Messe sainte Pétronille 2021 © Twitter @FranceauVatican

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Messe pour la France : « Est-il encore possible à un peuple d’être joyeux ? »

Homélie de Mgr de Moulins-Beaufort

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« Mais nous, Français, y croyons-nous encore ? Croyons-nous encore qu’un encore meilleur vienne à nos devants ? » : c’est la question que pose Mgr Eric de Moulins-Beaufort, en célébrant une messe pour la France, en la basilique Saint-Pierre, ce 31 mai 2021, fête de sainte Pétronille et fête de la Visitation. « Comment retrouver le chemin de la joie ? » s’est-il aussi demandé.

« Nous avons peur de manquer alors que nous avons beaucoup, et ce qui nous manque, le peu qui nous manque parfois, nous obnubile », a souligné le président de la Conférence épiscopale de France dans son homélie, pointant du doigt la sécularisation : « Notre pays, en tant que tel, ne veut plus croire en un ‘encore meilleur’ qui viendrait d’ailleurs ou d’en haut, il a voulu et veut s’approprier le meilleur qu’il peut se donner. »

Mais si la France a construit « un progrès formidable », cependant « l’élan s’est essoufflé », a aussi constaté l’archevêque de Reims : « Nous ne sommes collectivement plus très sûrs que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, nous craignons que le temps ne soit qu’un facteur d’usure, nous redoutons que les meilleures situations d’ici-bas ne cachent toujours des violences, des mensonges, des secrets honteux. »

« De plus en plus, a-t-il ajouté, nos sociétés occidentales sont des sociétés de la frustration. Elles accumulent les droits, ce qui pourrait être réjouissant, mais sur fond de ressentiment, quand il faudrait élan vers l’avenir et, par conséquent, pardon… Nous ne percevons plus venant à nos devants le plus grand, le ‘encore meilleur’, le don gracieux, qui peut nous surprendre, tout comblés que nous soyons. »

Voici le texte de son homélie, invitant à se mettre « au service du bien toujours plus grand de tous ».

AKM

Homélie de Mgr Moulins-Beaufort 

Le prophète Sophonie exprime avec un lyrisme formidable l’élan joyeux d’Israël qui court, qui bondit, vers le Messie qui vient. Après une longue attente, lorsque s’approche celui qui est attendu, toute la maison se précipite à ses devants. Lorsque le Messie vient, lorsqu’il se fait reconnaître, comment ne pas sauter sur ses pieds et courir à sa rencontre ? Israël, parmi tous les peuples de la terre, porte cette espérance magnifique qu’un meilleur vient au-devant de nous, que le temps n’est pas qu’usure, fatigue, décadence, et finalement ruine, mais qu’il est, le temps, le mûrissement d’une promesse, la préparation intérieure pour que ce qui va venir trouve qui peut l’accueillir. En ce jour où nous prions pour notre pays et, mieux encore, célébrons la Messe, le sacrifice de la Messe, pour lui, la France, il est bon de nous souvenir que notre pays, longtemps et peut-être encore aujourd’hui, a incarné pour beaucoup un meilleur auquel ils aspiraient. Il est juste de le dire ici, dans la basilique Saint-Pierre de Rome, à deux pas de la confession de l’Apôtre Pierre : notre pays laïcisé, sécularisé, notre République laïque, séparée de l’Église, a représenté et représente encore pour beaucoup d’hommes et de femmes un meilleur désirable, un meilleur établi mais aussi un encore meilleur à venir, à recevoir auquel ils pourraient avoir part. Mais nous, Français, y croyons-nous encore ? Croyons-nous encore qu’un encore meilleur vienne à nos devants ?
L’Évangile de ce jour, fête de sainte Pétronille et fête de la Visitation, nous donne de voir la course joyeuse de Sophonie, non plus aperçue dans une anticipation poétique, mais vécue dans la rencontre toute simple de Marie partie en hâte et d’Élisabeth, sa cousine âgée. D’un côté la vieille dame blanchie dans l’attente fidèle, persévérante, de celle qui gardait les commandements du Dieu vivant et avait renoncé à laisser après elle un fils ou une fille qui fasse fructifier plus avant l’effort de toute une vie et qui a reçu in extremis celui qu’elle n’osait plus espérer ; de l’autre, la toute jeune femme, qui sort de l’enfance et porte celui qu’elle n’aurait pu espérer recevoir et que tout son peuple attend. La femme âgée aurait été comblée par un fils tout à fait ordinaire, celui qu’elle porte est chargé d’une mission de précurseur ; la jeune femme n’attendait rien encore, elle porte celui qui sera le nouveau principe de vie pour tous ceux et celles qui furent avant lui, ceux et celles qui sont avec lui, ceux et celles qui le suivront.
Dans la ville de la montagne de Judée, il y a eu un événement, une rencontre bien précise entre deux personnes identifiées, et une histoire en est issue dont nous sommes les héritiers, nous réunis dans cette basilique et ceux et celles que nous représentons. Mais il y a là aussi une figure : l’humanité est à la fois la vieille dame façonnée par une longue attente, une patiente préparation, et la joyeuse jeune femme qui se trouve comblée sans avoir attendu, portant celui qui justifie toutes les attentes. « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». Notre pays a cru à ces paroles, il n’y croit plus guère aujourd’hui, il ne veut plus y croire collectivement. Notre pays a cru que la vie terrestre préparait la vie pour toujours, que les engagements d’ici-bas anticipaient le choix éternel, que notre condition terrestre ne pouvait être soulevée, transformée, qu’avec la grâce de Dieu qui vient habiter le centre secret de chacun, que les duretés de cette vie ne l’empêchaient pas d’être la promesse d’une communion intense avec Dieu et avec tous les autres, que nos efforts pour vivre ici-bas dans la paix ou le confort valaient que s’ils étaient aussi l’attente d’un encore meilleur. Certains, bien sûr, encore et toujours, y croient de tout leur cœur, et ceux-là s’efforcent de vivre à la hauteur de ces paroles, faisant de leur vie une course sur les montagnes, le cœur battant à la rencontre de celui qui vient. Collectivement, cependant, nous avons renoncé à cela.
Notre pays, en tant que tel, ne veut plus croire en un « encore meilleur » qui viendrait d’ailleurs ou d’en haut, il a voulu et veut s’approprier le meilleur qu’il peut se donner. Il a construit ainsi, il faut le reconnaître, un progrès formidable, il s’est transformé en une société de liberté et d’égalité. Mais l’élan s’est essoufflé. Nous ne sommes collectivement plus très sûrs que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, nous craignons que le temps ne soit qu’un facteur d’usure, nous redoutons que les meilleures situations d’ici-bas ne cachent toujours des violences, des mensonges, des secrets honteux. De plus en plus, nos sociétés occidentales sont des sociétés de la frustration. Elles accumulent les droits, ce qui pourrait être réjouissant, mais sur fond de ressentiment, quand il faudrait élan vers l’avenir et, par conséquent, pardon, qui n’est pas amnistie. Nous ne percevons plus venant à nos devants le plus grand, le « encore meilleur », le don gracieux, qui peut nous surprendre, tout comblés que nous soyons. Nous avons peur de manquer alors que nous avons beaucoup, et ce qui nous manque, le peu qui nous manque parfois, nous obnubile. Comment retrouver le chemin de la joie ? Est-il encore possible à un peuple d’être joyeux ? À travers les heurts de l’histoire, ce fut toujours difficile. C’est la mission de ceux et celles qui ont la grâce de la foi que d’aller vers la vieille humanité, non pour l’accabler avec l’insolence de la jeunesse qui a tout, même les promesses du lendemain, mais pour la servir, avec la délicatesse de qui ne veut rien avoir à soi sans le partager et qui sait qu’il ne peut être comblé que grâce à l’effort patient de celles et de ceux qui l’ont précédé.
Dans la rencontre de la montagne de Judée dont nous faisons mémoire aujourd’hui, la rencontre des deux mères rend possible celles des deux enfants encore abrités dans le sein maternel. Chacune de ces femmes a besoin de l’autre pour mieux découvrir qui est l’enfant qui lui est donné et confié. Nous ajoutons ici la mémoire de sainte Pétronille. Fut-elle fille de Simon-Pierre, le pécheur de Galilée ? Lui, en tout cas, a tout quitté, tout lâché, parce qu’il pressentait, en Juif qui ne renonçait pas à espérer, l’« encore meilleur » que Jésus apportait en lui-même. Sa fille a pu suivre son élan. Pétronille fut peut-être plutôt une dame païenne ; elle a reconnu dans la prédication de Pierre un « encore meilleur » ; elle a couru vers lui, d’une course que chante Sophonie, parce qu’elle attendait de tout son être nourri de la riche tradition de pensée et de civilisation des Grecs et des Romains ce qu’elle ne pouvait imaginer : que tout être humain soit appelé à devenir une « pierre vivante » d’un édifice spirituel qui transcende les espaces et les temps pour constituer la cité éternelle, seul temple véritable du Dieu vivant. De cette cité-là, de cette assemblée-là, les marbres, les ors, et l’incroyable architecture du lieu où nous sommes ce matin voudraient être un gage. L’histoire des humains n’est pas qu’un chaos de forces qui s’entrechoquent, les unes dominant, les autres cherchant à prendre leur revanche. Insensiblement mais certainement, une réalité plus grande se construit, se prépare, le rassemblement de tous par le plus intime d’eux-mêmes, grâce à la force de l’Esprit qui travaille sans doute les destinées des États mais qui passe plus encore par la rencontre ignorée de deux femmes dans un village de la montagne de Judée, qui a été introduite définitivement dans notre humanité par celui qui a pu dire : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église (Église, c’est ici assemblée), et les portes de la mort ne l’emporteront pas sur elle ». Frères et sœurs, en célébrant la messe pour notre pays, je prie pour que les chrétiens en lui sachent transformer leur espérance en une énergie au service du bien toujours plus grand de tous, et je prie pour que tous nos concitoyens puissent trouver ou retrouver la joie d’unir leurs destinées et regarder ce qui vient avec espérance. Amen.
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Rédaction

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