Mosaïque du Bon Pasteur à Ravenne © Wikimedia Commons / Meister des Mausoleums der Galla Placidia in Ravenna

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« Le beau Pasteur qui offre la vie », par Mgr Follo

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« Prier pour les prêtres afin qu’ils soient des pasteurs qui aident à regarder le Christ »

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« Prier pour les prêtres afin qu’ils soient des pasteurs qui aident à regarder le Christ de telle manière qu’avec notre regard aussi notre vie aille à lui, en entier, sans réserve »: c’est l’invitation de Mgr Francesco Follo dans ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, IVème  Dimanche de Pâques (Année B),  25 avril 2021.

« Le beau Pasteur qui offre la vie », titre Mgr Follo: ce sera en effet le Dimanche du Bon Pasteur.

L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose aussi une lecture patristique: un discours de Basile de Séleucie.

AB

Le beau Pasteur[1] qui offre la vie

 

Prémisse

L’Evangile que la liturgie de ce dimanche propose, n’est qu’une partie du grand discours de Jésus sur les pasteurs. Dans ce récit, le Seigneur nous dit trois choses sur le vrai pasteur : il donne sa vie pour les brebis ; il les connaît et ils le connaissent ; il est au service de l’unité. Dans le paragraphe 1 de cette méditation, je proposerai des brèves réflexions sur ces trois caractéristiques essentielles d’un pasteur, mais maintenant il sera utile de rappeler la partie précédente du discours sur les pasteurs dans laquelle Jésus, avant de se désigner comme Pasteur, dit à notre surprise : « Je suis la porte » (Jn 10, 7).

C’est par lui qu’il faut entrer dans la fonction de pasteur. Jésus met très clairement en évidence cette condition fondamentale en affirmant : « Celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui l’escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. » (Jn 10, 1). Le mot « escalade » évoque l’image de quelqu’un escaladant la clôture pour atteindre, en passant, là où il ne pouvait légitimement pas arriver. « Escalader » est un verbe qu’ici l’on peut aussi voir comme l’image du carriérisme, de la tentative d’arriver « en haut », d’obtenir une position à travers l’Église : de se servir d’elle, ne pas de la servir. C’est l’image de l’homme qui, par le sacerdoce, veut se donner de l’importance, devenir un personnage ; l’image de celui qui vise sa propre exaltation et non l’humble service de Jésus-Christ. Mais la seule ascension légitime vers le ministère de berger est la croix. Le Christ est la porte et la croix en est la clé.

 

1) Le Christ, Pasteur bon et un Homme nouveau

En chaque personne humaine il y a le désir de vaincre la mort et de vivre pour toujours. Le Christ ressuscité se manifeste comme réponse vraie et concrète à ce désir et le récit de l’évangile (Jn 10, 11 – 18) d’aujourd’hui nous apprend que, si nous voulons la vie, nous devons suivre le Bon Pasteur, qui est la Vie et qui la donne incessamment.

En fait, dans ce récit, Jésus lui-même non seulement explique la signification de l’image du Bon Pasteur, en décrivant l’identité (vv 11-13) et la connaissance qui existe entre le pasteur et son troupeau (vv 13-16), mais surtout en soulignant le geste le plus beau : le don de la vie. Par 5 fois, (Jn 10, 11.15.17.18), Jésus révèle être le Pasteur par excellence à travers le don de sa vie qui est complètement offerte.

Avec l’expression « donner la vie », Jésus ne parle pas uniquement de sa mort sur la croix pour nous, aussi parce que, si le Pasteur meurt, les brebis sont abandonnées et le loup les enlève, tue et gagne.

Avec l’expression « donner la vie » il entend avant tout dans le sens du vignoble qui donne la sève aux branches ; de la mère qui donne la vie à l’enfant ; l’eau qui donne la vie à la terre aride. Un don de vie pour nous, que le Christ aime au point de sacrifier sa vie sur la croix.

Donc, quand le Christ affirme : « J’offre la vie », ça veut dire « Je vous donne ma façon d’être et d’aimer ». Donc, il nous propose un modèle d’« homme nouveau » qui n’est pas le fruit d’une abstraction: c’est Lui-même, le Fils qui sait d’être aimé par le Père, qui aime les frères et propose cette liberté d’aimer et de servir. Les autres – dit Jésus – sont simplement des voleurs et brigands. Ils prennent la vie des brebis, ils ne la leur donnent pas.

Le pasteur bon est le pasteur qui aime. L’homme bon est l’homme qui aime, en imitant le bon pasteur.

En se définissant lui-même comme « bon pasteur » et en demandant de le suivre, Jésus indique un modèle d’homme nouveau qui, d’une part, est désarmant et désarmé. D’autre part, il est plein de courage parce qu’il affronte les loups et la croix. Jésus est le beau pasteur (en grec « kalòs » signifie beau et la version française traduit comme « bon ») parce que sa beauté de pasteur est le charme de sa bonté et de son courage.

Avec quelle beauté nous attire le Christ ? Comment nous charme le beau pasteur ? Avec le don de sa vie. En effet dans le récit de l’évangile d’aujourd’hui le verbe : je donne ma vie est répété cinq fois.

Jésus nous offre cet échange : « Ma vie pour la tienne ». Le Dieu incarné est attrayant et saint Augustin explique : « Si le poète (il cite Virgile, Egl. 2) a pu dire : ‘Chacun est attiré par son plaisir, pas par la nécessité mais par le plaisir, pas par la contrainte mais par le ravissement ; à fortiori nous pouvons dire que l’homme est attiré par le Christ est l’homme qui trouve son délice dans la vérité, dans la béatitude, dans la justice, dans la vie éternelle, dans tout ce qui est « le Christ ». Toujours Saint-Augustin, en se référant à la beauté du Christ, écrivait : « Pourquoi y avait-il de la beauté même sur la croix ? Parce que la folie de Dieu est plus sage des hommes ; et la faiblesse de Dieu est plus forte des hommes (Cor 1,23-25) … Dieu est beau, Verbe auprès de Dieu ; beau dans le sein de la Vierge Marie, où il ne perdit pas la divinité et assuma l’humanité ; beau est le Verbe qui est nait enfant … Donc, Il est beau au ciel, beau sur la terre ; beau dans le sein, beau dans les bras des parents : beau dans les miracles, beau dans les supplices, beau en invitant la vie et beau en la reprenant, beau en ne soignant pas la mort, beau en abandonnant la vie et en la reprenant ; beau sur la croix, beau dans le sépulcre, beau dans le ciel …  La justice est suprême et vraie beauté ; tu ne le verras pas beau, si tu le considères injuste ; s’il est juste partout, partout il est beau. Qu’il vienne à nous pour se faire contempler par les yeux de l’esprit. »

 

            2) La vocation est un don à partager.

Jésus Christ a reçu du Père ce commandement de « donner », qui rend la vie belle et heureuse : le don rend la vie heureuse parce que : « Il y a plus de joie dans le ‘donner’ que dans le ‘recevoir’ et parce qu’avec le don, on n’est jamais seul, si l’on vit une expérience joyeuse du partage et de la communion

Mais le bon Pasteur, qui est beau et courageux, n’a pas uniquement un ordre à exécuter, il a une raison : l’amour du Père et pour nous. Cette charité est ce qui le fait « bouger ». Pour Lui, chaque être humain est important et c’est la raison pour laquelle il donne sa vie pour nous tous et toutes. Les Apôtres qui sur le bateau en pleine tempête lui crient : « Seigneur, il ne t’importe pas si nous mourrons ? » Le Seigneur répond, en apaisant la mer, en grondant le vent. Comme pour dire : « Oui, il m’importe de vous, votre vie m’importe, vous êtes importants pour moi ». Dans un certain sens, il répète à chacun de nous : « Les moineaux du ciel m’importent, mais toi, tu vaux plus que les moineaux. Les lys du champ m’importent, mais toi, tu es beaucoup plus. J’ai compté tes cheveux, et je connais toute la peur que tu portes dans le cœur. C’est une certitude : j’importe à Dieu. Nous nous tenons à cela, même lorsque nous ne comprenons pas, en souffrant par l’absence de Dieu, dérangés par son silence.

J’ai appris ce commandement du Père : la vie est un Don. Pour être bien, l’homme doit donner.  Car Dieu fait ainsi. Le pasteur ne peut être bien jusqu’à quand même une seule de ses brebis n’est pas bien.

La vocation est de vivre le Christ et de devenir comme Lui : un Don. Pour sauver les hommes et pour leur enseigner le vrai amour, le Fils de Dieu s’est « abaissé » jusqu’à eux, et, avec cet « abaissement », il a offert l’agape, c’est à dire l’amour « donneur », oblatif, non pas possessif.

C’est beau de dire oui à Dieu qui appelle. Il est vrai qu’il faut renoncer à soi-même et tout lui donner, mais en échange l’on en reçoit la vie éternelle et cent fois de tout ce que nous avons laissé, pour suivre le Seigneur.

La vocation est un exode, comme a récemment rappelé le Pape François, de soi-même vers Dieu en compagnie de nos frères et sœurs en l’humanité. A la source de chaque vocation chrétienne -explique le Pape- il y a la sortie « de la commodité et rigidité du propre moi pour centrer notre vie en Jésus Christ ». Une sortie qui ne représente pas « un mépris de sa propre vie, de son sentir et de son humanité », bien au contraire. La vocation   – explique le Pape François en citant la « Deus Caritas est » de Benoît XVI – est un appel d’amour qui attire et va au-delà de soi-même, déclenchant « un exode permanent du moi replié sur soi-même vers la libération du don de soi ».

Avec l’offrande totale de soi-même, les Vierges consacrées dans le monde s’abandonnent totalement au cœur du Christ, leur époux, et témoignent de cet amour oblatif.

Elles montrent, d’une manière particulière, que le don reçu devient un don offert pour la louange de Dieu et le salut du monde. Comme le rappelle le RCV : « La virginité consacrée manifeste l’amour virginal du Christ pour l’Eglise son épouse et la fécondité surnaturelle de cette union spirituelle ». Parce qu’une vie non donnée est aride, une vie donnée est féconde de bien.

 

Enfin, il est important de rappeler que cette vie donnée dans la spiritualité des vierges consacrées de l’Ordo Virginum a des traits caractéristiques spécifiques. Ces traits sont reliés à trois images que la tradition a utilisé pour délimiter la figure spirituelle des Vierges consacrées et que le Rite de consécration se définit sur le modèle de l’Eglise épouse, sœur et mère.

La figure de l’épouse représente l’expérience de l’union intime et indissoluble avec le Christ. La figure de la sœur recommande l’engagement du partage avec lequel les vierges consacrées se représentent dans le contexte social et ecclésiastique. La figure de la mère fait référence à la fécondité de la consécration qui voit en Marie, une icône splendide et éclairante.

Lecture Patristique

Basile de Séleucie (+ 459)

Discours 26, 2 (PG 85, 306-307)

 

Le Pasteur se fait égorger pour son troupeau, comme s’il était une brebis. Il n’a pas refusé la mort, il n’a pas anéanti ses bourreaux comme il en avait le pouvoir, car sa Passion ne lui a pas été imposée. C’est en toute liberté qu’il a donné sa vie pour ses brebis. J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre (Jn 10,18). Par sa passion il expiait nos passions mauvaises; par sa mort il guérissait notre mort; par son tombeau il anéantit le tombeau; par les clous de sa croix il ruinait jusqu’aux fondements de l’enfer.

 

La mort a gardé son empire jusqu’à la mort du Christ. Les tombeaux sont restés écrasants, notre prison indestructible, jusqu’à ce que le Pasteur y descende pour annoncer aux brebis qui s’y trouvaient enfermées la joyeuse nouvelle de leur libération. Son apparition au milieu d’elles leur donnait la garantie de leur appel à une vie nouvelle. Le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis, et c’est ainsi qu’il cherche à s’attirer leur amour. Or, on aime le Christ si l’on écoute attentivement sa voix.

 

Le pasteur sait bien séparer les chèvres des brebis. Selon l’Évangéliste, toutes les nations seront rassemblées devant lui; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres: il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux, qui seront à sa droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde (Mt 25,32-34).

 

Qu’avaient-ils donc fait pour mériter cette invitation? J’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli (Mt 25,35). Ce que vous avez donné aux miens, c’est moi qui vous le revaudrai. C’est par eux que moi je suis nu, étranger, errant et pauvre. C’est à eux que l’on donne, c’est moi qui suis reconnaissant. C’est moi qui suis dans la peine quand ils vous supplient.

 

Gagne le juge à ta cause par tes présents, avant que vienne le procès. Donne-lui une raison d’être indulgent, donne-lui matière à pardonner. Ne nous préparons pas cette sentence sévère: Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel, préparé pour le démon et ses anges. Quels sont donc ces crimes qui nous feraient condamner avec le démon! J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé (Mt 25,41-43).

 

Qui donc est passé à côté de son Pasteur, qu’il voyait affamé? Qui a méprisé, en le voyant nu, celui qui sera bientôt son juge? Qui va condamner à la soif le juge de l’univers? Le Christ se laissera gagner par les services et les présents des pauvres, il dispensera d’un long supplice en récompense d’un petit présent. Éteignons le feu par notre miséricorde. Soyons compatissants envers les autres, faisons-leur grâce comme Dieu nous a fait grâce dans le Christ. A lui gloire et puissance pour les siècles des siècles.

 

NOTE

[1] Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus définit soi même, pour la première fois et explicitement, comme « le bon pasteur ». Le terme « bon » (traduit par l’adjective grec kalòs, qui signifie beau) est entendu dans le sens de « généreux, idéal, naïf, vrai»: il est le pasteur idéal annoncé par les Ecritures. Cet appellatif  lui appartient parce qu’il « (dé) pose la vie pour ses bribes». L’expression est répétée avec des variations cinq fois dans la lecture (Jn 10,11.15.17.18).    Le verbe « (dé) poser (tithemi) est utilisé dans le sens d’offrir de manière consciente et libre. Jésus dépone/ expose sa vie pour  (hyper) ses brebis. Cette sentence rappelle Mc 10, 45 où on dit que Jésus donne « sa vie en rançon pour (anti) la multitude ». Toutefois, tandis que la préposition hyper, utilisée par Jean, signifie expressément « en faveur de », dans Marc l’utilisation de anti (au lieu de) fait penser à l’idée de substitution, même si dans le grec hellénistique une distinction précis entre prépositions similaires était disparu : en pratique les deux expressions vont s’équivaloir.   En plus, le texte grec utilise le mot « psyche », qu’on traduit avec « vie », mais littéralement cela veut dire « âme ». L’expression « donner l’âme » existe encore dans les langues modernes. Donc on peut légitimement entendre l’expression « donner la vie » : 1.comme offre de soi, 2.   comme mettre au monde, 3. comme donner la vie éternelle, car elle est spirituelle et pas seulement matérielle.

 

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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