Le coeur et les mains © kristina-litvjak-50445-001 (Unsplash)

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Lectures de dimanche : « pour être chrétiens il faut avoir un grand et saint désir »

La stupeur du chrétien

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« Jésus est la vraie Vigne dont nous, les serments, recevons la sève de l’amour de Dieu » : c’est le titre de la méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures de ce dimanche 2 mai 2021 (Vème Dimanche de Pâques – Année B – Ac 9,26-31; Ps 21; 1 Jn 3,18-24; Jn 15,1-8).

« Pour être chrétiens, écrit l’observateur du Saint-Siège à l’Unesco à Paris, il faut avoir un grand et saint désir. Il nous faut désirer de toutes nos forces d’être rien de moins que l’endroit où Dieu habite, de manière à pouvoir ensuite nous-mêmes habiter en Lui et trouver dans sa demeure sécurité, joie, miséricorde et paix. »

 

  • Demeurer dans l’amour du Christ, en étant aimés du Seigneur et en l’aimant.

Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus dit de lui qu’Il est la Vie et il invite les disciples – d’hier et d’aujourd’hui – à demeurer en Lui comme Lui demeure en nous. La première réponse à cette invitation est de Lui demander de nous faire la grâce d’être dignes du fait qu’il habite en nous.

L’audace de cette question se fonde sur ce que Dieu a lui-même dit: il a promis d’habiter, dedemeurer dans le cœur de ceux qui sont droits et sincères. « Un cœur que nulle intention perverse ne dévie, un cœur ferme que nulle épreuve ne brise, un cœur libre que nulle violente affection ne subjugue » (cf. San Tommaso d’Aquino). Le verbe «  demeurer[1] » est un verbe clef du quatrième évangile et il signifie établir sa demeure, fonder un lien stable, habiter. C’est le projet de Dieu : nous petites créatures, incohérentes et pécheresses, nous sommes appelées à être la demeure de Dieu.

Rester avec le Christ, vivre avec lui en l’aimant et en demeurant en Lui, nous portons son propre fruit : nous devenons comme lui, partageant sa vie et la plénitude de sa joie. Demeurer dans le Seigneur qui a fait de nous son peuple en Lui, en son corps et avec son sang.

Ne nous lassons pas de méditer sur ce mystère, c’est-à-dire

– que Dieu lui-même devient Corps, un avec nous ; Sang, un avec nous ;

– que Dieu s’est fait un avec nous tous et, en même temps, nous fait tous un, une vigne qui produit beaucoup de fruit ;

– que Dieu est notre Maison et que nous sommes appelés à être Sa maison.

Il vient alors à l’esprit l’étonnement du roi Salomon quand il consacra le temple de Jérusalem et s’exclama : « Est-ce que, vraiment, Dieu habiterait sur la terre ? » (1 Roi 8, 27).

L’étonnement de Salomon n’est rien à côté de la stupeur que le chrétien éprouve devant le fait que Dieu ait choisi notre cœur, notre vie, pour y établir sa demeure, pour en faire son toit.

Cette décision de Dieu de demeurer en nous est magnifique, mais l’immensité de Son amour ne pourrait entrer dans nos cœurs, si Lui-même ne nous avait pas donné la grâce de l’accueillir. Il ne nous reste donc plus qu’à demander un cœur comme celui de Marie, la Vierge Mère, l’humble servante de Dieu, elle qui, plus que quiconque, a fait de la place au Seigneur dans sa vie, devenant physiquement aussi Sa demeure.

L’important est d’avoir un cœur droit et sincère, comme celui de la Vierge Marie, c’est-à-dire un cœur qui n’a qu’un désir: former une seule chose avec le Fils de Dieu venu parmi nous.

Pour être chrétiens il faut avoir un grand et saint désir. Il nous faut désirer de toutes nos forces d’être rien de moins que l’endroit où Dieu habite, de manière à pouvoir ensuite nous-mêmes habiter en Lui et trouver dans sa demeure sécurité, joie, miséricorde et paix.

Pour illustrer cette image, Jésus utilise la métaphore de la vigne et des sarments: « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire […].Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. » (Jn 15,4-8). Demeurer en Jésus n’est pas stérile, cela porte du fruit et ce fruit, c’est l’amour, et l’amour produit de la joie. Je crois donc pouvoir dire que la joie est le vrai fruit, signe de la présence de Dieu. La vigne qui produit du vin est donc signe de cette joie, de cet amour, du fruit que nous devons tous produire.

            2) La vraie Vigne: Le Christ, et nous en Lui.

L’affirmation de Jésus: «  Je suis la vigne » introduit une nouveauté par rapport à l’Ancien Testament, où il est affirmé que Dieu a une vigne[2]  et se plaint  d’elle, c’est-à-dire de son peuple : « Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? ».

Dans l’Ancien Testament, on parle d’une vigne qui n’est pas à la hauteur des attentes de Dieu. Dans le Nouveau Testament on dit que c’est Dieu qui est la vigne. L’évangile enseigne finalement que la vigne est à la hauteur des attentes de Dieu, parce que  Jésus est la vigne.

La vraie vigne est celle qui produit du fruit. En opposition à la « fausse » vigne qui ne produit pas de fruits.

C’est tout le drame de Dieu, il n’a pas trouvé d’homme qui réponde à son amour. Le premier homme à répondre à son amour  est le Fils, Son Fils qui devient Fils de l’homme, et il est la vigne, le premier homme à produire le fruit que Dieu désire, à produire le vrai raisin : ce doux fruit qu’est l’amour. Jésus Christ est la vigne qui produit le fruit de l’amour du Père et des frères. Il est donc la vraie vigne.

Pour Dieu, le fait que cette vigne ne réponde pas à ses attentions est un drame, et il se demande: « Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? » C’est pour Lui un vrai drame et c’est ce drame qui ressortira aussi dans la parabole des vignerons, comme cela nous est raconté par Marc au chapitre 12, et parallèles.

Ce drame se résout en Jésus car Il est la vigne. Comme Lui est la vie,  Il est la vigne et   produit du fruit.

« Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire […].Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. » (Jn 15,4-8).

Demeurer en Jésus n’est pas stérile, cela porte du fruit. Les principaux fruits sont le changement et la joie que l’on ressent de savoir qu’on y demeure gratuitement.

Rester avec Jésus implique – comme devoir au niveau de la cohérence, mais avant tout comme conséquence au niveau de l’être – de vivre comme Jésus: « Celui qui déclare demeurer en lui doit, lui aussi, marcher comme Jésus lui-même a marché » (1 Jn 2,6).  Cela soulève la question suivante: « Comment est-il possible de se comporter comme le Christ, vrai homme mais aussi vrai Dieu, l’Innocent qui meurt pour les coupables? ».  En restant accrochés à Lui, comme des sarments à la vigne. En effet, Jésus nous dit: «  je suis la vigne, vous êtes les sarments ». Donc si nous restons accrochés à Lui, nous porterons beaucoup de fruits, c’est-à-dire les mêmes fruits que Lui, nous aurons la même vie que Lui, sa vie de Fils, le même amour pour le Père, le même amour pour nos frères. En restant unis à Lui nous poursuivons son œuvre qui est de donner la vie et donner de l’amour ; en nous séparant de Lui nous détruisons son œuvre et produisons des fruits de mort.

Mais alors, comment demeurer en Lui ? Comment persévérer dans cet attachement qui nous lie à lui, en triomphant contre la fragilité de notre pauvre nature humaine blessée et infidèle? Avant tout  en demandant la grâce de pouvoir «  demeurer en lui », de nous établir dans son Amour qui devient notre toit. Si nous ne le demandons pas, si nous ne mendions pas l’Amour, nous ne pouvons pas le recevoir en don.

Deuxièmement, en prenant davantage conscience que pour vivre dans cette maison il faut un cœur plein de reconnaissance. Donc le sentiment à cultiver est la gratitude, car un cœur reconnaissant est un cœur fidèle, heureux d’être aimé de Dieu et d’aimer ses frères,  heureux d’être un ami du Christ, qui ne veut pas de serviteurs mais des amis.  Et être des amis de Jésus veut dire accepter sa Personne, veut dire accepter son amour pour nous, veut dire L’aimer et aimer notre prochain.

Nous trouvons un exemple de cette acceptation, de cette adhésion au Christ, chez
les Vierges consacrées dans le monde. Ces femmes sont appelées à être dans le monde des témoins de la fidélité de Dieu qui est le gardien de leur fidélité à elles.

Fidèles à la Parole que Dieu leur a adressée dès le jour de leur baptême et qui a pris, au fil du temps, la forme d’un appel à vivre la vocation chrétienne sous une forme particulière, celle de la consécration virginale.

Fidèles comme des épouses avec leur Epoux, car l’Ordo Virginum a pour caractéristique de vivre leur condition d’épouses du Christ en veillant sur la promesse de Jésus: «  Oui, je viens sans tarder! » (Ap 22,20) et en étant la voix qui, dans la gratuité, responsabilité et pure liberté des relations, crie à l’Eglise et au monde: « Voici l’époux, sortez à sa rencontre! » (Mt 25,6).

Fidèles au Christ, les femmes de l’Ordo Virginum sont porteuses de la Parole du Bien-Aimé. C’est à l’Amour toujours fidèle de Dieu que celles-ci puisent leur force pour persévérer dans leur attachement virginal à cause du Royaume des Cieux (Mt 19,12) et elles s’engagent à vivre  chaque jour avec authenticité et concret cet Amour qui manifeste le visage de Dieu. (cf rituel de consécration des Vierges : Préliminaires, I le sens de la consécration des vierges : »La traditionnelle consécration des vierges, en usage dans l’Eglise primitive, a conduit à l’élaboration d’un rite solennel par lequel celle qui a choisi de vivre dans la virginité est constituée comme une personne consacrée, signe transcendant de l’amour de l’amour de l’Eglise pour le Christ son Epoux, image eschatologique de la vie à venir ».)

Traduction d’Océane Le Gall

 

Lecture Patristique

Saint Jean Chrysostome (354 – 407)

Homélie 76 sur Jean 15, 1- 10

 

  1. Combien les disciples ont été timides et craintifs avant la mort de Jésus-Christ. – Parabole de la vigne et du vigneron, laquelle démontre, encore une fois de plus, la parfaite égalité du Père et du Fils.
  2. Le Sauveur dit beaucoup de choses en se plaçant au point de vue de ses auditeurs.
  3. L’amour est quelque chose de grand; il est invincible; ses avantages. – Ce que Jésus-Christ a fait pour nous: excellents témoignages de son amour. – Contre la rapine et l’avarice. – Maux que produisent les richesses et l’avarice. – Jésus-Christ nous a rachetés et nous servons les richesses. – Qui sont ceux qui rient des pauvres: les brutes, les insensés. – Comment on atteint à la perfection de la vertu. – Eloge de la pauvreté.
  4. L’ignorance rend l’âme timide et lâche, la doctrine des choses du ciel lui donne de la force et de l’élévation: une âme qu’on laisse privée de soins est craintive, non par sa nature, mais par la disposition de sa volonté. Quand je vois un homme, tantôt courageux, tantôt timide, je dis: ce n’est point là un vice de nature, ce qui est naturel n’est point sujet au changement; de même, lorsque je vois des gens aujourd’hui craintifs, et demain hardis, je porte le même jugement, et je rejette tout sur la volonté. Ainsi les disciples, avant d’avoir appris ce qu’ils devaient savoir, avant d’avoir reçu le don du Saint-Esprit, étaient extrêmement timides; mais après ils furent plus courageux que des lions. Pierre lui-même, que les seules menaces d’une servante avaient été capables d’effrayer, exposé dans la suite à mille périls, chargé de coups de fouets, attaché à une croix la tête en bas, ne garde point le silence; et comme si ç’eût été en songe qu’il souffrait tous ces tourments, il parle avec toute sorte de liberté et d’assurance, mais non pas avant la croix, avant la mort du divin Sauveur.

Voilà pourquoi Jésus-Christ disait: «Levez-vous, sortons d’ici». (Jn 14,31) Pour quelle raison, je vous prie? Ignorait-il l’heure à laquelle Judas devait venir? Craignait-il qu’en arrivant il ne se saisît aussitôt de ses disciples, et que ses ennemis, qui l’épiaient pour le prendre, ne se jetassent sur eux, avant qu’ils eussent prêché et répandu dans le monde l’excellente doctrine qu’il leur avait enseignée? Loin de nous cette pensée tout à fait indigne de sa Majesté. S’il ne craignait rien de tout cela, pourquoi les fait-il sortir de ce lieu, et les mène-t-il, seulement après avoir fini son discours, au jardin que Judas connaissait? Et, quoique Judas fût venu en personne, ne pouvait-il pas aveugler les soldats, comme il l’avait déjà fait en son absence? Pourquoi sort-il donc? C’était pour donner à ses disciples un peu de temps pour respirer. Il était bien vraisemblable qu’étant dans un lieu ouvert à tout le monde, ils devaient trembler de peur et de frayeur, tant à cause de l’heure qu’à cause du lieu. La nuit était déjà avancée et fort obscure, et ils ne pouvaient guère être attentifs aux paroles de leur Maître, ayant [481] continuellement présents à l’esprit ceux qui allaient venir pour les enlever, et de plus, le discours qu’il leur tenait ne leur faisait prévoir que des maux et des souffrances: «Je n’ai plus qu’un peu de temps à être avec vous», leur disait-il,«et le prince de ce monde va venir».

Toutes ces choses et ces paroles les jetant donc dans le trouble et dans l’effroi, comme s’ils allaient être pris sur-le-champ, leur Maître les conduisit en un autre lieu afin que, se croyant alors en sûreté, ils l’écoutassent avec plus d’assurance et de liberté d’esprit, car ils devaient entendre une grande et sublime doctrine. Voilà pourquoi il dit: «Levez-vous, sortons d’ici». Il ajoute ensuite: «Je suis la vigne, vous êtes les branches» Jn 15,1. Que veut nous faire entendre le Sauveur par cette parabole? Que celui qui n’écoute point sa parole ne peut vivre, et que c’est par sa vertu et par sa puissance que s’opéreront les miracles et les prodiges qui doivent arriver. «Mon Père est le vigneron». Quoi donc? Le Fils a besoin du secours de son Père? A Dieu ne plaise! ce n’est point là ce qu’insinue cette parabole.

Remarquez, mes frères, avec quelle exactitude Jésus-Christ l’explique. Il ne dit pas que le vigneron a soin de la racine, mais des branches; il ne fait point mention de la racine; c’est pour apprendre à ses disciples que, séparés de lui, et sans sa vertu et son assistance, ils ne peuvent rien faire, et qu’ils doivent se joindre et s’unir à lui par la foi, de même que la branche est jointe, et unie à la vigne: «Le Père retranchera toutes les branches qui ne portent point de fruit en moi (Jn 15,2)». Jésus-Christ parle ici de la vie, et déclare que nul ne peut demeurer en lui sans les oeuvres. «Et il émondera toutes celles qui portent du fruit»; en d’autres termes, il en aura grand soin.

Cependant la racine a besoin d’être cultivée avant les branches: le vigneron doit bêcher tout autour, et la découvrir un peu. Mais le Sauveur ne dit rien ici de la racine, il ne parle que des branches; faisant voir que s’il se suffit à lui-même, ses disciples, de quelque vertu qu’ils soient doués, ont besoin que le vigneron prenne d’eux un grand soin. C’est pour cette raison qu’il dit: il émonde la branche qui porte du fruit. Celle qui n’en porte point ne peut même plus rester attachée à la vigne. Mais la branche qui porte du fruit, il la rend plus féconde. Ce qui doit s’entendre des afflictions qui devaient bientôt leur arriver. Ce mot: «Il l’émondera», signifie: il taillera la branche pour la rendre plus fertile. Il montre donc que les tentations raffermiront les disciples.

Ensuite, de peur qu’ils ne lui demandent de qui il parle,
et aussi pour ne pas les jeter de nouveau dans le trouble et dans l’inquiétude, il dit: «Vous êtes déjà purs, à cause des instructions que je vous ai données (Jn 15,3)». Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ fait connaître que c’est lui qui prend soin des branches? C’est moi, dit-il, qui vous ai émondés, quoiqu’il ait auparavant déclaré que le Père a fait la même chose. Mais la raison pour laquelle Jésus-Christ parle de la sorte, c’est qu’il n’y a aucune différence entre le Père et le Fils. Il faut ici, leur insinue-t-il, que vous apportiez vos soins.

Ensuite, pour leur faire connaître qu’il les a émondés, sans avoir eu besoin de leur ministère, et seulement en vue de leur avancement, il ajoute: «Comme la branche ne saurait porter du fruit d’elle-même, de même aussi celui qui ne demeure pas en moi n’en saurait porter»Jn 15,4. De peur que la crainte n’éloigne ses disciples, le Sauveur fortifie leur âme que la frayeur a affaiblie, et il se l’attache étroitement; il la relève par les bonnes espérances qu’il leur donne. Car, dit-il, la racine demeure, mais il dépend des branches d’être retranchées, ou laissées sur la tige. Poursuivant ensuite son discours à la fois par des choses consolantes et par des choses tristes, il commence par exiger notre concours: «Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit (Jn 15,5)». Ne voyez-vous pas que le Fils ne contribue pas moins que le Père au soin et au salut des disciples? Le Père émonde, le Fils est la vigne qui contient les branches. Or, demeurer attaché à la racine, c’est ce qui fait que les branches portent du fruit. La branche qui n’est point émondée, demeurant attachée à la racine, porte du fruit, encore qu’elle n’en produise pas autant qu’elle devrait: mais celle qui n’y demeure pas ne porte aucun fruit. D’ailleurs on a fait voir qu’il appartient également au Fils d’émonder, et au Père, qui a engendré la racine, de faire qu’on y reste attaché. (482)

  1. Vous le remarquez sans doute, mes frères, tout est commun, émonder comme jouir de la vertu de la racine. C’est sûrement une grande perte et un grand malheur de ne pouvoir rien faire, de ne pouvoir porter aucun fruit; mais la peine ne se termine point ici, elle va plus loin. «Il sera», dit-il, «jeté dehors», il ne sera plus cultivé, «et il séchera (Jn 15,6)», c’est-à-dire, s’il a tiré quelque fruit de la racine, il le perd; s’il en a reçu quelque grâce, quelques biens, il en est dépouillé, et par là il est privé de tout secours et de la vie. Et quelle sera la fin de tout cela? «Il sera jeté au feu». Mais il n’en est pas de même de celui qui demeure étroitement attaché au cep de la vigne.

Le Sauveur nous apprend ensuite ce que c’est que demeurer, et dit: «Si mes paroles demeurent en vous (Jn 15,7)». Vous le voyez bien maintenant, mes chers frères, que j’ai eu raison de dire que Jésus-Christ demande le témoignage des œuvres. Car, ayant dit: Tout ce que vous demanderez, je le ferai (Jn 14,13-15), il a ajouté: «Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé». (Jn 15,7) Jésus-Christ disait ces choses pour apprendre à ses disciples que ceux qui lui dressaient des embûches seraient jetés au feu, et qu’eux au contraire porteraient du fruit. Ainsi, ayant fait passer dans les autres la crainte qui était en eux, et leur ayant fait connaître qu’ils seraient invincibles, il dit: «C’est la gloire de mon Père que vous rapportiez beaucoup de fruits, et que vous deveniez mes disciples (Jn 15,8)». Par là ce que dit le Sauveur se montre visiblement digne de foi; si porter du fruit c’est une chose qui tourne à la gloire du Père, le Père ne négligera point sa gloire, «et vous deviendrez mes disciples».Remarquez bien, mes frères, que celui qui porte du fruit est disciple de Jésus-Christ. Que signifie cela: «C’est la gloire de mon Père?» Le voici: Mon Père a de la joie lorsque vous demeurez en moi, lorsque vous portez du fruit.

«Comme mon Père m’a aimé, je vous ai aussi aimés (Jn 15,9)». Ici enfin Jésus-Christ parle d’une manière plus humaine. Comme cette parole est adressée à des hommes, elle a une vertu et une force toute particulière. Celui qui a bien voulu mourir pour ses serviteurs et pour ses ennemis et ses persécuteurs, qui leur a fait la grâce de les élever à de si grands honneurs, à une si haute dignité, qui les a menés au ciel, quel excès d’amour n’a-t-il pas montré en faisant toutes ces choses? Puis donc que je vous aime si fort, ayez une pleine confiance; puis donc que c’est la gloire de mon Père que vous rapportiez du fruit, ne craignez aucun mal. Ensuite, de peur de les rendre lâches et paresseux, il les excite de nouveau et se les attache plus étroitement; voyez bien de quelle manière, c’est en leur disant: «Demeurez dans mon amour», cela est en votre pouvoir. Mais comment demeurerez-vous dans mon amour? C’est: «Si vous gardez mes commandements comme j’ai moi-même gardé les commandements de mon Père (Jn 15,10)». Le Sauveur continue encore à parler humainement: étant le législateur, il ne devait nullement être soumis aux lois. Vous le voyez ici, mes frères, ce que je vous répète à tout moment, que le Sauveur parle en ces termes, pour s’accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Il dit bien des choses en se plaçant à leur point de vue; et toutes ses paroles tendent à leur faire connaître qu’ils sont en sûreté, et qu’ils renverseront et fouleront aux pieds leurs ennemis; et encore, que tout ce qu’ils ont, ils le tiennent du Fils, et que, s’ils mènent une vie pure et sainte, nul ne pourra les vaincre ni leur résister.

Mais observez, mes frères, avec quelle autorité Jésus-Christ parle à ses disciples. Il n’a point dit: Demeurez dans l’amour de mon Père, mais dans mon amour. Ensuite, de peur qu’ils ne disent: maintenant que vous nous avez attiré la haine de tout le monde, vous vous en allez et vous nous laissez, il leur montre qu’il ne les laisse point, et qu’au contraire il s’attachera aussi étroitement à eux, s’ils le veulent véritablement, que la branche est attachée au cep de la vigne. De peur encore que trop de confiance ne les rende nonchalants, il leur dit que s’ils sont lâches et paresseux, les grâces qu’ils auront reçues ne sont point inamissibles. Et aussi pour ne se pas rapporter tout à lui-même et les exposer par là à une plus grande chute, il dit: «C’est la gloire de mon Père». Partout il leur fait connaître et son amour pour eux et celui de son Père. Les œuvres des Juifs n’étaient donc point la gloire de son Père, mais celles qu’ils devaient faire par sa grâce.

Mais encore, de peur qu’ils ne vinssent à [483] dire: Nous avons perdu notre patrimoine, nous sommes abandonnés, dépouillés et privés de tout, il leur dit: Jetez vos regards sur moi, voyez: mon Père m’aime, et néanmoins je souffre maintenant tous ces maux et tous ces outrages; ce n’est d
onc pas que je ne vous aime, si présentement je vous laisse; car moi-même, que mes ennemis me fassent mourir, je ne le prends pas pour une marque que mon Père ne m’aime point; vous donc aussi, vous ne devez pas vous troubler. Si vous demeurez dans mon amour, tous les maux de la vie présente ne pourront nullement vous nuire, en ce qui concerne l’amour.

  1. Puis donc que l’amour est quelque chose de grand et d’invincible: puisqu’il n’est pas un vain mot, montrons notre amour, faisons le paraître par nos œuvres. Jésus-Christ nous a réconciliés avec lui, lorsque nous étions ses ennemis: maintenant nous sommes ses amis, demeurons dans son amour: il a commencé le premier à nous aimer, aimons-le du moins après qu’il nous a tant aimés. Il ne nous aime pas pour son propre intérêt, il n’a besoin de rien, aimons-le au moins pour notre utilité et notre avantage. Lorsque nous étions ses ennemis, il nous a prévenus de son amour, aimons du moins cet ami qui nous donne tant de témoignages de sa tendresse. Mais, hélas! nous faisons tout le contraire! par nos rapines et par notre avarice, tous les jours nous sommes cause que Dieu est blasphémé.

Mais peut-être quelqu’un dira: quoi! Tous les jours vous prêchez sur l’avarice. Hé, plût à Dieu que je puisse aussi prêcher contre elle toutes les nuits! Plût à Dieu qu’il me fût permis de vous suivre et quand vous allez dans les places publiques, et quand vous vous mettez à table! Plût à Dieu que vos femmes, que vos amis, que vos enfants, que vos serviteurs, que vos laboureurs, que vos voisins, que même ce pavé, ces pierres pussent tous rompre le silence, si notre mal pouvait recevoir de là quelque soulagement! Cette maladie s’est répandue dans tout le monde, et elle possède le coeur de tous les hommes: tant est grande la tyrannie des richesses!

Jésus-Christ nous a rachetés, et nous servons les richesses: c’est d’un autre maître que nous proclamons la suprématie, c’est à un autre maître que nous obéissons, soigneusement attentifs à tout ce qu’il nous commande: notre origine, les droits de la nature, de l’amitié, les lois, nous négligeons tout pour ce maître, et nous sacrifions tout à lui. Personne ne regarde le ciel, nul ne pense aux biens à venir. Mais, hélas! le temps viendra que ces paroles et nos regrets seront inutiles; car l’Ecriture dit: «Qui est celui qui vous louera dans l’enfer?» (Ps 6,5) L’or est désirable, il nous procure de grandes délices et nous attire des honneurs, mais non point comme le ciel. Le riche, plusieurs le haïssent et l’ont en horreur: mais l’homme qui est orné de la vertu, tous l’honorent et le respectent,

Mais, direz-vous, on rit du pauvre, on le méprise, même vertueux; mais ce n’est pas parmi les hommes que cela arrive, c’est parmi les brutes qui sont privées de raison; c’est pourquoi il ne faut nullement s’en soucier. Si des ânes braient, si des geais croassent, lorsque tous les sages nous louent et nous applaudissent, nous ne perdrons point de vue un tel public pour nous inquiéter des cris de ces animaux. Or, tous ceux qui admirent et recherchent les biens de la vie présente, sont pires que des geais, pires que des ânes. Si un des rois d’ici-bas faisait votre éloge, sûrement vous ne vous mettriez point en peine de ce que dirait la multitude du peuple, encore qu’on rie de vous. Et lorsque le Maître de l’univers vous loue, vous recherchez encore les louanges des escargots et des moucherons. Car tels sont ces hommes, si vous les comparez avec Dieu, out plutôt ils sont encore plus vils et plus méprisables.

Jusques à quand demeurerons-nous couchés dans la boue? Jusques à quand rechercherons-nous les éloges et les applaudissements des fainéants et des hommes sensuels? Il est de leur ressort de se connaître en joueurs, en ivrognes, en goinfres: mais de la vertu et du vice ils n’en ont même pas la moindre connaissance; c’est aussi de quoi ils ne sont nullement capables de juger. Et certes, si quelqu’un vous raillait de ne savoir point tracer des rigoles, vous ne vous en offenseriez pas, ou plutôt vous le railleriez à votre tour de vous avoir reproché une pareille ignorance, et cependant lorsque vous voulez exercer la vertu, vous prenez pour arbitres et pour juges ces sortes de gens qui n’en ont aucune idée? Voilà pourquoi nous n’atteignons point à la perfection de cet art. En effet, nous ne consultons pas les personnes habiles; mais les ignorants, qui jugent de la vertu non selon les [484] règles de l’art, mais selon leur propre ignorance.

C’est pourquoi, je vous en conjure, mes chers frères, méprisons la multitude, ou plutôt ne désirons point les louanges, ne recherchons ni l’argent ni les richesses: et ne regardons point la pauvreté comme un mal. La pauvreté est une grande maîtresse qui nous rend prudents et patients, qui nous élève à la plus haute et à la plus sublime philosophie. Lazare a vécu dans la pauvreté, et il a été récompensé d’une couronne: Jacob ne désirait que d’avoir du pain: Joseph s’est trouvé dans une même indigence; il s’est vu non-seulement esclave, mais encore prisonnier; et c’est pour cela que nous lui donnons de plus grands éloges. Oui, nous n’admirons point tant Joseph dispensateur des blés de l’Égypte, que Joseph renfermé dans une prison: nous n’admirons point tant Joseph, couronné d’un diadème, que Joseph chargé de chaînes: nous ne l’admirons point tant lorsqu’il est assis sur le trône, que lorsqu’on lui dressait des embûches et qu’on le vendait.

Considérant donc toutes ces choses, et les couronnes qui sont préparées à ces combats, ne louons ni les richesses, ni les honneurs, ni les dignités, ni les délices, ni la puissance; louons au contraire la pauvreté, les chaînes, les liens, et les travaux et les afflictions que l’on souffre pour la vertu. Celles-là finissent par le tumulte et le trouble, et se terminent à cette vie; mais celles-ci nous procurent le royaume des cieux et les biens célestes, que «l’œil n’a point vus, et l’oreille n’a point entendus (1Co 2,9): fasse le ciel que nous les obtenions tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

[1]  Le verbe rester (μένειν, menein) se trouve 118 fois dans le Nouveau Testament, dont seulement 12 fois  dans les Evangiles synoptiques, 17 fois dans les lettres de Saint Paul et 67 fois dans l’Evangile et les Lettres de Saint Jean. Ce verbe apparait la plupart des fois (43 sur 67) dans  l’expression “rester en”. Je dirais qu’on peut distinguer trois modalités d’utilisation du verbe rester et des expressions liées à  ce verbe: avant tout l’utilisation simplement biographique-spatiale, liée à la description des rencontres évangéliques pendant la mission publique de Jésus. En deuxième lieu, les expressions que l’on retrouve dans les récit évangéliques, comme ceux qui concernent Jean et André (Jn 1, 38-39) et  les samaritains (Jn 4, 40-42). Enfin, les formules contenues dans les discours de Jésus ou dans les lettres : il s’agit d’invitations adressées aux disciples à « rester avec lui », en « restant dans sa parole et dans son amour ».

Il y a des affirmations dans lesquelles les rapports suivants sont indiqués en même temps : le rapport de Jésus avec ses disciples, le rapport de Jésus avec le Père et la communion avec le Père et avec le Fils qui est expérimentée par les disciples.

[2]Voir, par exemple, Isaïe 5, 1-7, le Psaume 80 et Osée 10.

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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