Anan Alkass Yousif (au premier rang à droite, en blanc) et les jeunes de Bagdad attendent le pape François @ Facebook/AAY

Anan Alkass Yousif (au premier rang à droite, en blanc) et les jeunes de Bagdad attendent le pape François @ Facebook/AAY

« J’ai décidé de rester en Irak », témoignage d’Anan Alkass Yousif

« La foi nous permet de vivre la paix intérieure même sans paix extérieure »

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« J’ai décidé de rester en Irak, où ma mission (…) a continué à être ma priorité », témoigne Anan Alkass Yousif, professeure de littérature anglaise à l’Université de Bagdad et consacrée, laïque, de l’Ordo virginum du diocèse latin de Bagdad. Elle évoque son engagement et celui de sa famille, et comment elle est restée en Irak malgré les soubresauts historiques douloureux et violents.  Une interview exclusive de Zenit.

Zenit – Anan Alkass Yousif, cette Eglise catholique latine est un « petit troupeau » en Irak …

Anan Alkass Yousif – L’Église catholique romaine en Irak, qui suit le rite latin, est l’un des plus petits groupes chrétiens d’Irak. C’est la seule communauté catholique en Irak qui célèbre sa liturgie dans la langue officielle du pays: en arabe. La langue arabe classique est en effet utilisée dans  la messe latine, tandis que les Eglises orientales utilisent leur propre langue liturgique ancienne, chaldéenne et syrienne. Il n’y a que deux paroisses catholiques dans tout le pays, à Bagdad et à Erbil. Nous avons aussi le soutien des Missionnaires du Verbe incarné, des sœurs de Mère Teresa, des Petites sœurs de Jésus – de Charles de Foucauld -, des carmélites, des sœurs et des frères dominicains et aussi des vierges consacrées vivant dans le monde. Le groupe de rite latin n’a pas de programme spécial pendant la visite du pape François mais nous serons présents lors des rencontres avec le pape, et évidemment, on a hâte d’accueillir le Saint-Père.

Qu’attendez-vous de ce voyage historique du pape François en Irak?

La visite du Saint-Père pour moi, comme pour tous les chrétiens ici en Irak, c’est un cadeau. Nous attendons avec impatience cette visite historique depuis 20 ans: nous ne nous sentons plus oubliés car notre pays est reconnu par le Saint-Père et aussi par le monde. Grâce à sa visite, je me sens personnellement stimulée à avancer dans tout ce que je fais pour mon pays et ma petite communauté chrétienne. Par sa venue, le message d’amour, de paix et de fraternité de Jésus est vraiment réalisé. En tendant les mains à tout le peuple irakien, le Saint-Père montrera ce que cela signifie qu’une Eglise « en sortie », ce que cela signifie que d’aller à la « périphérie ». Il me semble que cela ressemble à la visite de Marie à Elisabeth. Cet prêtre âgé en blanc vient, par des étapes bien réfléchies, pour nous rencontrer, comme un pèlerin qui vient dans un pays douloureux de martyrs, au pays d’Abraham, pour nous montrer qu’il fait partie de nous et qu’il est l’un de nous. Sa présence sera la présence de la caresse, de la compassion et de la tendresse du Seigneur. Il nous nous aidera à renouveler notre foi et à continuer à vivre en témoins de Jésus dans ce pays où nous sommes un petit troupeau comme des pauvres mais qui en enrichissent beaucoup.

Vraiment, merci au Saint-Père qui, avant même sa venue, a stimulé notre foi, nous a fait nous sentir davantage aimés, nous a donné le courage de témoigner que notre petite Eglise en Irak est toujours vivante.

Vos parents viennent de fêter 53 ans de mariage: comment avez-vous vécu vous et votre famille les moments douloureux de l’histoire de l’Irak?

Les chrétiens d’Irak sont les premiers habitants du pays. Nous sommes donc nés chrétiens. Nous avons reçu le don de la foi dès la naissance. Ma famille a planté en moi l’amour de Jésus, le sens de la présence du Seigneur au milieu de nous et l’importance de tout remettre entre les mains de Dieu. ce qui nous fait vivre la paix intérieure sans paix extérieure c’est notre foi dans le Seigneur. Avec ce précieux héritage que nous avons reçu de nos parents, nous avons vécu toute notre vie en croyant que nous ne sommes pas seuls. Le fait d’être nés dans un pays touché par la guerre depuis 1980, nous a permis de vivre la paix intérieure même sans paix extérieure, dans la foi au Seigneur. Grâce à ce précieux héritage que nous avons reçu de nos parents, nous avons vécu toute notre vie en croyant que nous ne sommes pas seuls. Dans tous les moments difficiles des guerres, du terrorisme, des conflits politiques et religieux que nous avons vécus, nous avons eu un courage intérieur malgré la peur ambiante. Mais je ne nie pas que la peur soit toujours en nous parce que rien n’est stable ici. Nous n’avons jamais fait l’expérience de ce que signifie vivre dans une paix totale. Pour la même raison, mes parents, lorsqu’ils sont devenus très âgés, ont finalement dû quitter le pays pour aller chez mes sœurs qui vivent au Canada. Au lieu de cela, j’ai décidé de rester chez moi, en Irak, où la mission de vierge consacrée et de professeur d’université a continué à être ma priorité. Pour moi, rester ici sans ma propre famille, c’est faire la volonté de Dieu pour moi, même si ma vie d’Irakienne ou de chrétienne était en danger. Perdre ma vie pour Jésus est un gain, comme le dit saint Paul.

Quel est aujourd’hui votre engagement dans l’Église à Bagdad?

En tant que vierge consacrée qui est appelée à servir mon Eglise, j’essaie de mettre tous les talents que Dieu m’a donnés à son service. Je suis donc responsable du chœur de notre cathédrale, la sacristaine, et je fais également partie des catéchistes de notre Eglise, et j’accompagne les jeunes dans leur formation spirituelle. J’habite dans une structure de l’Eglise, où il y a un petit appartement. Alors je fais simplement l’expérience d’habiter au cœur de l’église pour être une demeure de Jésus. Pour moi, répondre à l’appel du Seigneur signifie témoigner de son amour. Il m’a accueilli et je fais de lui ma maison. Ainsi, servir mon Eglise signifie simplement vivre une réciprocité d’amour qui me donne la force d’aller de l’avant et de témoigner de ma foi et de mon espérance en Jésus.

Propos recueillis et traduits par Anita Bourdin

 

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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