Xu Guangqi @ Civiltà Cattolica

Xu Guangqi @ Civiltà Cattolica

Xu Guangqi, « un grand chinois catholique au service de son peuple et de son pays », par le p. Lombardi SJ

Hommage de La Civiltà Cattolica

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Au début du XVIIème siècle, Xu Guangqi, le catholique chinois le plus important de l’histoire, ami de Matteo Ricci, lettré, grand scientifique et haut fonctionnaire à la cour de l’empereur de Chine, fut aussi auprès de ce dernier un ardent et courageux défenseur des missionnaires jésuites et du christianisme.

 

A l’occasion de la publication d’une riche anthologie de ses écrits, traduite en italien, le père Federico Lombardi SJ s’interroge, dans La Civiltà Cattolica de ce 3 avril 2021, sur les raisons profondes de la conversion à la foi catholique de ce laïc, serviteur de Dieu : « Qu’est-ce qui l’a attiré vers le christianisme ? Cela a-t-il été un coup de foudre spirituel ou le prestige de la science occidentale ? », questionne le p. Federico Lombardi S.J., auteur de l’article.

Certes, la première fois qu’il rencontre Matteo Ricci, cet intellectuel doté d’une grande curiosité est frappé par la mappemonde du missionnaire italien, « qui ouvre à la culture chinoise une vision plus large du monde », dira-t-il. Le comportement des missionnaires a également suscité l’admiration de Xu Guangqi, lui-même réputé pour sa « rigueur morale ». Par la suite, à Pékin, il cherchera auprès de son ami Ricci des réponses « aux questions qui le tourmentent », notamment celles de « la mort et du jugement après la mort ».

Formé dès sa jeunesse « dans l’esprit confucéen du service du bien commun » Xu considèrera que la nouvelle doctrine proposée par les jésuites est capable de « renforcer les principes confucéens et rectifier les doctrines bouddhistes ». C’est ainsi qu’il défendra la présence de Ricci à Pékin : « Nous avons un homme vrai, docte et grand, qui est arrivé à la Cour pour admirer notre vertu et la protéger. Peut-il y avoir au monde un trésor plus précieux que lui ? »

Le lettré chinois est « convaincu que la rigueur du raisonnement mathématique et l’apprentissage des sciences occidentales » serviront le « développement des sciences et des techniques nécessaires au bien du peuple » tout en éduquant « à la discipline et à l’autocritique », analyse le p. Lombardi. Pour Xu, loin de détourner de l’objectif missionnaire, « l’étude des sciences par un procédé rationnel rigoureux » est « comme une propédeutique à la religion et à la morale, parce qu’elle démontre la crédibilité des nouveaux maîtres ».

Hélène Ginabat

Voici notre traduction de l’article du p. Lombardi publié dans La Civiltà Cattolica, (Quaderno 4099 pp. 73 – 85) avec l’aimable autorisation de l’éditeur français, Parole et Silence.

 

Xu Guangqi,

un grand chinois catholique

au service de son peuple

et de son pays

Xu Guangqi est né en 1562 dans une famille du Nord de la Chine récemment émigrée à Shanghai, ville populeuse située non loin de l’embouchure du grand Fleuve bleu et sur les côtes de la Mer de Chine orientale. Une ville autour de laquelle, à l’agriculture traditionnelle s’était ajoutée la culture et le travail du coton et s’était développée une intense activité commerciale. Mais les problèmes ne manquaient pas : typhons, inondations, famines, incursions des pirates japonais qui sévissaient le long des côtes. La famille de Xu Guangqi était de modestes commerçants. Xu savait que les murs de sa ville n’avaient été construits que neuf ans avant sa naissance, pour la défendre contre les attaques des pirates et il conservera longtemps le souvenir de la dramatique famine de 1587, lorsqu’il avait 25 ans.

Il n’est pas surprenant que, dès sa jeunesse, bien éduqué dans l’esprit confucéen du service du bien commun, il ait été conscient de l’importance d’une bonne agriculture pour lutter contre la faim, de la nécessité de réguler le régime des eaux des fleuves et des canaux pour éviter les inondations, de l’urgence de bien organiser la défense contre les ennemis. Encore jeune, Xu étudie pendant six ans au temple bouddhiste de Longhua, près de Shanghai, puis il poursuit sa formation en vue d’une carrière de lettré et de fonctionnaire public. En 1581, il se marie et a un fils unique. La même année, il obtient l’examen de premier niveau pour accéder à la carrière publique. Mais il lui faudra bien 22 ans pour réussir à ceux du second et du troisième niveaux, après divers insuccès !

Un itinéraire très long, donc, pendant lequel l’approfondissement des études littéraires et des classiques chinois, dans l’esprit du néo-confucianisme de son époque, se mêle à des activités d’enseignement, des recherches sur des questions militaires et agricoles et des déplacements dans différentes villes de Chine. Xu Guangqi se fait remarquer pour l’ampleur de ses sujets d’intérêt, pour son orientation vers une connaissance ayant également une application pratique au service de la population et pour la rigueur de son engagement moral. Lors de ses déplacements, à l’âge de 33 ans, il fait connaissance, à Shaozhou, du père jésuite Lazzaro Cattaneo ; à 38 ans, en 1600, rencontrant brièvement pour la première fois le p. Matteo Ricci à Nankin, il est frappé par sa mappemonde qui ouvre à la culture chinoise une vision plus large du monde. Mais c’est en 1603 que, de retour à Nankin, il reçoit du p. Joao da Rocha une instruction plus approfondie sur la foi chrétienne et, après plusieurs jours très intenses de réflexion et de prière, il est baptisé et prend le nom chrétien de Paul.

L’année 1604 est décisive : à Pékin, Xu réussit enfin l’examen du niveau le plus élevé et devient membre de l’Académie impériale Hanlin. Dans la capitale, il a retrouvé Matteo Ricci et a noué avec lui une relation d’estime et d’amitié profonde. Le « Docteur Paul » devient ainsi le lettré catholique le plus en vue et le plus autorisé, il dialogue et collabore activement avec Ricci sur le plan culturel, vit une pratique religieuse intense et pieuse en lien étroit avec la petite communauté des pères jésuites.

Mais pourquoi Xu Guangqi s’est-il converti ? Qu’est-ce qui l’a attiré vers le christianisme ? Cela a-t-il été un coup de foudre spirituel ou le prestige de la science occidentale ? La récente publication d’une riche anthologie de ses écrits, traduite en italien, nous permet d’avoir une vision plus large et plus approfondie de la question, fondée sur ses propres paroles.

Plusieurs années après sa conversion, en 1616, à l’occasion de la première grande attaque contre le christianisme en Chine – la fameuse « persécution de Nankin » –, adressant à l’empereur un mémorial pour sa défense et celle des jésuites, Xu affirme avoir eu lui aussi, à son époque, des doutes sur l’enseignement des missionnaires, « mais après avoir fait des recherches pendant de nombreuses années, Votre serviteur a vu leur vérité avec un esprit sincère. Par la suite, il est parvenu à les comprendre en profondeur et a commencé à croire profondément en eux sans plus douter » (p. 167).

Dans le même texte, qui est le témoignage public le plus déterminé et le plus courageux de son adhésion au christianisme, il résume la valeur de la nouvelle doctrine proposée par les jésuites, capable de « renforcer les principes confucéens et rectifier les doctrines bouddhistes » (p. 160) « Dans leurs enseignements, écrit Xu, servir le Souverain d’en-haut est le fondement ; la protection et le salut du corps et de l’âme sont l’essence ; la fidélité, la piété filiale, la compassion et l’amour sont les habiletés à pratiquer ; la promotion du bien et la correction des erreurs sont les pas initiaux ; le repentir et l’absolution sont le perfectionnement ; la montée au ciel et le vrai bonheur sont la véritable récompense pour avoir accompli le bien ; les calamités éternelles de l’enfer sont l’amère récompense pour avoir accompli le mal ; toutes leurs règles et tous leurs commandements sont le sommet des principes célestes et des sentiments humains. Leurs lois peuvent permettre aux hommes d’accomplir le véritable bien et de triompher complètement du mal. Ce que nous appelons la miséricorde du Seigneur d’En-haut qui crée, nourrit et sauve, et le principe de récompenser le bien et de punir le mal, tout cela est parfaitement clair et vrai et suffit à toucher le cœur des hommes, à inspirer l’amour et la crainte qui naissent spontanément de la rectitude intérieure » (p. 159).

Le comportement des missionnaires a également suscité l’admiration de Xu Guangqi : il ne tarit pas d’éloges envers son maître et ami Matteo Ricci, composant en 1604 la « postface » de son œuvre morale « Vingt-cinq phrases », qui s’inspirent de la philosophie stoïcienne d’Epictète. « Dans son étude, rien ne lui est caché et son objectif principal est de montrer clairement la réel et vrai Seigneur. Du matin au soir, à tout moment, sa pensée est tournée vers Lui » » (p. 75). Le bref écrit se conclut avec l’évocation suggestive du mythe des phénix, symbole de bien-être et de bonheur : « Dans l’Antiquité, le pavillon sur lequel les phénix construisaient leur nid était considéré comme un précieux trésor à transmettre aux générations futures. Aujourd’hui, à une époque de prospérité, nous avons un homme vrai, docte et grand, qui est arrivé à la Cour pour admirer notre vertu et la protéger. Peut-il y avoir au monde un trésor plus précieux que lui ? » (p. 77).

Avec ce maître exceptionnel, Xu peut chercher une réponse aux questions qui le tourmentent le plus depuis longtemps. Dans son dernier livre publié en chinois à Pékin peu avant sa mort, « Les dix paradoxes » et qui connut un grand succès, Ricci aborde 10 grandes questions. Il le fait sous forme de dialogue avec des interlocuteurs réels et bien connus à l’époque. Xu Guangqi est l’interlocuteur de deux chapitres fondamentaux, abordant les questions de la mort et du jugement après la mort. Evidemment, ils avaient longtemps réfléchi ensemble sur ces sujets. Mais au cours de ces années, Xu insiste auprès de Ricci pour que celui-ci se lance dans la grande et difficile entreprise de la traduction en chinois des « Eléments d’Euclide », convaincu que la rigueur du raisonnement mathématique et l’apprentissage des sciences occidentales seront les prémices du développement des sciences et des techniques nécessaires au bien du peuple et, en même temps, éduqueront à la discipline et à l’autocritique.

Xu comprend bien que la finalité et la partie principale de l’enseignement des missionnaires est la religion, mais il la voit insérée de manière cohérente dans un ensemble de doctrines plus ample, où l’étude des sciences par un procédé rationnel rigoureux est très précieuse et comme une propédeutique à la religion et à la morale, parce qu’elle démontre la crédibilité des nouveaux maîtres. Dans sa préface à une édition des Eléments de géométrie, il écrit : « Les connaissances du Maître Ricci peuvent se diviser en trois types : au niveau le plus élevé, nous avons le fait de se cultiver et de servir le Ciel ; au niveau le plus bas, l’étude des phénomènes et l’explication des principes. Entre les aspects des principes des choses, nous trouvons respectivement les images et les nombres. Ses analyses […] peuvent permettre de lever les doutes ; c’est pourquoi j’ai aussitôt procédé à la diffusion de ses notions du niveau le plus bas. J’espère ainsi, […] que les lecteurs sauront que l’on peut donner du crédit sans le moindre doute aux connaissances du Maître » (p. 90 sq). La sinologue Elisa Giunipero commente ainsi : « Nous trouvons ici une confirmation de l’option de Xu pour les « études célestes », dans lesquelles les trois niveaux – l’étude du Ciel, la discipline personnelle et morale, les sciences à appliquer au profit du peuple – font partie d’un ensemble cohérent, logique et rigoureux » (p. 33).

 © Parole et Silence / La Civiltà Cattolica 

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

 

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Hélène Ginabat

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