Agnès Desmazières © AD

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« L’Eglise synodale en chemin de conversion », par Agnès Desmazières

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« Une conversion intellectuelle est cruciale »

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L’Eglise synodale en chemin de conversion

Le chemin parcouru ensemble dans l’Eglise synodale est un chemin de conversion, chemin de sainteté personnelle et communautaire. Comme le rappelle le concile Vatican II, « il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (Lumen gentium n. 9).

La conversion, par laquelle nous nous tournons vers Dieu et vers notre prochain, est dès lors tout à la fois personnelle et communautaire. Il y a des moments de l’histoire où la conversion pastorale de l’Eglise paraît spécialement urgente. Nous le ressentons de manière vive aujourd’hui dans le contexte de la crise des abus sexuels. Dans Vraie et fausse réforme de l’Eglise, Yves Congar mettait en évidence que le besoin de réforme de l’Eglise s’affirmait en particulier soit dans un contexte d’abus, soit à la faveur d’un changement d’époque, de profondes mutations, qui appelle à un renouvellement des structures dans la fidélité à l’Evangile. Il semble bien que nous nous trouvions à la croisée entre ces deux perspectives. Dès Evangelii gaudium, le pape François avait appelé à la conversion missionnaire et pastorale de l’Eglise.

La conversion pastorale de l’Eglise requiert ainsi, dans la ligne de Vatican II, tout à la fois une conversion spirituelle – personnelle comme communautaire – et une réforme des structures de l’Eglise appelée à témoigner davantage de l’Evangile [1]. Nulle réforme des structures fructueuse sans une authentique conversion spirituelle. La perspective du prochain Synode sur la synodalité représente ainsi une invitation à la conversion spirituelle qui est écoute de l’Esprit qui m’invite à prendre de nouveaux chemins, peut-être parfois crucifiants, mais qui sont des chemins de vie. La réforme des structures vise elle-même à la conversion spirituelle de l’Eglise dans son ensemble, de chacun de ses membres, ainsi que de tous les hommes et femmes de bonne volonté.

Dépoussiérer la « conversion »

Le terme « conversion » n’a pas forcément bonne presse aujourd’hui. Il est parfois confondu avec un prosélytisme malsain. Il renvoie aussi à une conception ascétique de la vie morale qui rebute nombre de nos contemporains. La notion de « conversion » retrouve droit de cité aujourd’hui dans le contexte de la crise des abus sexuels, en particulier quand elle est employée à propos de la réforme de l’Eglise. L’Eglise est confrontée aux incohérences entre son discours moral et ses pratiques, incohérences jugées scandaleuses. Elle est appelée à changer pour refléter davantage l’authenticité de l’Evangile.

La conversion apparaît inhérente à la croissance de la personne humaine qui est capable de changer, de se tourner vers l’autre et vers Dieu. Tout itinéraire de vie apparaît marqué par des conversions, des changements d’orientation, des « surprises » reçues comme un appel.

Dans ce prolongement, la conversion n’est pas d’abord conversion de l’autre, mais conversion de soi-même. En me tournant vers l’autre et vers Dieu, je me convertis, je suis amené à des déplacements, des remises en cause, à l’accueil aussi de la merveille que je suis aux yeux de Dieu. Je ne réduis pas mon identité propre en me convertissant, mais je me découvre davantage moi-même. Je peux connaître certes, au cours de mon existence, des conversions fulgurantes, mais la vie chrétienne est d’abord affaire de petites conversions au quotidien. Celles-ci, si elles sont exigeantes, ne consistent pas tant des exercices de mortification, que l’épanouissement de ma vocation dans une réponse aux appels à la vie que Dieu m’adresse chaque jour.

Cheminant en peuple sur le chemin de la sainteté, nous sommes aussi appelés à nous encourager mutuellement dans cette dynamique de conversion qui contribue à la conversion de l’Eglise elle-même. Cette émulation mutuelle se réalise d’abord au travers de notre agir : en quoi témoigne-t-il de l’Evangile ? Il y aurait lieu également de redécouvrir la correction fraternelle à la lumière de Mt 18, 15 : « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère ». Loin de juger, il s’agit de « gagner son frère » et de construire ainsi la fraternité dans la réciprocité : si je suis appelé à « gagner » mon frère ou ma soeur, ceux-ci sont aussi invités à « me gagner ». Le délicat exercice de la correction fraternelle nécessite courage et humilité – ainsi que prudence et intelligence des situations. La synodalité est aussi apprentissage de cette correction fraternelle, apprentissage que je fais partie d’une fraternité, que je suis responsable de mon frère et de ma sœur, comme eux-mêmes le sont de moi.

Une conversion « intégrale »

La conversion touche toutes les dimensions de la personne, « être social » (Gaudium et spes n. 12 §4), membre d’un peuple de frères et de sœurs. De manière frappante, dans Pour une méthode en théologie, le théologien canadien Bernard Lonergan désigne la conversion comme « une transformation du sujet et de son monde » : mon horizon, l’horizon de l’Eglise se renouvelle à la faveur de conversions. Il distingue significativement trois conversions : intellectuelle, morale, religieuse. La conversion est d’abord « religieuse » car elle est l’œuvre de la grâce : Dieu nous précède toujours et accompagne nos conversions, nos changements personnels et communautaires : il est à l’œuvre dans ma vie et dans la vie de l’Eglise. Mon intelligence et ma volonté sont aussi appelées à être converties, à être davantage au service du dessein d’amour que Dieu a pour moi et pour l’humanité.

La référence à la conversion « intellectuelle » est particulièrement suggestive. Cette dimension de la conversion a sans doute été trop négligée et mériterait d’être revalorisée. La crise des abus sexuels est attribuable autant à un manque de conversion religieuse et morale, qu’à un défaut de conversion intellectuelle : primat d’une visée à court terme, refus de se laisser interroger par le droit civil et le droit de l’Eglise, manque d’intelligence de la souffrance des victimes et du caractère scandaleux des abus. La crise des abus sexuels reflète la persistance d’un certain anti-intellectualisme sous-jacent qui contribue à opposer charité et vérité, miséricorde et justice, charisme de fonction et compétence. Nulle charité sans vérité, nulle miséricorde sans justice. Pas de charisme de fonction fructueux sans acquisition de compétences pour l’exercer authentiquement.

La conversion des intelligences pour une Eglise plus synodale

A cet égard, la préparation du prochain Synode incite à une authentique conversion intellectuelle, qui sera aussi morale et spirituelle. Il s’agit d’entrer dans une intelligence d’une synodalité authentique qui ne soit pas affaire de slogan racoleur ou sujette à la manipulation de la part de partis représentants des intérêts sectoriels.

L’intelligence est ainsi sollicitée à plusieurs niveaux. D’abord, pour susciter des structures permettant l’écoute du peuple dans son ensemble, dans ses pauvres, dans les victimes, dans les exclus. Il y a ainsi une vigilance à avoir dans la consultation du peuple pour que celui-ci puisse, dans la phase préparatoire du Synode, s’exprimer dans sa diversité et que sa parole ne soit pas confisquée par quelques-uns (clercs ou laïcs), s’auto-proclamant représentants du peuple selon une logique typiquement cléricale. Il est dès lors nécessaire que les pasteurs initient des processus de consultation permettant à chacun de s’exprimer et d’échanger dans le respect de la diversité des sensibilités.

Une conversion intellectuelle est cruciale également pour poser un juste diagnostic de la situation. L’intelligence est convoquée pour lire, à la lumière de la foi, les signes des temps. C’est ainsi qu’il convient de poser un regard lucide, dans l’espérance de la foi, à la fois sur la crise des abus sexuels et sur les mutations sociétales actuelles. Les théologiens ont ici un rôle important à jouer, dans la proximité avec le peuple. Chacun est aussi appelé à se former pour progresser dans l’intelligence de la foi et contribuer ainsi à la croissance de l’Eglise.

En particulier, il est fondamental d’approfondir les ressorts théologiques et culturels, d’ordre parfois structurels, qui ont conduit à couvrir les abus sexuels : la conversion de l’Eglise passe par la mise au jour des abus de pouvoir et de conscience, des abus « spirituels » et « sociaux » [2]. L’établissement du diagnostic de situation apparaît ici corrélatif d’actions de réparation  – qui ne se limitent pas à la réparation des seuls abus sexuels et qui engagent l’ensemble des communautés ecclésiales, toutes appelées à se convertir. La conversion intellectuelle, qui se réalise dans un dépassement de soi et de ses préjugés personnels et socio-culturels, conduit ainsi à davantage d’authenticité, à davantage de cohérence entre paroles et actions, entre appel de l’Esprit et structures pour se mettre à son écoute.

La synodalité est ainsi à comprendre dans la logique de l’incarnation : Dieu nous donne intelligence et volonté pour, avec sa grâce, construire tous ensemble une Eglise qui chemine, dans les tribulations du monde, vers la sainteté. En pensant des structures plus synodales, plus aptes à cheminer dans la sainteté, nous coopérons, en peuple, à l’œuvre créatrice de Dieu qui aime inlassablement l’humanité et l’appelle sans cesse à se renouveler, à se convertir dans la joie et dans l’espérance.

Agnès Desmazières

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Agnès Desmazières enseigne la théologie au Centre Sèvres (Paris, France) et elle a réfléchi notamment à la pensée du dialogue du pape François dans son livre « Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François » (Salvator 2019), avec une préface du p. Alain Thomasset, s.j. et une postface du p. François-Marie Léthel, ocd.

La théologienne française a aussi réfléchi, entre autres, à l’apostolat des laïcs et à la co-responsabilité des baptisés, et donc des femmes dans l’Eglise: des propos qui sont autant de pierres d’attente pour la réflexion du prochain synode des évêques, en octobre 2022, sur la « synodalité ».

Auteure de L’heure des laïcs : Proximité et coresponsabilité (Salvator, 2021), Agnès Desmazières, analyse des enjeux pour la « coresponsabilité effective » des baptisés dans la vie de l’Eglise. 

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[1] Cf. Ormond Rush, « Ecclesial Conversion After Vatican II: Renewing ‘the Face of the Church’ to reflect ‘the Genuine Face of God’”, Theological Studies 74 (2013), 785-803.

[2] Cf. Céline Hoyeau, La Trahison des pères : Emprise et abus des fondateurs de communautés nouvelles, Paris, Bayard, 2021.

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