« L’essence même du dialogue œcuménique ne consiste pas simplement en un échange d’idées, de pensées et de théories mais en un échange de dons enrichissant ; et les diverses Églises et Communautés ecclésiales conservent leurs précieux dons avant tout dans leur vie liturgique »: déclare le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, lors d’un colloque sur « Les Dominicains et l’unité des chrétiens ».
« Le service de la vérité et l’unité des chrétiens »: c’était le thème de cette conférence inaugurale du cardinal Koch, donnée à l’Institut d’études œcuméniques de l’Angelicum de Rome, le 18 juin 2021, et publiée sur le site du dicastère pour l’unité.
A propos de la liturgie, le cardinal Koch ajoute: « Il en résulte que l’échange œcuménique des dons liturgiques entre les différentes communautés de foi chrétiennes est une des tâches de la science liturgique. Elle prend une signification œcuménique particulière. C’est pourquoi le Décret sur l’œcuménisme souligne que les catholiques doivent acquérir « une meilleure connaissance de la doctrine et de l’histoire, de la vie spirituelle et cultuelle, de la mentalité religieuse et de la culture propre à leurs frères. »
A propos du thème du colloque, le cardinal Koch rend hommage au charisme dominicain: « La question de la vérité est l’objet le plus fondamental et le plus beau de la théologie de même que le charisme spécifique de l’Ordre des dominicains. Le colloque pour lequel nous sommes aujourd’hui rassemblés et qui place au centre de l’attention la corrélation entre service théologique de la vérité et effort œcuménique pour l’unité des chrétiens, est une occasion propice pour remercier de tout cœur la communauté dominicaine de ce double engagement. »
Le cardinal Koch aborde en effet dans sa conférence les thèmes suivants en lien avec l’idée centrale du colloque: « La théologie au service de la vérité et de l’unité »; « Menaces pesant actuellement sur la recherche de la vérité »; « Défis dans la situation œcuménique actuelle »; « Service œcuménique des disciplines théologiques ».
AB
Conférence inaugurale du Colloque International
« Les Dominicains et l’unité des chrétiens »
Institut d’études œcuméniques de l’Angelicum, 18 juin 2021
LE SERVICE DE LA VÉRITÉ
ET L’UNITÉ DES CHRÉTIENS
Cardinal Kurt Koch
« Si l’université a une finalité intellectuelle, c’est bien d’être le lieu où l’on cherche la vérité, la vérité pure – non pas dans une fin particulière, mais pour elle-même : précisément parce qu’elle est la vérité. »[1] Par ces paroles de l’éminent philosophe de la religion et théologien catholique Romano Guardini, j’ai le plaisir de vous saluer chaleureusement, chers intervenants et participants au colloque d’aujourd’hui à travers lequel nous rendons hommage aux grandes contributions offertes par les dominicains au Mouvement œcuménique et allons rendre compte de leur apport au rétablissement de l’unité des chrétiens aujourd’hui.
La théologie au service de la vérité et de l’unité
Ce que Romano Guardini a indiqué, à une époque particulièrement troublée, comme étant l’essence du véritable monde académique vaut également et à plus forte raison pour la théologie. Celle-ci est appelée et a le devoir spécifique de rechercher la vérité et de maintenir vivante la sensibilité vis-à-vis de la vérité dans l’Église et dans la vie publique universitaire. La théologie a l’obligation de s’engager dans cette recherche de la vérité car toute vérité a son origine et son fondement en Dieu et Dieu lui-même est la vérité. Puisque la théologie a son premier et dernier fondement dans l’autorité de la vérité qui est Dieu lui-même, elle est si fortement attachée à la vérité que sans ce dévouement, elle serait, au sens littéral, sans objet.
Ce devoir est déjà énoncé dans le terme même de « théologie » par lequel le theos est assigné à un Logos et, ce faisant, l’on signifie que la théologie ne connaît qu’une seule vérité car elle n’a en définitive qu’un seul objet dans la mesure où elle s’occupe en premier et dernier lieu de Dieu. La réalité vivante de Dieu est, pour ainsi dire, le sujet exclusif de la responsabilité théologique de la foi chrétienne. Bien entendu, cela ne s’applique pas dans le sens d’une spécialisation superlative abstraite. Au contraire, la responsabilité intellectuelle de la foi, en reconnaissant son unique thème, à savoir Dieu, doit en même temps reconnaître et amener à la compréhension toute la réalité et donc tout ce qui est en quelque sorte le contenu de l’expérience humaine de la réalité, tel qu’il est déterminé par Dieu et sa vérité, et doit thématiser la réalité généralement expérimentée dans sa relation à Dieu, à savoir « sub specie aeternitatis Dei ». La théologie ne peut répondre de son seul et unique objet, à savoir la réalité de Dieu, que si elle y reconnaît en même temps, de manière inclusive, tous les objets de l’expérience de la réalité. Car qui a affaire à Dieu a en même temps affaire au tout, comme le souligne de manière incisive saint Thomas d’Aquin dans sa « Summa contra gentiles » : « Multa praecognoscere theologus oportet. »[2] Ce n’est que de cette manière que le terme « théologie » prend tout son sens.
Avec une telle perception de soi, il est justifié que la théologie propose une image extrêmement positive de l’homme. Elle le conçoit non seulement comme un être vivant capable de vérité, mais même comme un être vivant avide de vérité, dont le désir le plus profond est dirigé vers la connaissance de la vérité. La question de l’homme et la question de la vérité sont donc identiques et l’essence de l’homme consiste profondément dans l’aspiration à la vérité. Saint Augustin, sous forme d’une question théo-anthropologique fondamentale, s’interroge sur ce que l’homme désire encore plus ardemment que la vérité : « Quid enim fortius desiderat anima quam veritatem ? »[3] Car l’homme est un être qui porte dans son cœur une soif inextinguible de vérité, bien entendu non pas simplement d’une vérité partielle mais de la vérité capable d’éclairer et d’expliquer le sens de la vie humaine.
Une telle passion théologique pour la vérité est aussi et surtout requise dans les efforts œcuméniques. Le fait que la théologie ait une contribution importante et spécifique à apporter pour que la préoccupation oecuménique soit perçue comme un devoir urgent pour toute l’Église a été souligné avec insistance par le Concile Vatican II dans son Décret sur l’œcuménisme « Unitatis redintegratio » : « Le souci de réaliser l’union concerne l’Église tout entière, fidèles autant que pasteurs, et touche chacun selon ses capacités propres, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les recherches théologiques et historiques. » Dans l’accomplissement de cette tâche, la contribution particulière de la théologie réside dans le dialogue œcuménique de la vérité, à savoir dans l’examen théologique des facteurs qui sont à l’origine des divisions persist[ant encore dans l’Église. [4]
Ce dialogue de la vérité est nécessaire pour se rapprocher de l’objectif œcuménique que représente le rétablissement de l’unité de l’Église. Car on ne peut trouver l’unité que dans la connaissance et la reconnaissance communes de la vérité de la foi. L’unité de l’Église à reconquérir touche profondément à la vérité de la foi et ne doit pas être considérée comme un problème politique pouvant être résolu par des compromis. L’unité de l’Église doit être au contraire l’unité dans la foi apostolique, qui est transmise et confiée à chaque chrétien par le baptême. Il ne peut y avoir d’unité en dehors de la vérité de cette foi.
Menaces pesant actuellement sur la recherche de la vérité
Les théologiens dominicains ont le devoir de s’engager dans la recherche œcuménique de l’unité dans la vérité car tout leur intérêt est dirigé vers la connaissance de la vérité. Une telle passion pour la vérité ne va cependant plus de soi dans la société actuelle et, malheureusement, dans une certaine mesure également dans l’Église. À l’inverse, le désir et la recherche de la vérité sont aujourd’hui exposés à de graves périls qu’il nous faut affronter. Dans le cadre de cette conférence, je ne pourrai cependant en citer que deux qui, à mes yeux, représentent les deux principales menaces.
Le premier danger a été magistralement décrit par l’écrivain et philosophe anglais Clive Staples Lewis dans son bestseller intitulé « The Screwtape Letters ». Dans ce livre, il expose sous forme de lettres fictives d’un diable supérieur quels sont les dangers particuliers menaçant l’homme moderne. Un petit démon fait part à son supérieur de son inquiétude de voir des personnes particulièrement intelligentes lire les livres de sagesse des anciens et découvrir ainsi la vérité. Celui-ci est cependant vite rassuré par Screwtape qui lui fait remarquer que le point de vue historique dont les savants du monde occidental ont été persuadés par des esprits infernaux sous-entend « que la seule question que l’on ne se posera certainement jamais, sera celle de la vérité de ce que l’on a lu ; on s’interrogera plutôt sur les influences et les dépendances, sur l’évolution de l’auteur en question, sur son histoire des effets et ainsi de suite »[5].
Peut-être Screwtape exagère-t-il. Mais outre le fait que l’exagération est le seul microscope dont disposent les sciences humaines, il ne s’agirait que de l’exagération qu’Umberto Eco, dans son roman « Le nom de la rose », a déclaré être son programme fondamental. Car c’est dans ce livre que l’on peut lire les paroles intellectuellement macabres qui confirment pleinement la pensée de Screwtape : « L’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée de la vérité. »[6] Toutefois si, en ce sens, la science ne devait consister qu’à permettre une compréhension historique ou positiviste de la réalité et ne devait plus avoir le courage d’examiner de manière critique si les affirmations faites sont aussi réellement vraies, alors l’esprit scientifique se trouverait réduit à l’immunisation contre la vérité ; et ce serait sans doute la pire chose qui pourrait arriver à la science, surtout à la science philosophique et théologique.
Le second danger de la recherche de la vérité est lié à cette liquéfaction de la vérité dans le domaine purement historique, à savoir la dissolution de la vérité dans un pur pluralisme de vérités. Contrairement à la tradition philosophique et théologique dans laquelle, selon l’axiome « ens et unum convertuntur », l’unité a été considérée comme le sens et le fondement de l’être et de la vérité en général, le pluralisme est devenu aujourd’hui le concept de base décisif dans la perception de l’expérience dite postmoderne de la réalité. Selon le célèbre essai de Jean-Francois Lyotard, le postmodernisme signifie admettre par principe la pluralité et soupçonner tout singulier. La conviction fondamentale de la mentalité postmoderne est que l’on ne peut ni ne doit, en termes de pensée, revenir en arrière par rapport à la pluralité de la réalité et donc aussi de la vérité si l’on ne veut pas s’exposer au soupçon d’une pensée totalitaire, et qu’au contraire la pluralité est le seul moyen par lequel la totalité de la réalité et de la vérité nous est donnée, si tant est qu’elle le soit.[7] L’abandon de principe de la pensée unitaire est donc caractéristique du postmodernisme qui n’est « pas simplement acceptation et tolérance de la pluralité », « mais option fondamentale en faveur du pluralisme »[8].
Défis dans la situation œcuménique actuelle
Il n’est pas surprenant que ces deux menaces affectent également la recherche œcuménique en vue du rétablissement de l’unité de l’Église sur le fondement de la vérité de la foi apostolique. Dans le travail œcuménique, on peut aussi être tenté de se préoccuper uniquement des interprétations historiques des textes de foi ayant fait l’objet de controverses au cours de l’histoire, et de cesser de rechercher la vérité qu’ils contiennent.
Il ne s’agit en aucun cas de nier l’importance et le mérite d’étudier et de connaître tant la préhistoire que l’histoire de l’impact des textes de foi. Car un des mérites essentiels d’éminents théologiens dominicains tels qu’Yves Congar et Jean-Marie Roger Tillard consiste à démontrer qu’on ne peut pas vraiment comprendre la préoccupation œcuménique sans une connaissance historique des différentes divisions dans l’Église et de leurs contextes culturels, politiques et théologiques d’une part, et des évolutions au sein du Mouvement œcuménique d’autre part. Dans les disciplines historiques, les facteurs non théologiques qui ont conduit à des divisions dans l’Église doivent être examinés avec un soin particulier. En ce sens, Yves Congar a montré très tôt que les processus culturels d’éloignement ont causé de manière décisive la division dans l’Église entre Orient et Occident, ce qui explique que les chrétiens ne se soient pas querellés avant tout sur des formules doctrinales différentes mais aient vécu de manière séparée.[9]
La théologie œcuménique est redevable d’importants enseignements à ces recherches historiques. Il serait cependant dangereux si la théologie, marchant dans le sillage de Screwtape, limitait sa tâche à s’interroger uniquement sur la conception historique des déclarations de foi et non plus sur la vérité en soi. En effet, si la théologie restait seulement enfermée dans le palais des glaces des interprétations historiques et cessait de poser la question de la vérité, elle perdrait littéralement toute orientation, tout fondement et toute mesure. En opposition aux prescriptions de Screwtape, le Pape Jean-Paul II, dans son Encyclique sur la foi et la raison, a donc souligné comment doit être menée à bien la tâche d’interprétation historique des textes philosophiques et théologiques : « L’interprétation de cette parole [la parole de Dieu] ne peut pas nous renvoyer seulement d’une interprétation à une autre, sans jamais nous permettre de parvenir à une affirmation simplement vraie. »[10] La théologie ne doit pas se contenter, à l’instigation d’un petit démon, d’interroger les textes de la foi sur leurs influences et dépendances historiques mais elle est a le devoir de les interroger à la lumière de l’Esprit Saint sur la vérité que ces textes contiennent et recèlent.
De même, en ce qui concerne le deuxième défi que nous rencontrons dans la situation œcuménique actuelle, il nous faut établir une distinction entre le moment de la vérité et la menace. Même en ne jetant qu’un bref regard sur les efforts œcuméniques actuels, on s’aperçoit que la recherche du rétablissement de l’unité de l’Église est exposée à un fort vent contraire dans l’esprit du siècle pluraliste et relativiste devenu aujourd’hui une évidence, et par conséquent il nous faut admettre que la mentalité postmoderne a également des effets sur la pensée œcuménique contemporaine. Elle se manifeste surtout par un pluralisme ecclésiologique désormais largement accepté, selon lequel la multiplicité et la diversité des Églises et des Communautés ecclésiales ne sont plus considérées, du moins plus au premier abord, du point de vue des divisions historiques et de l’unité de l’Église à retrouver, mais comme un enrichissement de l´être Église qui est allé grandissant au cours de l´histoire. Si donc la multiplicité et la diversité des Églises sont considérées sans réserve comme une réalité positive, toute recherche du rétablissement de l’unité paraît suspecte.
Aujourd’hui, il apparaît clairement que non seulement on s’est accommodé du pluralisme actuel des Églises et des Communautés ecclésiales qui nous vient de notre passé historique, mais aussi que fondamentalement on l´accepte, si bien que la recherche œcuménique de l’unité de l’Église est tenue pour irréaliste et indésirable. Pour ne citer que quelques exemples : L’historien de l’Église protestant Christoph Markschies a fait remarquer que la « théologie libérale », qui est surtout répandue dans certaines facultés de théologie protestantes germanophones, rencontre des difficultés avec le Mouvement œcuménique, « car le christianisme de la Réforme y est souvent considéré comme appartenant à une catégorie distincte du reste du christianisme, comme un genre de religion conforme aux temps nouveaux, et non pas – comme c’est souvent le cas dans la <théologie de la révélation> – comme faisant partie de l’Église une, sainte et catholique qui a traversé la Réforme mais est liée par de multiples points communs et lignes théologiques de la tradition à cette una sancta catholica ecclesia »[11]. C’est pourquoi dans les courants libéraux du protestantisme l’on est amplement convaincu qu’avec la Réforme aurait finalement commencé la pluralisation de la chrétienté latine qui, dans la concurrence permanente des Églises confessionnelles indépendantes aurait trouvé forme dans le protestantisme et rendu le christianisme compatible avec la modernité et que cette pluralisation ne devrait pas être remise en question par une nouvelle recherche de l’unité. C’est dans ce même sens que le Conseil de l’Église protestante d’Allemagne, dans son texte de base pour la commémoration de la Réforme en 2017, a également souligné que les Églises de la Réforme devraient être considérées comme « partie intégrante de la légitime pluralisation des Églises chrétiennes, car conforme aux Écritures » et donc être reconnues comme un effet bénéfique lointain de la Réforme au XVIe siècle[12].
Ces avis s’appuient probablement sur la thèse du spécialiste protestant du Nouveau Testament, Ernst Käsemann, selon laquelle le canon du Nouveau Testament n’établit pas l’unité de l’Église mais la diversité des dénominations.[13] Contre cette thèse, par laquelle on tente également de légitimer les grandes divisions dans l’Église, il faut naturellement tout d’abord faire valoir qu’il est anachronique de vouloir rapporter au Nouveau Testament la situation actuelle, qui s’est créée au cours du passé, d’Églises confessionnelles et de Communautés ecclésiales séparées et vivant juxtaposées les unes aux autres. C’est la raison pour laquelle le Cardinal Walter Kasper, réagissant à l’affirmation de Käsemann, s’est à juste titre exprimé en ces termes : « Pour Paul, une telle juxtaposition et un tel pluralisme d’Églises confessionnelles différentes et distinctes serait une idée tout à fait intolérable. »[14]
Ce n’est pas la canonisation du pluralisme des Églises jusqu’à leurs séparations mais la recherche de l’unité qui a son fondement dans les Écritures. Dans la situation œcuménique actuelle, nous devons donc maintenir vivante, avec une ténacité courtoise, la question de l’unité de l’Église. En effet, sans la recherche de l’unité, la foi chrétienne se priverait de son fondement, comme l’exprime, on ne peut plus clairement, la lettre de l’apôtre Paul aux Éphésiens : « Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous » (Ep 4, 4-6) [15]. Par cet appel spirituel passionné qu’il adresse aux baptisés afin qu’ils maintiennent l’unité dans l’Église et l’unité de l’Église, Paul affirme avec une précision remarquable que l’unité est et doit rester une catégorie fondamentale de la foi chrétienne et de la vie ecclésiale et qu’elle fait donc partie intégrante de l’être de l’Église.
Service œcuménique des disciplines théologiques
Nous pouvons déduire que Paul a particulièrement à cœur cet appel spirituel à l’unité du fait qu’il écrit ces lignes depuis la prison où il se trouve parce qu’il sert le Seigneur (cf. 4,1). En effet, quand on se trouve dans une situation d’aussi grande oppression, on ne se livre pas à des futilités et encore moins à des plaisanteries, mais on exprime ce qui brûle vraiment l’âme car la vérité de la vie est en jeu. Aussi estime-t-on que la théologie est au service œcuménique de l’unité de l’Église uniquement si elle cherche la vérité de la foi apostolique et maintient vivante la recherche de la vérité dans toutes ses disciplines.
Il est déjà apparu clairement que, d’un point de vue œcuménique, c’est la vérité de la foi apostolique qui est aussi et surtout en jeu dans les disciplines historiques. Le Décret sur l’œcuménisme a expressément souligné que la recherche historique est d’une importance fondamentale également et surtout en ce qui concerne la théologie œcuménique : « La théologie et les autres disciplines, surtout l’histoire, doivent être enseignées aussi dans un sens œcuménique, pour mieux répondre à la réalité des choses. »[16]
Les disciplines exégétiques ont considérablement contribué à la compréhension et à la réconciliation entre les Églises et sont depuis longtemps considérées comme des disciplines exemplaires pour la collaboration œcuménique.[17] Après qu’ont été mis en relation, d’une part, la Réforme et la division qu’elle a entraînée dans l’Église en Occident au XVIe siècle et, d’autre part, une lecture et une interprétation controversées de la Bible, il est apparu très nettement dans le Mouvement œcuménique que, de même, le dépassement de cette division et le rétablissement de l’unité des chrétiens peuvent devenir réalité à condition de s’engager dans une lecture et une interprétation communes de l’Écriture Sainte.
L’importante contribution qu’ont apportée les disciplines de la théologie systématique au rétablissement de l’unité des chrétiens ressort de manière indubitable lorsque l’on procède à un tour d’horizon des divers dialogues œcuméniques dans lesquels, au cours du dernier demi-siècle, de nombreux documents de convergence et de consensus sur certaines questions de la foi chrétienne et de la constitution de l’Église ont été élaborés et sont réellement devenus des « documents d’accord croissant »[18].
L’essence même du dialogue œcuménique ne consiste pas simplement en un échange d’idées, de pensées et de théories mais en un échange de dons enrichissant ; et les diverses Églises et Communautés ecclésiales conservent leurs précieux dons avant tout dans leur vie liturgique. Il en résulte que l’échange œcuménique des dons liturgiques entre les différentes communautés de foi chrétiennes est une des tâches de la science liturgique. Elle prend une signification œcuménique particulière[19]. C’est pourquoi le Décret sur l’œcuménisme souligne que les catholiques doivent acquérir « une meilleure connaissance de la doctrine et de l’histoire, de la vie spirituelle et cultuelle, de la mentalité religieuse et de la culture propre à leurs frères »[20].
Enfin, nous ne devons pas oublier la signification œcuménique du droit canonique, qui a pour tâche d’élaborer un droit canonique œcuménique compte tenu des fruits du Mouvement œcuménique. Cela n’est pas encore possible dans la situation actuelle car elle présuppose que soit réalisée l’unité de l’Église. Mais en sauvegardant telle qu’elle est énoncée dans le droit canonique l’obligation fondamentale de tous les baptisés à l’œcuménisme, le droit canonique représente une aide précieuse sur le chemin vers l’unité visible de tous les chrétiens.
Toutes les disciplines théologiques assument leur responsabilité et leur mission lorsqu’elles se conçoivent comme étant au service du rétablissement de l’unité de l’Église et y apportent leur irremplaçable contribution. Celle-ci réside dans la recherche passionnée de la vérité de la foi, sans laquelle il ne peut y avoir d’unité. Car la théologie n’est dans son élément que lorsqu’elle pose la question de la vérité de Dieu et cherche donc la vérité commune à tous les chrétiens.
La question de la vérité est l’objet le plus fondamental et le plus beau de la théologie de même que le charisme spécifique de l’Ordre des dominicains. Le colloque pour lequel nous sommes aujourd’hui rassemblés et qui place au centre de l’attention la corrélation entre service théologique de la vérité et effort œcuménique pour l’unité des chrétiens, est une occasion propice pour remercier de tout cœur la communauté dominicaine de ce double engagement. Je remercie tout particulièrement l’Institut d’études œcuméniques de l’Angelicum, qui a non seulement organisé ce symposium mais entretient également une fructueuse collaboration avec le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. À ce colloque, j’associe aussi volontiers l’espoir et la prière que la bénédiction de Dieu accompagne constamment la communauté dominicaine dans l’aventure qu’elle a entreprise et poursuivra dans le futur ainsi que dans sa quête de la vérité et son service en faveur de l’unité.
NOTES
[1] R. Guardini, Verantwortung. Gedanken zur jüdischen Frage (München 1952) 10. [2] Thomas von Aquin, Summa contra Gentiles I 4. [3] Augustinus, Kommentar zum Johannesevangelium, 26, 5. [4] Unitatis redintegratio, Nr. 5. [5] C. S. Lewis, The Screwtape Letters (London 1965) 139-140. [6] U. Eco, Der Name der Rose (München 1982) 624. [7] Vgl. W. Welsch, Unsere postmoderne Moderne (Weinheim 1987). [8] W. Kasper, Die Kirche angesichts der Herausforderungen der Postmoderne, in: Ders., Theologie und Kirche. Band 2 (Mainz 1999) 249-264, bes. 252-255: Absage an das Einheitspostulat. Der pluralistische Grundzug der Postmoderne, zit. 253. [9] Y. Congar, Zerstrittene Christenheit. Wo trennten sich Ost und West (Wien 1959). [10] Johannes Paul II., Fides et ratio, Nr. 84. [11] Ch. Markschies, Aufbruch oder Katerstimmung? Zur Lage nach dem Reformationsjubiläum (Hamburg 2017) 67. [12] Rechtfertigung und Freiheit. 500 Jahre Reformation 2017. Ein Grundlagentext des Rates der Evangelischen Kirche in Deutschland (EKD) (Gütersloh 2014) 99. [13] E. Käsemann, Begründet der neutestamentliche Kanon die Einheit der Kirche? in: Ders., Exegetische Versuche und Besinnungen. Erster und zweiter Band (Göttingen 1970) 214-223. [14] W. Kardinal Kasper, Katholische Kirche. Wesen – Wirklichkeit – Sendung (Freiburg i. Br. 2011) 226. [15] Vgl. K. Kardinal Koch, „Ein Herr, ein Glaube, eine Taufe, ein Gott und Vater aller“ (Eph 4, 5). Ein geistlicher Appell zur Einheit, in: St. Kopp / J. Werz (Hrsg.), Gebaute Ökumene. Botschaft und Auftrag für das 21. Jahrhundert (Freiburg i. Br. 2018) 17-38. [16] Unitatis redintegratio, Nr. 10. [17] Vgl. K. Kardinal Koch, Exegese im Dienst an der Einheit. Erwartungen an den „Evangelisch-Katholischen Kommentar“ für Kirche und Ökumene, in: U. Luz / Th. Söding / S. Vollenweider (Hrsg.), Exegese – ökumenisch engagiert. Der „Evangelisch-Katholische Kommentar“ in der Diskussion über 500 Jahre Reformation (Ostfildern – Göttingen 2016) 31-41. [18] Vgl. H. Meyer u. a. (Hrsg.), Dokumente wachsender Übereinstimmung. Sämtliche Berichte und Konsenstexte interkonfessioneller Gespräche auf Weltebene. Band 1: 1931-1982 (Paderborn – Frankfurt a. M. 1983), Band 2: 1982-1990 (Paderborn – Frankfurt a. M. 1992); Band 3: 1990-2003 (Paderborn – Frankfurt a. M. 2003); J. Oeldemann u. a. (Hrsg.), Band 4: 2001-2010 (Paderborn – Leipzig 2012). [19] Vgl. K. Kardinal Koch, Liturgiereform und Einheit der christlichen Kirchen, in: G. W. Lathrop / M. Stuflesser (Hrsg.), Liturgiereformen in den Kirchen. 50 Jahre nach Sacrosanctum concilium = Theologie der Liturgie. Band 5 (Regensburg 2013) 111-124, Ders., Liturgie im Dienst der Einheit. Die Bedeutung der Liturgiewissenschaft für Theologie und Ökumene, in: H.-J. Feulner, D. Sper (Hrsg.), 50 Jahre Liturgiewissenschaft und Sakramententheologie an der Universität Wien. Rückblicke – Einblicke – Ausblicke (Wien 2020) 25-44. [20] Unitatis redintegratio, Nr. 9.