Card. Parolin, 150 ans du Bambino Gesù © capture de Zenit / Vatican News

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Le multilatéralisme pour protéger « les Etats plus faibles », par le card. Parolin

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Evénement international sur Fratelli tutti (Traduction complète)

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Le multilatéralisme, dans l’optique de la fraternité présentée par le pape François dans son encyclique Fratelli tutti, cherche à réaliser « un bien commun réellement universel » et à protéger les « Etats plus faibles », a affirmé le cardinal Pietro Parolin dans une intervention intitulée : « Fratelli tutti, multilatéralisme et paix ».

Le secrétaire d’Etat est intervenu à la présentation en ligne de l’encyclique du pape François Fratelli tutti sur le thème : « Fraternité, multilatéralisme et paix », à Genève, jeudi 15 avril 2021.

Dans l’action multilatérale, a-t-il expliqué, « la fraternité se traduit par le courage et la générosité en vue d’établir librement des objectifs communs déterminés et d’assurer la mise en œuvre dans le monde entier de certaines normes essentielles ».

« Nous devons nous concentrer sur le principe sous-jacent du service du bien commun », a insisté le cardinal, notamment à propos de l’accès aux soins et aux vaccins anti-covid.

Devant ambassadeurs et représentants des organismes internationaux, le secrétaire d’Etat a évoqué « les priorités du Saint-Siège » dans le domaine de l’accès à la santé, des réfugiés, du travail, du droit international humanitaire et du désarmement.

Voici notre traduction de l’intervention du cardinal Pietro Parolin prononcée en italien.

HG

Fratelli tutti, multilatéralisme et paix

Excellences,

Illustres Représentants des Autorités,

Messieurs et Mesdames,

Chers amis,

Je suis particulièrement heureux de l’invitation qui m’a été adressée d’intervenir à une rencontre de réflexion sur l’encyclique Fratelli tutti, avec la participation d’éminents Directeurs généraux présents dans cette ville internationale de Genève. Votre engagement dans le multilatéral, comme celui des ambassadeurs ici présents, est une façon privilégiée de promouvoir le bien commun de la famille humaine et de développer des idées originales et des stratégies innovatrices, « afin que l’on recherche avec une plus grande audace créative des solutions nouvelles et durables »1.

Pour pleinement comprendre le concept de fraternité et sa déclinaison dans l’action diplomatique multilatérale du Saint-Siège, il peut être utile de revenir au début du pontificat du pape François. On se souviendra que la fraternité est le premier thème auquel le pape a fait référence le jour de son élection, il y a plus de huit ans, lorsqu’il a exprimé ce désir : « Prions toujours pour nous tous : les uns pour les autres. Prions pour le monde entier, pour qu’il y ait une grande fraternité »2. Toutes les actions et activités successives du pontificat ont été une conséquence naturelle et cohérente d’un chemin orienté vers celle-ci.

En réfléchissant un an après le commencement de la pandémie, nous voyons comment ce critère pour un programme devient déterminant si l’on veut dépasser la dichotomie actuelle entre « le code de l’efficacité » et le « code de la solidarité »3. En effet, la fraternité nous pousse vers un « code » encore plus exigeant et inclusif : « Tandis que la solidarité est le principe de la planification sociale qui permet aux personnes inégales de devenir égales, la fraternité est celui qui permet aux personnes égales dans leur essence, leur dignité, leur liberté et leurs droits fondamentaux, de participer différemment au bien commun selon leur capacité, leur programme de vie, leur vocation, leur travail ou leur charisme de service »4.

Dans l’action multilatérale, la fraternité se traduit par le courage et par la générosité en vue d’établir librement des objectifs communs déterminés et d’assurer la mise en œuvre dans le monde entier de certaines normes essentielles, en vertu de la locution latine pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées, ndr), par laquelle on veut conserver la foi en la volonté légitimement manifestée, afin de résoudre les controverses avec les moyens offerts par la diplomatie, la négociation, les Institutions multilatérales et avec le désir plus large de réaliser « un bien commun réellement universel et la protection des Etats plus faibles »5.

Sur la base de cette brève prémisse sur la fraternité, je voudrais profiter de cette occasion pour partager quelques réflexions sur les principaux thèmes de compétence des Organisations que vous représentez et sur les priorités du Saint-Siège en la matière : l’accès à la santé, les réfugiés, le travail, le droit international humanitaire et le désarmement.

Dans le domaine de la santé, cette année, la famille humaine a fait l’expérience d’un lien indissoluble qui a « pendant un certain temps fait prendre conscience d’être une communauté mondiale navigant dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tous »6. Ce sentiment humain face à l’inconnu a rapidement cédé le pas à une course au vaccin et aux soins au niveau national, rendant manifeste le fossé entre les pays développés et le reste du monde dans l’accès aux soins fondamentaux7. Devant un problème systémique, comme celui des barrières à l’accès aux soins, aggravé par l’état d’urgence actuel, le Saint-Siège a proposé une série de recommandations pour affronter cette question, inspirées par la conviction de l’importance de la fraternité. A tout moment, nous devons nous concentrer sur le principe sous-jacent du service du bien commun. Cette approche est bien illustrée par saint Jean-Paul II et son insistance sur l’ « hypothèque sociale », qui souligne le principe de la destination universelle des biens8. Dans cette optique, la communauté internationale a l’obligation de garantir que tout vaccin et traitement Covid-19 soit sûr, disponible, accessible et bon marché pour tous ceux qui en ont besoin.

L’attention envers les plus démunis et les personnes se trouvant en situation de vulnérabilité, en particulier les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, n’est pas seulement un témoignage de fraternité mais la constatation d’une attention au besoin réel de nos sœurs et de nos frères. Les appels incessants adressés aux dirigeants et aux Organismes internationaux pour une nouvelle mondialisation de la solidarité, capable de supplanter celle de l’indifférence sont une constante chez le pape et sont aussi systématiquement repris dans l’encyclique. Les réfugiés ont toujours fait partie de l’histoire. Malheureusement, aujourd’hui encore, leur nombre et leurs souffrances continuent d’être une blessure dans le tissu social de la communauté internationale. En l’année du 70ème anniversaire de l’Institution du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), nous ne cessons de constater douloureusement que le nombre des personnes en quête de protection continue de monter inexorablement. Cela signifie des problématiques humanitaires et sociales profondes.9

En ce sens, le Saint-Siège accueille la vision de fond du Pacte mondial sur les réfugiés, qui vise à renforcer la coopération internationale à travers un partage de la responsabilité plus équitable et prévisible, rappelant en même temps que la solution durable idéale et plus complète consiste à garantir les droits de tous à vivre et prospérer dans la dignité, la paix et la sécurité dans leur pays d’origine.

Au cours de ces derniers mois, les stratégies adoptées mondialement pour contenir la pandémie ont eu un impact significatif sur les travailleurs, notamment informels, les petits entrepreneurs et commerçants, qui ont vu une érosion de leur épargne et ont souvent dû se heurter à des barrières systémiques à l’accès à l’aide sanitaire de base. Dans le monde d’aujourd’hui, pour le bien des processus de construction de la paix, le format traditionnel du dialogue social doit être élargi et devenir plus inclusif. L’implication des organisations des travailleurs et des employeurs est fondamentale, mais elle devrait être intégrée par des acteurs qui représentent l’économie informelle et les préoccupations environnementales. Comme le rappelle Fratelli tutti, « il faut penser à la participation sociale, politique et économique dans des modalités telles ‘qu’elles incluent les mouvements populaires et animent les structures de gouvernement locales, nationales et internationales dans ce torrent d’énergie morale qui découle de l’implication des exclus dans la construction du destin commun’ »10.

Tout le monde ne sait peut-être pas que Monsieur Henry Dunant (1828-1910), fondateur de la Croix-Rouge, très impressionné par les violences perpétrées et par la désorganisation des secours aux blessés, adopta lui aussi le cri de « Tous frères » pour convaincre la population locale et les volontaires de prêter secours quelle que soit l’appartenance aux parties en conflit11. C’est justement à partir de ces expériences dramatiques que M. Dunant conçut la Croix-Rouge. Aujourd’hui, malheureusement, il y a un besoin urgent de renforcer la diffusion et la promotion du respect du droit humanitaire. En effet, celui-ci a pour but de sauvegarder les principes essentiels d’humanité dans un contexte – celui de la guerre – qui est en soi inhumain et déshumanisant, en protégeant la population civile et en bannissant les armes qui infligent des souffrances aussi atroces qu’inutiles. On pourrait également affirmer que l’universalité des Conventions de Genève de 1949 représente une reconnaissance implicite de ce lien de fraternité qui unit les peuples, et au moins de la nécessité de mettre des limites aux conflits. En outre, conscient des omissions et des hésitations, le Saint-Siège espère que les Etats pourront parvenir à de nouveaux développements du droit international humanitaire, afin de tenir compte de manière adéquate des caractéristiques des conflits armés contemporains et des souffrances physiques, morales et spirituelles qui les accompagnent12, dans le but d’éliminer les conflits.

Le désir de paix, de sécurité et de stabilité est en effet un des désirs les plus profonds du cœur humain, puisqu’il est enraciné dans le Créateur, qui fait de tous les peuples des membres de la famille humaine. Cette aspiration ne pourra jamais être satisfaite par les seuls moyens militaires et encore moins par la possession d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive.13

Les conflits sont toujours source de souffrances chez ceux qui les subissent, certes, mais également chez ceux qui les combattent. Affirmer que la guerre est l’antithèse de la fraternité n’est pas une figure de rhétorique. C’est dans cette perspective que le Saint-Siège encourage avec conviction l’engagement des Etats dans le domaine du désarmement et du contrôle des armements en vue d’accords durables sur la voie de la paix et, en particulier, sur le front du désarmement nucléaire. Si l’affirmation selon laquelle nous sommes tous frères et sœurs est valide, comment la dissuasion nucléaire peut-être être à la base d’une éthique de la fraternité et de la coexistence pacifique entre les peuples ? On observe certains signaux encourageants, comme la récente entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Mais les sommes d’argent considérables et les ressources humaines destinées aux armements font réfléchir. La logique qui lie la sécurité nationale à l’accumulation d’armes est contre-productive. La disproportion entre les ressources matérielles et les talents humains consacrés au service de la mort d’une part, et les ressources consacrées au service de la vie d’autre part, est un motif de scandale. Les défis qui affligent la communauté internationale sont tout autres et les priorités pour les Etats devraient l’être également.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Ce que je viens d’exposer ne représente que quelques indications de méthode et défis auxquels est confrontée la famille humaine. Des indications et des objectifs que le Saint-Siège, dans l’esprit des perspectives renouvelées par le pape François dans son encyclique Fratelli tutti, considère comme incontournables pour une action se voulant adéquate et protagoniste par rapport aux processus en cours dans la communauté internationale. Nous sommes conscients que, pour faire face au scénario qui se dessine, il ne suffit pas de proclamer son engagement ou de se limiter à encourager les efforts, à rappeler les devoirs ou à contribuer à l’action afin de répondre concrètement aux grands défis15.

D’où la nécessité non plus de faire face, mais de préparer un projet en mesure de répondre à ce qui vient ensuite16.

Dans cette perspective, le système juridique n’a plus seulement besoin de règles communes, mais que celles-ci soient effectives et efficaces pour les situations d’aujourd’hui. L’élément supplémentaire est la responsabilité individuelle et la capacité à se sentir frères, c’est-à-dire à faire siens les besoins des autres à travers une réciprocité de rapports qui dépasse l’isolement et qui implique les Etats, les individus et les organismes internationaux. L’incitation du pape François exige toujours plus une présence et un comportement qui répondent à l’actualité des relations entre les Etats et entre les peuples, surtout lorsque semble prévaloir des attitudes qui abandonnent la vision du bien commun.

J’espère que cet événement représentera pour nous tous un pas en avant sur le chemin riche et exigeant de la fraternité.

Je vous remercie chaleureusement.

____________________

1   François, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège, 11 janvier 2016.

2   François, Premières salutations, 13 mars 2013, in w2.vatican.va.

3   François, Message au professeur Margaret Archer, présidente de l’Académie pontificale des Sciences sociales, à l’occasion de la session plénière, 24 avril 2017.

4   Ivi.

5   François, Lettre encyclique Fratelli tutti, n. 174.

6   Ivi, n. 32.

7      Comme l’a souvent rappelé le Dr Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, notamment au Comité exécutif en janvier dernier : “the world is on the brink of a catastrophic moral failure – and the price of this failure will be paid with lives and livelihoods in the world’s poorest countries”. Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, Discours à la 148ème réunion du Conseil d’administration de l’OMS, 18 janvier 2021.

8      « les biens de ce monde sont à l’origine destinés à tous. Le droit à la propriété privée est valable et nécessaire, mais il ne supprime pas la valeur de ce principe. Sur la propriété, en effet, pèse une hypothèque sociale, c’est-à-dire que l’on y discerne, comme qualité intrinsèque, une fonction sociale fondée et justifiée précisément par le principe de la destination universelle des biens. ». Saint Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, n. 42.

9      Le Saint-Siège, Etat membre du Comité exécutif du UNHCR, a fait partie des 26 premiers pays participants à la Conférence des Plénipotentiaires en juillet 1951, qui a donné vie à une des plus importantes Conventions pour la communauté internationale : la Convention relative au statut des réfugiés. Cette Convention, dont on célèbre le soixante-dixième anniversaire cette année, a contribué à protéger, leur redonnant espérance, de nombreuses personnes victimes de conflits ou de persécution. En un certain sens, la reconnaissance et la concession de protection internationale sous-entendent une reconnaissance implicite du fait que nous sommes frères et sœurs, membres de la même famille humaine.

10  François, Lettre encyclique Fratelli tutti, n. 169.

11  Cf. H. Dunant, Un souvenir de Solferino (1859).

12  Cf. François, Discours aux participants à la Conférence sur le droit international humanitaire, 28 octobre 2017.

13  Cf. François, Message à la Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, 7 décembre 2014.

14 A cet égard, comme l’a affirmé le pape François, « l’état actuel de notre planète exige, à son tour, une sérieuse réflexion sur la façon dont toutes ces ressources pourraient être utilisées, en référence à la complexe et difficile mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable, et par la suite d’attendre des objectifs comme le développement humain intégral ». Discours sur les armes nucléaires, Nagasaki, 24 novembre 2019.

15                            A ce sujet, nous tenons du pape un indicateur qui peut être une orientation solide : « Il faut avant tout rejeter la culture du déchet et prendre soin des personnes et des peuples qui souffrent des inégalités les plus criantes, à travers une œuvre qui sache patiemment privilégier les processus solidaire sur l’égoïsme des intérêts contingents » (Discours aux participants au Symposium international organisé par le Dicastère pour le Service du Développement humain intégral, sur le désarmement , 10 novembre 2017).

16                            La crise de la politique et des valeurs démocratiques a également des répercussions au niveau international, par ses retombées sur tout le système multilatéral avec pour conséquence évidente le fait que les Organisations pensées pour favoriser la paix et le développement – sur la base du droit et non de la « loi du plus fort » – voient leur efficacité compromise. Certes, on ne peut taire qu’au cours des dernières années, le système multilatéral a également montré quelques limites. La pandémie est une occasion à ne pas gâcher pour penser et mettre en œuvre des réformes organiques, afin que les Organisations internationales retrouvent leur vocation essentielle à servir la famille humaine pour préserver la vie de chaque personne et la paix », Pape François, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège, 8 février 2021.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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