Mgr Mario Grech est le nouveau secrétaire général du Synode des évêques. Né à Malte en 1957, il a été nommé évêque de Gozo en 2005 par Benoît XVI. De 2013 à 2016, il a été président de la Conférence épiscopale de Malte. Le 2 octobre 2019, le pape François l’avait déjà nommé pro-secrétaire général du Synode des évêques, et pour cette raison il a participé au Synode pour l’Amazonie. L’expérience pastorale de Mgr Grech est vaste. Son affabilité et sa capacité à écouter les questions nous ont amenés à avoir une conversation libre.
Partant de la condition de l’Église au temps de la pandémie – une ecclésiologie en état de confinement – et les défis connexes importants aujourd’hui, nous sommes naturellement passés à des réflexions sur les sacrements, l’évangélisation, le sens de la fraternité humaine et, donc, de synodalité, que Mgr Grech y voit lié. Une partie de l’entretien est dédiée, en particulier, à la famille qui est la « petite Eglise domestique » : c’est aussi la raison pour laquelle la conversation a été réalisée ensemble par un prêtre et un laïc marié et père de famille.
***
La fraction du pain même à la maison, lors du confinement, a finalement éclairé la vie eucharistique et ecclésiale qui est vécue physiologiquement dans la vie quotidienne de nombreuses familles. Peut-on dire que la maison est redevenue Église, y compris au sens liturgique ?
Cela m’a paru très clair. Et qui, pendant cette période où la famille n’a pas eu la possibilité de participer à l’Eucharistie, n’a pas saisi l’occasion d’aider les familles à développer leur propre potentiel, a raté une occasion en or. En revanche, il y a eu nombre de familles qui, en cette période de restrictions, se sont révélées, de leur propre initiative, « créatives dans l’amour » par la façon dont les parents accompagnaient les plus petits aux formes de scolarisation à domicile, l’aide offerte aux personnes âgées et contre la solitude dans la création d’espaces de prière jusqu’à la disponibilité envers les plus pauvres. Que la grâce du Seigneur multiplie ces beaux exemples et nous fasse redécouvrir la beauté de la vocation et les charismes cachés dans toutes les familles.
Vous avez évoqué une « nouvelle ecclésiologie » qui émerge de l’expérience forcée du confinement. Que suggère cette redécouverte du foyer familial ?
C’est là que réside l’avenir de l’Église : en réhabilitant l’Église domestique et lui donnant plus d’espace. Une Eglise-famille composée de plusieurs Eglise-familles. C’est le présupposé valable de la nouvelle évangélisation, dont nous ressentons tant le besoin parmi nous. Nous devons vivre l’Église au sein de nos familles. Il n’y a pas de comparaison entre l’Église institutionnelle et l’Église domestique. La grande Église communautaire est composée de petites Églises qui se réunissent dans les maisons. Si l’Église domestique échoue, l’Église ne peut pas subsister. S’il n’y a pas d’Église domestique, l’Église n’a pas d’avenir ! L’Église domestique est la clé qui nous ouvre des horizons d’espérance !
Dans le livre des Actes des Apôtres, nous avons une description détaillée de l’Église familiale, domus ecclesiae : « Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur » (Actes 2,46). Dans l’Ancien Testament, la maison familiale était le lieu où Dieu se révélait et où était célébrée la Pâque juive, la célébration la plus solennelle de la foi juive. Dans le Nouveau Testament, l’Incarnation a eu lieu dans une maison, le Magnificat et le Benedictus ont été chantés dans des maisons, la première Eucharistie a eu lieu dans une maison et de même l’envoi du Saint-Esprit à la Pentecôte. Au cours des deux premiers siècles, l’Église se réunissait toujours dans la maison familiale.
L’expression « petite Eglise domestique » est parfois utilisée, avec une note réductionniste, peut-être involontaire … Ce récit a peut-être contribué à affaiblir la dimension ecclésiale du foyer et de la famille, si facilement comprise par tous, et qui nous apparaît aujourd’hui tellement évident ?
Nous sommes peut-être encore dans cet état, à cause du cléricalisme, qui est l’une des perversions de la vie presbytérale et de l’Église, malgré le fait que le Concile Vatican II a récupéré la notion de famille comme « Église domestique[5] » et développé l’enseignement sur le sacerdoce commun[6]. Récemment j’ai lu dans un article sur la famille l’affirmation suivante : la théologie et la valeur de la pastorale dans la famille en tant qu’« Église domestique » ont connu un tournant négatif au quatrième siècle, quand la « sacralisation » des prêtres et des évêques, au détriment du sacerdoce commun du baptême qui commençait à perdre de sa valeur. Plus « l’institutionnalisation » de l’Église a été mise en œuvre, plus la nature et le charisme de la famille en tant qu’Église domestique se sont épuisés.
Ce n’est pas la famille qui est l’auxiliaire de l’Église, mais c’est l’Église qui doit être l’auxiliaire de la famille. Dans la mesure où la famille est la structure fondamentale et permanente de l’Église, il faudrait redonner à elle, le domus ecclesiae, une dimension sacrée et cultuelle. Saint Augustin et saint Jean Chrysostome enseignent, dans le sillage du judaïsme, que la famille doit être un milieu où la foi peut être célébrée, méditée et vécue. La communauté paroissiale a le devoir d’aider la famille à être une école de catéchèse et une salle liturgique où le pain peut être rompu sur la table de la cuisine.
Qui sont les ministres de cette « Eglise-Famille » ?
Pour Saint Paul VI, le sacerdoce commun est vécu de manière éminente par des époux dotés de la grâce du sacrement du mariage[7]. Par conséquent, les parents sont aussi, en vertu de leur sacrement, les « ministres du culte » qui, pendant la liturgie domestique, rompent le pain de la Parole, prient avec elle, et ainsi la transmission de la foi aux enfants a lieu. Le travail des catéchistes est valable, mais il ne peut pas remplacer le ministère de la famille. La liturgie de la famille elle-même incite les membres à participer plus activement et consciemment à la liturgie de la communauté paroissiale. Tout cela contribue à faire le passage de la liturgie cléricale à la liturgie familiale.
En plus de l’espace strictement domestique, croyez-vous que la spécificité de ce « ministère » de la famille, des époux et du mariage peut et doit aussi avoir une importance prophétique et missionnaire pour toute l’Église et aussi dans le monde ? Sous quelles formes, par exemple ?
Bien que pendant des décennies, l’Église répète que la famille est le sujet de l’action pastorale, je crains qu’à bien des égards, cela fasse désormais partie de la rhétorique de la pastorale familiale. Beaucoup ne sont toujours pas convaincus du charisme évangélisateur de la famille ; ils ne croient pas que la famille ait une « créativité missionnaire ». Il y a beaucoup à découvrir et à intégrer. J’ai personnellement vécu une expérience très stimulante dans mon diocèse avec la participation de couples et de familles au ministère de la famille. Certains couples ont pris part à la préparation au mariage ; d’autres accompagnaient les jeunes mariés au cours des cinq premières années de leur mariage.
Enrichis par l’expérience de leur propre famille, les époux sont non seulement capables de partager des témoignages de foi incarnée dans la vie familiale quotidienne, mais ils sont aussi capables de trouver un nouveau langage théologico-catéchétique pour l’annonce de l’Évangile de la famille. À l’instar de « l’Église en sortie », l’« Église domestique » doit s’orienter vers la sortie de la maison ; elle doit donc aussi être capable d’assumer ses responsabilités en tant qu’acteur social et politique. Comme l’a souligné le Pape François, Dieu « qui a confié à la famille non pas le soin d’une intimité comme une fin en soi, mais l’émouvant projet de rendre le monde “domestique”[8] ». La famille « est appelée à laisser ses empreintes dans la société où elle est insérée, afin de développer d’autres formes de fécondité qui sont comme la prolongation de l’amour qui l’anime[9] ». Une synthèse de tout cela se trouve dans le Document final du Synode des Évêques sur la famille, où les pères synodaux écrivent : « La famille se constitue ainsi comme sujet de l’action pastorale à travers l’annonce explicite de l’Évangile et l’héritage de multiples formes de témoignage : la solidarité envers les pauvres, l’ouverture à la diversité des personnes, la sauvegarde de la création, la solidarité morale et matérielle envers les autres familles surtout les plus nécessiteuses, l’engagement pour la promotion du bien commun, notamment par la transformation des structures sociales injustes, à partir du territoire où elle vit, en pratiquant les œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle[10] ».