la fin de la Première Guerre mondiale et le rééquilibrage des pouvoirs en Europe après la chute des Empires centraux.

Les élections législatives de novembre 1919 avaient modifié profondément la configuration de l’Assemblée nationale, ouvrant la voie à une plus large présence des députés catholiques. Ensuite, l’élection de Paul Deschanel à la Présidence de la République en janvier 1920 et le retrait de la vie publique du Président du Conseil Georges Clemenceau avaient provoqué, entre autres, une politique française différente à l’égard de l’Église et du Pape, ouvrant la voie à des négociations permettant la reprise des relations diplomatiques. D’autre part, la fin de la guerre avait également entraîné un changement d’attitude en France : la loyauté des catholiques français envers leur pays avait été appréciée de toutes parts, ce qui avait permis de surmonter certains préjugés du passé.

Les négociations pour la reprise des relations diplomatiques commenceront peu après l’investiture du Président Deschanel à travers divers intermédiaires et, dès le 28 février 1920, le Secrétaire d’État de Benoît XV, le Cardinal Pietro Gasparri, écrira au recteur de l’Institut Catholique de Paris, Mgr Alfred Baudrillart, le priant d’informer le Président Deschanel des considérations du Pape qui était convaincu que « ces rapports renoués seraient profitables à la nation française, à l’Eglise de France en particulier et en quelque manière à l’Eglise universelle» (1).

En mars 1920, la Sacrée Congrégation pour les Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires examina attentivement les raisons du rapprochement de la France – toutes liées à sa politique internationale – qui résidaient essentiellement dans la préoccupation du Gouvernement de l’époque vis-à-vis de l’Allemagne, ainsi que dans le repositionnement français en Orient et en Afrique du Nord  (2). L’accent mis sur ces questions permit d’obtenir les majorités requises, tant à la Chambre des Députés qu’au Sénat, pour financer la réouverture de l’Ambassade et nommer le premier Ambassadeur, car le rétablissement des relations était essentiellement perçu comme la possibilité pour la France de jouer un rôle central sur la scène internationale de l’après-guerre et, en même temps, de ne pas renier l’ordonnancement laïc du pays, sanctionné par la législation du début du siècle.

De son côté, le Saint-Siège ne manqua pas de rappeler les termes qu’il jugeait essentiels, dans une longue lettre envoyée par le Cardinal Gasparri, le 18 mai 1920, à Jean Doulcet, Ministre Plénipotentiaire et Chargé d’affaires de la République Française auprès du Saint-Siège.

La lettre traitait, entre autres, de la nomination des Evêques, en définissant les pratiques, reprises ensuite dans l’Aide-mémoire du 20mai 1921 et toujours observées (sauf en Alsace et en Moselle), ainsi que de la question complexe des associations cultuelles, qui se heurtait à la ferme opposition de l’Episcopat français et qui se résoudra par la création d’Associations diocésaines, lesquelles seront pleinement reconnues par un échange de lettres en janvier 1924 entre Monseigneur Cerretti et le Président du Conseil et Ministre des Affaires Etrangères, Raymond Poincaré.

Tout au long de l’année 1920, les contacts entre Paris et le Saint-Siège se poursuivront dans un climat d’attente positive et avec la ferme volonté des deux parties de rétablir les relations. Toutefois, il faudra attendre jusqu’au mois de mai 1921, pour que Charles Jonnart soit effectivement nommé Ambassadeur et présente ses Lettres de créance à Benoît XV et que le Secrétaire de la Sacrée Congrégation pour les Affaires Ecclésiastiques Extraordinaires, Monseigneur Buonaventura Cerretti, soit nommé Nonce Apostolique à Paris.

La reprise des relations est un fait purement diplomatique, qui est sans doute un signe de l’attention et de l’importance que la France accordait à la diplomatie pontificale. Le climat de cordialité qui a caractérisé ces relations depuis lors montre que cette estime est constante dans le temps et sans doute réciproque.

Le rétablissement des relations a cependant eu des répercussions importantes et positives sur la vie de l’Église qui s’est vue à nouveau reconnue, et sur la société française qui était alors encore largement catholique.

Les nouvelles relations sanctionnaient également une approche différente de l’Eglise en France vis-à-vis de l’Etat et de sa laïcité.

Je ne m’étendrai pas ici sur une question complexe et toujours d’actualité, compte tenu également de la récente Loi confortant le respect des principes de la République, du 24 août 2021. Je me contenterai toutefois de rappeler les paroles que le Pape François m’a adressées il y a un an, à la veille d’un voyage que je devais effectuer auprès des Institutions européennes. Elles peuvent également être appliquées, de manière positive et dans un esprit de collaboration, au contexte français : « Je rêve d’une Europe – dit le Pape – sainement laïque, où Dieu et César soient distincts mais pas opposés. Une terre ouverte à la transcendance, où celui qui est croyant soit libre de professer publiquement sa foi et de proposer son point de vue dans la société. Les temps des confessionnalismes sont finis, mais aussi – on l’espère – le temps d’un certain laïcisme qui ferme les portes aux autres et surtout à Dieu, puisqu’il est évident qu’une culture ou un système politique qui ne respecte pas l’ouverture à la transcendance ne respecte pas convenablement la personne humaine » (3).

Les conséquences aujourd’hui de nos relations sont nombreuses. Je pense notamment au respect des droits de l’Homme, à la promotion de la paix et de la stabilité, à la protection des minorités religieuses et à la promotion du dialogue interreligieux.

Par une coopération effective, tant en Europe que dans les pays  où les missionnaires français se dévouent généreusement, nous travaillons avec la volonté de favoriser le développement humain intégral des personnes les plus pauvres et de lutter contre les inégalités les plus diverses.

Le rétablissement des relations, qui scellait alors une réconciliation, a permis, grâce à un dialogue permanent, d’œuvrer pour relever les grands défis qui concernent l’humanité tout entière. Il suffit de rappeler la préparation et la réception de l’encyclique Laudato si’ du Pape François sur les questions d’environnement et de climat, et celles de la Conférence de la COP 21 de Paris. Dans ce cas précis, par son encyclique et ses appels répétés au succès de la COP 21, le Saint-Père a beaucoup contribué à soutenir les efforts français.

Si, après la Première Guerre Mondiale et la chute de l’Empire Ottoman, la préoccupation de la France au sujet du Proche-Orient concernait essentiellement sa place et son influence dans la région, la France et le Saint-Siège partagent la même volonté de contribuer à la paix et à la stabilité d’un Proche-Orient multiconfessionnel, respectueux des libertés religieuses et des droits fondamentaux de la personne humaine. Ainsi, chacun opérant dans son domaine de compétence, nous voulons apporter notre pierre à la reconstruction des pays de la région, durement éprouvés par la guerre et la violence, où vivent ensemble, depuis des siècles, diverses communautés religieuses.

En ce sens, nous devons particulièrement travailler à assurer au Liban la possibilité de continuer d’être, comme écrivait Saint Jean-Paul II, dans sa Lettre apostolique du 7 septembre 1989, « un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident ! »

Une réalité s’impose à nous : fondamentalement la France et le Saint-Siège partagent des responsabilités globales dans le monde, même si nous les exerçons par des moyens et avec des objectifs différents. Cette préoccupation commune face à la mondialisation et à la nécessité de bâtir un ordre plus équitable et plus stable est en définitive source de proximité.

Les relations diplomatiques en général, et les nôtres en particulier, exigent un langage de confiance et de vérité. Pour sa part, l’Église catholique est toujours prête à offrir sa contribution à la réflexion sur les sujets les plus sensibles, comme la place et le rôle du religieux, les questions philosophiques ou bioéthiques, dans une société qui a besoin de prendre ses distances par rapport aux contingences de la vie quotidienne et aux intérêts immédiats, pour  prendre conscience de la dignité de la personne humaine et des valeurs qui l’entourent et sont à son service.

L’Église en France porte aujourd’hui la blessure des abus commis par des clercs et la douleur des nombreuses victimes blessées par ces actes misérables et honteux. Son engagement à œuvrer pour la dignité de la personne humaine et pour le bien-être de l’ensemble de la société sera encore plus fort et plus déterminé, en pleine collaboration avec les autorités civiles, dans le respect de la nature, de la mission et de la structure sacramentelle de l’Église qui lui sont propres.

Monsieur le Premier Ministre,
Autorités distinguées,
Mesdames et Messieurs,

Un de vos plus éminents hommes politiques, Robert Schuman, dont le Pape François a récemment reconnu l’héroïcité des vertus, n’hésitait pas à dire : « La démocratie doit son existence au christianisme. Elle est née le jour où l’homme a été appelé à réaliser dans sa vie temporelle la dignité de la personne humaine dans sa liberté individuelle, dans le respect des droits de chacun et la pratique de l’amour fraternel à l’égard de tous. Jamais avant le Christ pareilles idées n’avaient été formulées. L’Europe doit se faire une âme ».

C’est dans ces sentiments, que je suis heureux de participer à cette rencontre qui marque le centenaire du rétablissement de nos relations diplomatiques, et que je forme le souhait d’une coopération toujours plus fructueuse entre la France et le Saint-Siège.

Merci de votre attention.

 

NOTES

1 ASRS, AA.EE.SS., Benedetto XV, Francia, Pos. 1359, fasc. 713, f. 20r.

2 Cf. ASRS, AA.EE.SS., Benedetto XV, Francia, Pos. 1359, fasc. 713, f. 69.

3 FRANÇOIS, Lettre au Secrétaire d’État sur l’Europe, 22 octobre 2020.

 

 

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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