A l’occasion de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens (18-25 janvier 2021), le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens propose cette réflexion intitulée: « En chemin vers un grand anniversaire ». Il évoque notamment, dans L’Osservatore Romano du 18 janvier 2021, « Synodalité et primauté dans le dialogue catholique-orthodoxe », « Réconciliation œcuménique entre synodalité et primauté », et « La nature eucharistique de la synodalité et de la primauté ».
Voici la seconde partie de cette réflexion, dans une traduction du Vatican. La première partie se trouve ici.
AB
En chemin vers un grand anniversaire
Synodalité et primauté
dans le dialogue catholique-orthodoxe
Dans ce dialogue, un pas important a été franchi lors de l’assemblée plénière de la Commission mixte internationale tenue à Ravenne en 2007, où le document Conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l’Église a été approuvé. La communion ecclésiale, la conciliarité et l’autorité. Dans ce document, les termes “conciliarité” et “autorité”, “synodalité” et “primauté” sont clarifiés du point de vue théologique. Il est ensuite montré que la synodalité et la primauté sont mises en œuvre aux trois niveaux fondamentaux de la vie de l’Église, c’est-à-dire au niveau local, concernant l’Église locale, au niveau régional, concernant les différentes Églises locales proches les unes des autres, et au niveau universel, concernant l’Église qui s’étend au monde entier et inclut toutes les Églises locales. Dans un autre passage, il est souligné que la synodalité et la primauté sont interdépendantes à tous les niveaux de la vie de l’Église, en ce sens que la primauté doit toujours être comprise et réalisée dans le cadre de la synodalité et la synodalité dans le cadre de la primauté.
Cela signifie concrètement qu’il doit y avoir un protos, une kephale, c’est-à-dire une tête, à tous les niveaux : au niveau local, l’évêque est le protos de son diocèse par rapport aux prêtres et à tout le peuple de Dieu; au niveau régional, le métropolitain est le protos par rapport aux évêques de sa province; au niveau universel, l’évêque de Rome est le protos par rapport à la multitude des Églises locales, tandis que dans les Églises orthodoxes, le patriarche œcuménique de Constantinople a un rôle analogue. Dans sa conclusion, le document exprime la conviction de la Commission, confiante que les réflexions présentées sur le thème de la communion ecclésiale, de la conciliarité et de l’autorité de l’Eglise sont «un progrès positif et significatif dans notre dialogue», et «une base solide pour la discussion future sur la question de la primauté au niveau universel de l’Eglise» (n. 46).
Le fait que les deux partenaires du dialogue aient pu déclarer ensemble pour la première fois que l’Église est structurée de manière synodale à tous les niveaux et donc aussi au niveau universel, et qu’elle a besoin d’un protos, est un jalon important dans le dialogue catholico-orthodoxe. Pour que cette étape prometteuse conduise à un avenir solide, la relation entre la synodalité et la primauté devra être explorée plus avant dans le cadre du dialogue œcuménique. Il ne s’agit pas de trouver un compromis sur le plus petit dénominateur commun. Il faudra plutôt mettre en dialogue les forces respectives des deux communautés ecclésiales, comme l’a souligné succinctement le groupe de travail orthodoxe-catholique Saint Irénée dans son étude Au service de la communauté: «les Églises doivent s’efforcer avant tout de parvenir à un meilleur équilibre entre synodalité et primauté à tous les niveaux de la vie ecclésiale, par le renforcement des structures synodales dans l’Église catholique et par l’acceptation par l’Église orthodoxe d’un certain type de primauté au sein de la communion mondiale des Églises» (n. 17, 7).
Réconciliation œcuménique entre synodalité et primauté
Il doit y avoir une volonté d’apprendre des deux côtés. D’une part, l’Église catholique doit reconnaître que dans sa vie et ses structures ecclésiales, elle n’a pas encore développé le degré de synodalité qui serait théologiquement possible et nécessaire, et qu’un lien crédible entre le principe hiérarchique et le principe synodal-communautaire favoriserait l’avancement du dialogue œcuménique avec l’orthodoxie. Le renforcement de la synodalité doit sans aucun doute être considéré comme la contribution la plus importante que l’Église catholique puisse apporter à la reconnaissance œcuménique de la primauté.
Il y a notamment un besoin de rattrapage au niveau régional. Ce niveau est bien développé dans les Églises orthodoxes, dans la mesure où les métropolites continuent à exercer cette tâche importante qu’ils avaient déjà dans les premiers siècles et par rapport à laquelle des décisions importantes ont été prises au premier concile œcuménique de Nicée en 325 et au quatrième concile œcuménique de Chalcédoine en 451. Il convient également de rappeler à cet égard le célèbre Canon apostolique 34 qui, reconnu par l’Église primitive tant en Orient qu’en Occident, régit les relations entre les Églises locales d’une région et se caractérise par un équilibre délicat entre synodalité et primauté : «les évêques de chaque province doivent reconnaître celui qui est le premier d’entre eux, le considérer comme leur chef et ne rien faire d’important sans son consentement; chaque évêque ne peut faire que ce qui concerne son diocèse et les territoires qui en dépendent. Mais les premiers ne peuvent rien faire sans le consentement de tous. Car ainsi la concorde prévaudra, et Dieu sera loué par le Seigneur dans l’Esprit Saint». L’Église catholique a beaucoup à récupérer au niveau régional des provinces ecclésiastiques et des régions ecclésiastiques, des conseils particuliers et des conférences épiscopales, comme l’observe le Pape François : «nous devons réfléchir pour accomplir encore davantage, à travers ces organismes, les instances intermédiaires de la collégialité, peut-être en intégrant et en mettant à jour certains aspects de l’ancienne organisation ecclésiastique» (Discours pour le 50e anniversaire de l’institution du Synode des évêques, 17 octobre 2015).
De la part des Églises orthodoxes, nous pouvons au contraire nous attendre à ce que, dans le cadre du dialogue œcuménique, elles en viennent à reconnaître que la primauté au niveau universel est non seulement possible et théologiquement légitime, mais aussi nécessaire. Les tensions intra-orthodoxes, qui ont fait surface de manière particulièrement évidente lors du Saint et Grand Synode de Crète en 2016, devraient nous faire prendre conscience de la nécessité d’envisager un ministère de l’unité également au niveau universel de l’Église, qui ne devrait évidemment pas se limiter à une simple primauté honorifique, mais devrait également inclure des éléments juridiques. Une telle primauté ne contredirait en rien l’ecclésiologie eucharistique, mais serait compatible avec elle, comme le mentionne souvent le théologien orthodoxe et métropolite Jean D. Zizioulas.
La nature eucharistique de la synodalité et de la primauté
Nous, catholiques, considérons la primauté de l’évêque de Rome comme un don du Seigneur à son Église et, par conséquent, comme une offrande à toute la chrétienté sur le chemin de la redécouverte de l’unité et de la vie dans l’unité. Pour pouvoir le démontrer de manière crédible, nous devrions insister davantage sur le fait que la primauté de l’évêque de Rome n’est pas simplement un appendice juridique et encore moins un ajout extérieur à l’ecclésiologie eucharistique, mais qu’elle est précisément fondée sur elle. L’Église, qui se conçoit comme un réseau mondial de communautés eucharistiques, a besoin d’un puissant service à l’unité, également au niveau universel. La primauté de l’évêque de Rome, comme l’a explicitement souligné le Pape Benoît XVI, ne doit finalement être comprise qu’à partir de l’Eucharistie, et plus précisément comme une primauté de l’amour au sens eucharistique, une primauté qui, dans l’Église, vise à une unité capable de réaliser la communion eucharistique et d’empêcher de manière crédible qu’un autel ne soit opposé à un autre.
Il est donc évident que la primauté et la synodalité ont toutes deux une nature profondément liturgico-eucharistique. Le fait que l’Église en tant que synode vit surtout là où les chrétiens se rassemblent pour célébrer l’Eucharistie montre que la nature la plus profonde de l’Église en tant que synode est la syntaxe eucharistique, comme le souligne à juste titre la Commission théologique internationale: «le cheminement synodal de l’Église est façonné et nourri par l’Eucharistie» (n. 47). La synodalité a sa source et son point culminant dans la participation consciente et active à la synaxis eucharistique et présente donc une dimension spirituelle fondamentale. Cela se manifeste encore aujourd’hui dans le fait que les assemblées synodales telles que les conciles et les synodes des évêques s’ouvrent généralement par la célébration de l’Eucharistie et l’intronisation de l’Évangile, comme cela était déjà prescrit dans le passé, des conciles de Tolède au VIe siècle au cérémonial des évêques en 1984.
La tradition synodale du christianisme constitue un riche héritage qu’il convient de revitaliser. Un signe éloquent est la décision prise par le pape François de consacrer l’assemblée générale ordinaire du Synode des évêques en 2022 précisément au thème de la synodalité : “Pour une Église synodale : communion, participation et mission”. Ce synode ne sera pas seulement un événement important dans l’Église catholique, mais il contiendra un message œcuménique significatif, car la synodalité est une question qui fait aussi bouger l’œcuménisme, et le fait en profondeur.
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