Les millions de réfugiés qui ne peuvent pas jouir des droits fondamentaux et le manque de soutien apporté aux pays d’accueil manifestent une « crise de la solidarité » qui « devrait interpeller notre conscience en tant que famille de nations », a déclaré Francesca Di Giovanni, le 5 octobre dernier.
La sous-secrétaire pour le secteur multilatéral de la Section pour les Relations avec les États de la secrétairerie d’État, Francesca Di Giovanni, chef de la délégation du Saint-Siège au 72ème Comité exécutif du Programme du Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à Genève, le 5 octobre 2021.
Face à « l’un des défis les plus pressants de notre époque », la représentante du Saint-Siège exhorte à « rechercher des stratégies qui engagent tous les pays en tant que partenaires égaux ». Tous les Etats, souligne-t-elle, devraient « adopter des actions concrètes et significatives, en particulier en réponse au nombre croissant de crises humanitaires graves ».
La sous-secrétaire pour le secteur multilatéral dénonce par ailleurs l’inefficacité des sanctions économiques qui « touchent principalement les couches les plus vulnérables de la population » et l’idéologie qui « détermine l’accès aux soins de santé ou le conditionne à l’acceptation de concepts de santé qui ne font pas l’objet d’un consensus international ou qui violent la dignité humaine et ignorent les croyances religieuses ».
Voici notre traduction de l’intervention de Francesca Di Giovanni.
Monsieur le Président,
Monsieur le Haut-Commissaire,
Excellences et distingués délégués,
Alors que le monde reste concentré sur le rétablissement après l’impact global de la pandémie de Covid-19, nous devons évaluer cet impact sur les personnes déplacées de force et en tirer des leçons. Le système actuel, qui a été entièrement submergé, peine à répondre de manière adéquate. En effet, nous avons constaté que le déplacement, à l’intérieur et au-delà des frontières, devient rapidement l’un des défis les plus pressants de notre époque.
Dans son préambule, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés déclare solennellement qu’elle vise à « assurer aux réfugiés l’exercice le plus large possible de leurs droits et libertés fondamentaux ». (1) Malheureusement, dans de nombreuses régions du monde, des millions de réfugiés ne peuvent pas jouir de ces droits. De plus, alors que les États tentent de fournir des solutions à la fois immédiates et durables, les pays d’accueil ne reçoivent pas un soutien adéquat. À cet égard, un certain nombre de pays ont même augmenté le fardeau des communautés d’accueil par le biais d’une stratégie insoutenable d’externalisation, en évitant la responsabilité directe de flux importants et mixtes de migrants et de réfugiés par le biais d’accords qui les arrêtent, souvent indéfiniment, à des points stratégiques de leur voyage.
Le fait que des millions de nos frères et sœurs restent dans les limbes est une crise de la solidarité. Cela devrait interpeller notre conscience en tant que famille de nations, afin de rechercher des stratégies qui engagent tous les pays en tant que partenaires égaux. Tel est l’objectif du Pacte mondial pour les réfugiés, qui ne pourra être atteint que s’il suscite la volonté politique nécessaire.
Monsieur le Président,
Dans cette optique, le Saint-Siège exhorte tous les États à adopter des actions concrètes et significatives, en particulier en réponse au nombre croissant de crises humanitaires graves. Cela comprend l’octroi efficace, judicieux et généreux de visas humanitaires, le lancement de programmes de parrainage individuels et communautaires, l’ouverture de couloirs humanitaires pour les plus vulnérables et la garantie du regroupement familial. (2) Toutefois, pour être efficaces, nous devons également nous attaquer aux causes des conflits et de l’instabilité, afin que les personnes puissent rester en paix et en sécurité dans leur pays d’origine.
Monsieur le Président,
Le Saint-Siège a suivi avec une grande attention l’évolution de la situation en Afghanistan et est reconnaissant à tous ceux qui ont accueilli les réfugiés dans un véritable esprit de fraternité. Nous souhaitons également réaffirmer l’appel du Pape François afin que : « …tous les Afghans, qu’ils soient chez eux, en transit ou dans les pays d’accueil, vivent dans la dignité, dans la paix et la fraternité avec leurs voisins » (3). Le renforcement des capacités locales, nationales et internationales pour offrir une protection et des conditions d’accueil sûres reste essentiel.
La réponse des pays proches de ces crises, y compris les crises dans d’autres régions du monde, n’a d’égale que l’unité et l’efficacité de la communauté internationale à fournir un soutien financier et technique aux premiers intervenants et aux populations locales qui luttent pour continuer à vivre au quotidien. À cet égard, nous insistons sur le fait que, dans certaines situations, « les crises humanitaires sont aggravées par des sanctions économiques qui, le plus souvent, touchent principalement les couches les plus vulnérables de la population… Tout en comprenant les raisons de l’imposition de sanctions, le Saint-Siège ne les considère pas comme efficaces et espère qu’elles seront assouplies » (4).
Monsieur le Président,
L’impact accru du changement climatique et des catastrophes naturelles sur les déplacements forcés nécessite une réflexion, une conversion et une action plus approfondies. La crise climatique a un « visage humain ». Elle est déjà une dure réalité, en particulier pour les personnes les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus marginalisées. Nous ne devons pas manquer de voir la souffrance qui accompagne chaque histoire. Nous devons nous efforcer « de prendre douloureusement conscience, d’oser transformer ce qui se passe … en notre propre souffrance personnelle et de découvrir ainsi ce que chacun de nous peut faire à ce sujet ». (5)
Enfin, le Saint-Siège réitère la nécessité de protéger le droit à la santé de tous, y compris des réfugiés et des migrants, et en particulier des femmes et des enfants qui sont particulièrement exposés dans les situations humanitaires. Ce Comité ne peut permettre que l’idéologie détermine l’accès aux soins de santé ou le conditionne à l’acceptation de concepts de santé qui ne font pas l’objet d’un consensus international ou qui violent la dignité humaine et ignorent les croyances religieuses.
Au contraire, l’accès aux soins de santé doit être garanti par des lois et des politiques non discriminatoires et globales, centrées sur le bien de chaque personne humaine et fondées sur le droit à la vie pour tous, de la conception à la mort naturelle.
Monsieur le Président,
Lorsque nous sommes confrontés à d’intenses divisions entre les pays et de nombreux secteurs de la société, une conscience accrue de notre fraternité devient essentielle. En tant que famille de nations, nous partageons tous la responsabilité de veiller sur nos frères et sœurs, en particulier ceux qui se trouvent dans des situations vulnérables, notamment ceux dont la vie et la liberté ont été menacées en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de persécutions politiques. (6) Sans cette fraternité, il est impossible de construire une société juste et une paix solide et durable.
Je vous remercie.
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- Convention relative au statut des réfugiés, 1951.
- Cf. pape François, Fratelli tutti N. 130.
- Pape François, paroles après l’angelus, 5 septembre 2021.
- Pape François, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 8 février 2021.
- Pape François, Préface de l’Orientation pastorale sur le déplacement climatique.
- Cf. Convention relative au statut des réfugiés, 1951, Article 33.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat