« Lutter contre la misère, éliminer la faim et combattre les phénomènes environnementaux extrêmes »: l’observateur permanent du Saint-Siège auprès de la FAO, de l’IFAD et du PAM, qui ont leur siège à Rome, Mgr Fernando Chica Arellano publie cette réflexion dans L’Osservatore Romano en italien du 28 juillet 2021. Il conclut: « Il est donc nécessaire de transformer les paroles en faits incisifs et fructueux pour éradiquer la faim, afin d’obtenir une moisson abondante de solidarité et de justice. »
Voici notre traduction de cette réflexion de Mgr Fernando Chica Arellano
Lutter contre la misère, éliminer la faim et combattre les phénomènes environnementaux extrêmes : ce sont quelques-uns des objectifs que 193 pays se sont engagés à atteindre d’ici 2030, en souscrivant à un programme d’action pour les personnes, la planète et la prospérité. Les objectifs fixés dans l’agenda pour le développement durable (Sustainable Development Goals) sont valables pour le monde entier, ils concernent et impliquent toutes les nations et toutes les composantes de la société, des entreprises privées au secteur public, des personnes âgées aux jeunes, du domaine de la science au monde rural, des ONGs aux acteurs de l’information et de la culture.
Les 17 objectifs contenus dans l’agenda 3030 se réfèrent à un ensemble de questions stratégiques pour le développement à partir de la dimension économique, sociale et écologique et ils visent à mettre fin à la pauvreté, à combattre l’inégalité, à affronter les effets nocifs des changements climatiques et à construire des communautés pacifiques qui respectent les droits humains.
C’est dans ce cadre que s’inscrit le prochain Sommet mondial sur les systèmes alimentaires (UN Food Systems Summit – Unfss) qui aura lieu à New York en septembre 2021 et qui sera précédé d’un pré-sommet, qui se tient à Rome du 26 au 28 juillet. L’objectif déclaré de ces importants symposiums internationaux est de promouvoir des systèmes alimentaires résilients et capables de faire progresser une agriculture meilleure, de favoriser des filières de production durables et de promouvoir des styles de vie salutaires. Dans les intentions, ces deux grandes réunions visent à tracer une nouvelle voie pour l’agriculture et l’alimentation d’aujourd’hui et de demain, en tenant compte de l’évidente détérioration de la planète à laquelle nous assistons. A cet égard, les dernières données du rapport sur la sécurité alimentaire mondiale (The State of Food Security and Nutrition in the World) dessinent un cadre impitoyable : en 2020, plus de 800 millions de personnes dans le monde sont allées se coucher l’estomac vide.
L’augmentation des coûts des biens alimentaires et le manque de moyens économiques n’ont pas permis à un nombre croissant de personnes d’accéder à un régime sain ou nourrissant. Presque 12% de la population mondiale a souffert d’insécurité alimentaire aiguë en 2020, c’est-à-dire environ 928 millions de personnes, soit 148 millions en plus par rapport aux statistiques d’il y a deux ans. En outre, par rapport à 2019, environ 46 millions de personnes de plus en Afrique et 57 millions de plus en Asie ont souffert de la faim au cours de l’année dernière. On estime qu’en 2030, plus de la moitié des personnes de la planète souffrant de faim chronique vivront sur le continent africain.
Il ne fait aucun doute que la pandémie de Covid-19 n’a pas contribué à améliorer la situation déjà bien dégradée. On considère en effet que 660 millions de personnes pourraient souffrir de la faim en 2030, notamment en raison des effets durables et cruels de la pandémie sur la sécurité alimentaire mondiale. Par ailleurs, les systèmes alimentaires mondiaux subissent les conséquences des diverses mesures restrictives adoptées pendant la pandémie, qui ont inévitablement eu un impact négatif sur l’ensemble des activités et des processus qui déterminent la production, la distribution et la consommation de denrées alimentaires. Le débat mondial actuel, dont l’objectif est de construire une sage reprise post-Covid, représente une opportunité unique pour mettre en œuvre des politiques visant à transformer les systèmes alimentaires, garantir la sécurité alimentaire pour tous et développer une agriculture diversifiée capable de répondre à la crise climatique.
L’Objectif de Développement Durable 2 de l’agenda de l’Onu, qui prévoit l’éradication de la faim dans le monde pour 2030, risque ainsi d’être compromis, comme l’ont rappelé les cinq agences de l’Onu qui ont collaboré à la rédaction du récent rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (Fao, Ifad, Pam, Unicef et Oms) : « Cinq ans après l’engagement pris par la communauté internationale pour mettre un terme à la faim, à l’insécurité alimentaire et à toutes les formes de malnutrition d’ici 2030, nous sommes encore bien loin d’atteindre cet objectif ».
Les données relatives à la population infantile sont encore plus déconcertantes : en 2020, on estime que 22% (149,2 millions) des enfants de moins de 5 ans étaient sous-développés ou dénutris, à savoir qu’ils présentaient des retards dans leur croissance ou une excessive maigreur, tandis que 6,7% (45,4 millions) souffraient de malnutrition aiguë et que 5,7% (38,9 millions) étaient en surpoids.
Garantir à chacun l’accès à une alimentation nutritive suffisante est un impératif moral pour un développement véritablement intégral. Il faut donc une véritable conversion à un modèle fondé sur une alimentation saine, capable de contenir la malnutrition tout en compensant les dépenses sanitaires dues aux conséquences d’une mauvaise alimentation, contribuant ainsi à atténuer les coûts humains et sociaux croissants liés à ces phénomènes. Les migrations sont l’un des effets les plus visibles de la distorsion du système alimentaire mondial ; elles concernent certaines zones de la planète où les phénomènes environnementaux, fréquemment causés par une agriculture sans règles, ont des conséquences importantes sur les systèmes de production locaux.
Devant ce que nous pourrions appeler une urgence planétaire, il est plus que jamais urgent de définir une gouvernance mondiale sur l’agriculture et sur l’alimentation, capable de surmonter les multiples situations critiques et divisions liées aux modèles actuels de la production agro-alimentaire, dont l’impact sur le climat et sur la santé mondiale est de plus en plus évident. Comme nous l’a rappelé le pape François, le 14 février 2019, pendant la cérémonie d’ouverture de la 42ème session du Conseil des Gouverneurs du Fonds international pour le Développement agricole (Ifad), pour résoudre le problème de la faim, « il faut l’aide de la communauté internationale, de la société civile et de ceux qui possèdent des ressources. On ne se dérobe pas à ses responsabilités, a ajouté le pape, en se les passant de l’un à l’autre, mais il faut les assumer pour offrir des solutions concrètes et réelles ».
La pandémie a ruiné nos plans et nos certitudes mais elle nous a rappelé que nous appartenons à une unique famille mondiale. C’est pourquoi il faut saisir ce moment et repenser nos institutions et nos systèmes afin qu’ils puissent être au service des plus fragiles. Puissent donc ces deux remarquables réunions servir pour stimuler ceux qui, partout dans le monde, s’emploient quotidiennement pour le bien commun, afin que ces initiatives et les stratégies qui en découlent bénéficient à tous, en particulier aux personnes démunies, aux communautés indigènes, aux petits agriculteurs, aux femmes en zones rurales et à ceux qui se sentent négligés et rejetés. Si les délibérations formulées dans ces forums ne se traduisent pas en actions efficaces, les faibles et les sans-défense resteront toujours victimes de l’égoïsme et de l’indifférence. Il est donc nécessaire de transformer les paroles en faits incisifs et fructueux pour éradiquer la faim, afin d’obtenir une moisson abondante de solidarité et de justice.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat