« Dieu rit calmement » : un mois après la mort de l’ancien directeur de la revue La Civiltà Cattolica, le jésuite Gian-Paolo Salvini, L’Osservatore Romano en italien du 21 avril 2021 publie des extraits de son intervention lors de son départ à la retraite de l’Académie pontificale de théologie.
Dans nos sociétés occidentales, « les conflits et les tensions quotidiennes » risquent de « faire perdre de vue la modération propre à l’humour », a averti l’académicien durant cette cérémonie à l’Université pontificale du Latran, le 8 mai 2017.
Dieu a-t-il de l’humour ?
« Pour parler de Dieu, nous partons toujours de notre expérience humaine, dans laquelle se reflète également l’action de Dieu. Nul doute que l’humour est un moyen royal de nous établir dans la sérénité. Il fait partie de la sagesse, qui est un don de l’Esprit Saint ; ou plutôt, il est le sel de la vie – et en particulier, de la vie des croyants – l’empêchant de se gâter », a souligné le p. Salvini. Au contraire, celui qui manque d’humour « prend tout au sérieux », « dramatise tout » ou, au mieux, « se complique la vie ».
Le sens de l’humour, a-t-il ajouté, est « la capacité à saisir les aspects drôles et contradictoires de la vie, à en rire avec une bienveillante compréhension, un regard supérieur », qui permet de voir « mieux et au-delà », de « relativiser » et « redimensionner » ce que l’on a tendance à considérer comme « absolu et excellent ». Une « façon différente de voir une même réalité », supposant un « état d’âme évangélique ».
En ce sens, en matière d’humour, « Dieu est un maître insurpassable », a estimé l’académicien : « Toute l’histoire de l’Eglise est une succession de choix – de personnes, d’événements, d’instruments – faits par Dieu avec un sens de l’humour immuable », teintant ces choix « d’optimisme et de joyeuse surprise ».
C’est pourquoi, commentant le psaume 2, « Karl Rahner affirmait que “Dieu rit avec calme“, montrant qu’au fond, tout est bon et tout est grâce ».
Sur un plan plus spirituel, a poursuivi le p. Salvini, l’humour « cache un jugement implicite, fondé sur une conception de l’homme et de l’existence humaine ». Derrière le « scandale de l’Incarnation », il y a « l’abîme inexplicable de la richesse de l’amour et de la sagesse avec lesquels Dieu a disposé la trame secrète des événements dont est tissée l’histoire humaine ».
L’humour chrétien
Pour le jésuite, l’humour chrétien voit « l’inadéquation devant Dieu » de ce qui est « terrestre et humain », il voit que « tout ce qui est terrestre est imparfait ». Toutefois, « cette résignation est à son tour élevée dans la certitude que tout ce qui est fini est entouré de la grâce de Dieu ». « L’homme qui aime le monde malgré son imperfection, l’aime précisément dans cette imperfection, comme le fait Dieu ».
Un des effets de l’humour chrétien consiste à « démystifier nous-mêmes et les autres », a-t-il affirmé : « L’impact avec la réalité de notre misère pourrait être dramatique, et la soupape de sécurité est justement l’humour, qui ne cache pas nos faiblesses, mais nous les fait voir avec le regard de Dieu. »
Bon nombre de livres et de récits de la Bible révèlent une « façon d’observer le monde avec un regard amusé », révélant « la capacité d’être en même temps détaché de ses propres représentations de la réalité et pleinement et passionnément impliqué dans les affaires de Dieu », a souligné le p. Salvini par ailleurs. Cette expression d’un « humour chrétien profond et sain » découle d’un « sentiment de la relativité de tout ce qui n’est pas Dieu ».
Et de citer la « profonde liberté d’esprit » et le « sens de l’humour tout aussi profond » des saints : ce n’est pas « simplement une question de bon caractère, de sympathie humaine ou de facilité … « mots d’esprit », mais cela manifeste une « conformité à l’expérience que tout est extrêmement relatif en dehors de l’Unique, l’Ineffable, devant qui tout apparaît petit et limité »
Enfin, a conclu l’académicien, l’humour est également « un antidote efficace contre la peur, une façon d’exorciser le mal. Avec l’humour, de nombreux saints ont exorcisé la mort, lui redonnant son sens humain, dans la lumière de Dieu. Notre monde actuel n’est plus capable de le faire, sinon de manière déformée et sans humanité, faisant semblant que la mort n’existe pas ».
Avec une traduction d’Hélène Ginabat
