"L'heure des laïcs", de Agnès Desmazières @Salvator

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Vivre la synodalité dans le concret au Synode de 2022, par Agnès Desmazières

La « coresponsabilité effective » des baptisés

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Auteure de L’heure des laïcs : Proximité et coresponsabilité (Salvator, 2021), Agnès Desmazières, offre en primeur aux lecteurs de Zenit cette analyse des enjeux pour la « coresponsabilité effective » des baptisés dans la vie de l’Eglise. Théologienne et historienne, Agnès Desmazières est maîtresse de conférences au Centre Sèvres, à Paris.

 

Vivre la synodalité dans le concret au Synode de 2022

L’institution du Synode des évêques est née dans le contexte de Vatican II. A la fin du Concile, le pape Paul VI a souhaité que l’expérience conciliaire de dialogue entre les évêques et avec l’ensemble du Peuple de Dieu se poursuive et anime ainsi la vie de l’Eglise. Elle manifeste et concrétise tout à la fois la collégialité entre les évêques, unis autour de l’évêque de Rome, et la synodalité de l’Eglise toute entière.

A l’occasion du cinquantième anniversaire de cette institution, le pape François rappelait que le Synode, c’est un « Marcher ensemble » qui concerne « Laïcs, Pasteurs, Evêque de Rome ». L’ordre est significatif : ce « marcher ensemble » implique une écoute de tous, à commencer par les laïcs[1]. Le pape ajoutait que le synode est « un concept facile à exprimer en paroles, mais pas si facile à mettre en pratique » (discours du 17 octobre 2015). La participation des laïcs à ce « marcher ensemble » de toute l’Eglise, qui a une certaine priorité comme l’indique bien l’ordre d’exposition choisi par le pape, apparaît en particulier « pas si facile à mettre en pratique ». La participation des laïcs à la gouvernance de l’Eglise a en effet connu des hauts et des bas dans l’histoire. Le pape François, ces derniers mois, a exprimé à plusieurs reprises – tant par des nominations significatives, que dans ses paroles – l’importance de leur contribution active à la vie de l’Eglise.

Dans une fidélité créatrice à Vatican II

Il est dès lors crucial de revenir, dans une fidélité créatrice, à l’expérience de Vatican II où s’est réalisée – non sans, d’ailleurs, difficultés, hésitations et parfois imperfections – cette participation des laïcs au « marcher ensemble ». Cette expérience a été marquée par une réelle effectivité, tout spécialement dans la rédaction de la constitution pastorale Gaudium et spes, dépassant même le cahier des charges initial : auditeurs au concile, les laïcs ont également participé activement à la rédaction de documents conciliaires. Ces laïcs, dirigeants d’organisation d’Action catholique au rayonnement international, signaient sur la même feuille d’émargement que les supérieures religieuses – également auditrices.  

Une telle expérience s’est prolongée, dans une certaine mesure, au deuxième Synode des évêques de 1971 sur « Le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde », auquel ont participé huit auditeurs, représentants d’Action catholique et scientifiques de renommée mondiale. A cette occasion, l’économiste britannique Barbara Ward, laïque, est la première femme à prendre la parole à un Synode. Elle participe également activement à la rédaction du document Justitia in Mundo (Justice dans le monde), document qui a encore aujourd’hui une vibrante actualité. De manière prophétique, il indiquait que « l’égalité de traitement et de promotion doit être donnée aux laïcs » (Justitia in Mundo n. 44).

Il est crucial qu’aujourd’hui des laïcs soient, à nouveau et davantage, impliqués dans les travaux synodaux. Comment en effet incarner la synodalité sans participation active des laïcs, à l’Assemblée générale d’octobre 2022 comme dans sa préparation?  Une telle participation ne peut être véritablement effective que si les laïcs sont pleinement acteurs du processus décisionnel – aux côtés des évêques et des religieux. Il serait légitime que, dans le prolongement de l’octroi du droit de vote à une religieuse, des laïcs, hommes et femmes, servent également l’Eglise en exerçant ce droit de vote. Ainsi, serait pleinement manifesté l’égale dignité de tous les baptisés.

Une coresponsabilité effective fondée sur l’égale dignité baptismale

L’on se situe ici dans la ligne de Vatican II qui, rompant d’une conception passéiste de la supériorité des vocations cléricales et religieuses, avait mis en lumière l’égale dignité de l’ensemble des membres du Peuple de Dieu et la nécessaire participation de tous, dans la diversité des vocations, à la mission de l’Eglise. La constitution dogmatique Lumen gentium signale ainsi que les laïcs exercent « dans l’Eglise et dans le monde la mission qui est celle de tout le peuple chrétien » (Lumen gentium n. 31). Leur mission de chrétien se déploie donc à l’intérieur même de l’Eglise.

La « sécularité » de leur vocation – qui les place aux avant-postes du dialogue de l’Eglise avec le monde – ne les rend donc pas pour autant étrangers au discernement pastoral de l’Eglise : dans tout processus synodal, les laïcs sont « les ‘garants’ que les questions, les angoisses et les espoirs des hommes pénètrent le peuple de Dieu et le provoquent dans sa réflexion, sa prière et son action[2] ». Cela implique bien sûr que les laïcs, acteurs du processus synodal, soient eux-mêmes aux prises à la réalité du monde, aux difficultés de la vie, attentifs aux souffrances, à la pauvreté de nombre de leurs contemporains – qu’ils partagent eux-mêmes ou ont partagé au cours de leur vie. Il y a sans doute là un critère de discernement afin d’éviter toute cléricalisation des laïcs.

Le prochain Synode est appelé à rendre davantage visible et effective cette coresponsabilité fondée sur l’égale dignité baptismale. Si les laïcs ont sans doute souvent des compétences particulières dans la gestion des affaires temporelles de l’Eglise (administration, finances), certains sont également appelés à avoir des responsabilités pastorales – aux différents niveaux de l’Eglise – en vertu de leur baptême et selon la marque propre de leur vocation. Parmi ces marques, le concile a en particulier souligné leur compétence et leur liberté, qui constituent d’autres critères cruciaux de discernement.

A l’écoute de l’Esprit à l’oeuvre dans son Peuple

Cette liberté – qui fait si souvent peur et contribue à écarter les laïcs de responsabilités dans l’Eglise – est à bien comprendre. Il s’agit d’une liberté dans l’Esprit, à rapprocher de la parrhésie – que le pape François associe à l’humilité (discours du 6 octobre 2014). Ce courage de parler revêt une dimension prophétique quand il s’exerce avec humilité, dans le sens du service de l’Eglise et non d’une attitude autoréférencée. Pensons à l’exemple de la tertiaire dominicaine Catherine de Sienne. L’humilité nous porte à croire – et à en vivre – que nous ne sommes pas seuls dépositaires de la vérité, mais que celle-ci se découvre en cheminant ensemble, en se mettant à l’écoute des plus petits, à leur service. L’écoute des laïcs par l’Eglise, réalisée dans une dynamique de coresponsabilité, est ainsi gage d’une écoute de l’Esprit qui est à l’œuvre dans le Peuple tout entier.

La  coresponsabilité, corrélative de la synodalité, est donc à concevoir dans une perspective relationnelle, les diverses vocations dans l’Eglise étant en relation, comme l’a bien mis en évidence le Synode sur les jeunes[3]. C’est en réalisant une synodalité effective – signalée par une certaine réciprocité entre les différentes vocations –  que pourra resplendir « le visage relationnel » de l’Eglise (document final du Synode sur les jeunes n. 122). Cela suppose une connaissance mutuelle qui s’approfondit justement dans le « cheminer ensemble », vécu dans l’humilité – l’humilité n’étant pas le propre des laïcs, mais vouée à être commune à tous les baptisés.

L’Eglise se montrera ainsi fidèle à sa vocation : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » (Jn 13, 35). Le Synode sur les jeunes l’exprime à nouveaux frais quand il écrit : « ‘cheminer ensemble’ est fondamental pour donner une crédibilité et une efficacité aux initiatives de solidarité, d’intégration, de promotion de la justice, et pour montrer ce qu’est une culture de la rencontre et de la gratuité » (n. 126).

Un défi urgent pour la conversion pastorale de l’Eglise

Déjà dans Evangelii gaudium, le pape François dénonçait la persistance, en certains lieux, d’un « cléricalisme excessif » qui « maintient » les laïcs « en marge des décisions » (n. 102). Les révélations successives d’abus sexuels, qui sont souvent le fait de laïcs courageux – qui ont été, et sont parfois encore, en butte aux persécutions – rendent la participation de laïcs aux processus de décisions dans l’Eglise plus urgente.

Dans sa lettre au Peuple de Dieu du 20 août 2018, le pape indique, de manière forte, qu’ « il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu ». Dans cette perspective, une conversion à la coresponsabilité est particulièrement nécessaire. Le cléricalisme, qui est à la racine des abus, tend en effet à « diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple » (lettre au cardinal Ouellet du 19 mars 2016). L’éradication de la « culture de l’abus et de la dissimulation » dans l’Eglise ne pourra se faire sans une coresponsabilité effective des laïcs.

A cet égard, le théologien américain Paul Lakeland a souligné combien les laïcs sont « experts en accountability[4] ». L’accountability désigne, en anglais, tout à la fois la responsabilité, la reddition de comptes et l’imputabilité. Les laïcs l’expérimentent, de manière vive, dans leur vie familiale, comme dans leur vie professionnelle et sociale. Les interpellations des laïcs, confrontés aux abus dans l’Eglise, ont justement conduit à mettre sous une nouvelle lumière le fait que toute responsabilité ecclésiale – exercée par des clercs, comme par des consacrés et des laïcs d’ailleurs – suppose une reddition de comptes et une imputabilité.

Dans cette ligne, le processus synodal dans lequel l’Eglise est engagée réclame une attention spéciale aux victimes d’abus. Cela passe d’abord par leur écoute. Il ne s’agit pas de les enfermer dans leur statut de victime – qui conduit parfois à les mettre à l’écart, sous ce prétexte, des processus décisionnaires dans l’Eglise. Il s’agit plutôt de reconnaître leur dignité de baptisés, appelés à exercer la coresponsabilité. Il s’agit également de reconnaître que la conversion de l’Eglise passe par une conversion au réel, par une confrontation à la réalité des abus et aux mécanismes institutionnels qui les ont favorisés et couverts. Ainsi, la participation effective de victimes d’abus au Synode de 2022 serait un témoignage d’une synodalité authentique. Il serait également souhaitable que le processus synodal soit accompagné d’actes de repentance concrets à l’égard des victimes d’abus sexuels,  d’abus de pouvoir et de conscience – mais aussi d’abus sociaux trop souvent oubliés – qui supposent une réparation.

Le prochain Synode représente une occasion providentielle d’œuvrer à cette conversion de l’Eglise, par un approfondissement de la coresponsabilité de tous les baptisés, en accordant en particulier à certains laïcs le droit de vote. Saisissons-la, dans la fidélité à l’Esprit qui guide avec l’Eglise !

 

NOTES

[1] Cf. Dario Vitali, « Un popolo in cammino verso Dio”: La sinodalità in Evangelii gaudium, Cinisello Basalmo, San Paolo, 2018.

[2] Jean Rigal, Des communautés pour l’Eglise, Paris, Cerf, 1981. Cf. Joseph Komonchak, « Theological Perspectives on the Exercice of Synodality”, in Lorenzo Baldisseri dir., A cinquant’anni dall’Apostolica Sollicitudo: Il Sinodo dei Vescovi al servizio di una Chiesa sinodale, Vatican, Libreria editrice vaticana, 2016.

[3] Cf. Fabio Fabene, Sinfonia di ministeri: Una rinnovata presenza dei laici nella Chiesa, Préface du pape François, Rome – Cinisello Basalmo, Libreria editrice Vaticana – San Paolo, 2020.

[4] Paul Lakeland, Catholicism at the Crossroads: How the Laity Can Save the Church, New York, Continuum, 2007.

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