Sainte Catherine de Sienne, église Santa Maria del Rosario in Prati, Rome @ wikimedia commons / DP

Sainte Catherine de Sienne, église Santa Maria del Rosario in Prati, Rome @ wikimedia commons / DP

« La réforme de l’Église, à la lumière du soleil eucharistique », selon Catherine de Sienne

Catherine de Sienne, docteur du Corps et du Sang de Jésus

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Sainte Catherine de Sienne

Docteur du Corps et du Sang de Jésus

François-Marie Léthel ocd

            Sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse d’Avila ont été les deux premières femmes déclarées Docteurs de l’Eglise par le saint Pape Paul VI en 1970, dans la lumière du Concile Vatican II. En fêtant cette année le cinquantenaire de leur Doctorat, nous sommes invités à accueillir leur enseignement si important et si actuel, en ce moment d’épreuve pour l’Eglise et tout l’humanité.

Ces deux femmes se complètent merveilleusement comme Docteurs de l’intériorité chrétienne, selon la parole de Jésus: « Demeurez en moi comme moi en vous » (Jn 15, 4). Catherine nous apprend à demeurer en Lui, dans le « Temple de son Corps » (Jn 2, 21), tandis que Thérèse nous montre comment Il demeure en nous, dans le « Château Intérieur » de notre âme. Thérèse est la grande théologienne de l’âme, elle nous apprend comment y entrer par cette porte toujours ouverte de l’oraison, de cette prière personnelle qui nous permet d’expérimenter la Présence du Seigneur en nous. Catherine est la grande théologienne du Corps, dans toute la Lumière et la Vérité du Corps de Jésus, dans les Mystères de l’Incarnation, de la Rédemption, de l’Eglise et de l’Eucharistie. Elle vit l’intériorité chrétienne comme intériorité eucharistique, selon la parole de Jésus: « Qui mange ma Chair et boit mon Sang demeure en moi et moi en lui »(Jn 6, 56).

Catherine de Sienne est également proche de Jeanne d’Arc, dont nous fêtons le centenaire de la canonisation en 1920. Nos Evêques de France viennent de lui dédier un important document. Le Pape Benoît XVI réunissait justement ces deux saintes dans sa très belle catéchèse sur Jeanne d’Arc:

 

« Ce sont en effet deux jeunes femmes du peuple, laïques et consacrées dans la virginité; deux mystiques engagées non dans le cloître, mais au milieu de la réalité la plus dramatique de l’Église et du monde de leur temps. Ce sont peut-être les figures les plus caractéristiques de ces «femmes fortes» qui, à la fin du Moyen-âge, portèrent sans peur la grande lumière de l’Évangile dans les complexes événements de l’histoire. Nous pourrions les rapprocher des saintes femmes qui restèrent sur le Calvaire, à côté de Jésus crucifié et de Marie sa Mère, tandis que les Apôtres avaient fui et que Pierre lui-même l’avait renié trois fois. L’Église, à cette époque, vivait la crise profonde du grand schisme d’Occident, qui dura près de 40 ans. Lorsque Catherine de Sienne meurt, en 1380, il y a un Pape et un Antipape; quand Jeanne naît en 1412, il y a un Pape et deux Antipapes. Avec ce déchirement à l’intérieur de l’Eglise, des guerres fratricides continuelles divisaient les peuples chrétiens d’Europe, la plus dramatique d’entre elles ayant été l’interminable «Guerre de cent ans» entre la France et l’Angleterre »  (Audience Générale du 26 janvier 2011).

 

Dans ce texte Benoît XVI met l’accent sur la particulière proximité et communion de ces femmes avec Jésus Crucifié, plus proches de lui que les hommes, les apôtres, et qui avec Marie toute Sainte, le connaissent mieux parce qu’elles l’aiment plus.

 

Le Corps et le Sang de Jésus dans les Mystères de l’Incarnation, de la Rédemption et de l’Eglise

 

Comme femme évangélique, Catherine est proche de Marie sur le Calvaire, mais aussi dans le Mystère de l’Incarnation. Elle est par excellence Docteur du Corps et du Sang de Jésus, de son Corps de vrai homme, né d’une femme, la Vierge Marie, et de son Sang versé pour nous sur la Croix, ce Corps et ce Sang qui nous sont réellement donnés dans l’Eucharistie. En Jésus et Marie, Catherine nous fait découvrir toute la sacralité, la beauté et la dignité infinie du corps humain, de l’homme et de la femme. La « théologie du corps » tellement développée par saint Jean-Paul II a trouvé une de ses plus hautes expressions chez Catherine. Le Corps de Jésus est pour elle le « lieu théologique » par excellence, où sont contemplés tous les Mystère : la Trinité, la Création, l’Incarnation, l’Église sur la Terre comme au Ciel.  Car il est le Temple nouveau (cf Jn 2, 21), où « habite toute la plénitude de la Divinité » (Col 2, 9).

Catherine déploie une splendide symbolique incarnée et corporelle. Pour elle comme pour Edith Stein (sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix), Jésus, comme Parole Incarnée, est le Symbole primordial. Dans sa Personne Divine de Fils de Dieu, il réunit de la manière la plus intime le visible et l’invisible, la Divinité et l’Humanité, le Verbe et la Chair. Cette « réunion » (sumbolon) de Dieu et de l’Homme s’est accomplie par l’action de l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie, de celle dont saint Luc nous dit qu’elle « recueillait (sumballousa) toutes les paroles dans son Cœur » (Lc 2, 19).

Ainsi, pour Catherine, toutes les parties du Corps de Jésus et toutes les réalités corporelles ont une inépuisable signification symbolique. Une des plus importantes est évidemment le Sang, toujours nommé et invoqué, avec son inépuisable richesse d’expression. En effet, le Sang de Jésus est « plus éloquent que celui d’Abel » (cf He 12, 24); c’est lui qui parle à travers la voix de Catherine, et il est comme l’encre de toutes ses Lettres. La Miséricorde Divine contenue dans le Sang de Jésus dépasse infiniment l’immensité du péché du monde. C’est la grande vérité qui fonde l’espérance du salut éternel.

Les deux plus grands Mystères du Corps et du Sang de Jésus sont donc l’Incarnation et la Rédemption, quand son Corps a été formé par l’action de l’Esprit Saint dans le Sein virginal de Marie et quand son Sang a été versé sur la Croix à travers la blessure de son Côté, là où le même Esprit Saint a formé sa « douce Épouse », l’Église. À l’Annonciation Marie ouvre son Cœur au Fils de Dieu, pour qu’il s’incarne dans son sein ; dans la Passion, Jésus ouvre son Cœur et son Côté pour y faire naître et renaître sans cesse l’Église son Épouse. Il faut remarquer à ce propos que le mot grec pleura employé par saint Jean dans les chapitres 19 et 20 de son Evangile est un mot féminin qui signifie la côte et le côté. C’est ce même mot qui était employé dans le récit symbolique de la création d’Eve à partir de la côte ou du côté d’Adam pendant son sommeil (cf Gn 2, 21-22, dans la traduction grecque des Septante). Ainsi l’Epouse de Jésus a été formée à partir de sa côte ou de son côté pendant le sommeil de sa mort sur la Croix!

 

Le Corps de Jésus Crucifié et Ressuscité comme Voie, Vérité et Vie

 

Le Corps de Jésus Crucifié et Ressuscité est le centre de toute la doctrine de Catherine, où sont pleinement révélés tous les Mystères de Dieu et de l’Homme, dans la chair du Verbe et dans son Sang. Contemplant toujours « Jésus lui-même, c’est-à-dire son corps » (Lettre 74), la sainte interprète corporellement la parole de Jésus : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), en contemplant son Corps tout entier dans une dynamique ascendante, « de la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête » (Is 1, 6). Dans cette contemplation, elle  distingue trois lieux principaux de ce Corps: les pieds, le côté et la bouche, inséparablement dans la Passion et dans la Résurrection de Jésus. En effet, les pieds de Jésus cloués sur la croix, après la Résurrection maintiennent les signes des clous, de même que son côté demeure toujours ouvert. Sa bouche qui a bu l’amertume du vinaigre pendant la Passion, prononce la paix et souffle l’Esprit Saint après la Résurrection (cf Jn 19 et 20). Les Pieds, le Côté et la Bouche sont les trois « échelons » du Corps de Jésus contemplé comme échelle, c’est-à-dire comme Voie ; ce sont aussi les trois « chapitres » du même Corps contemplé comme Livre, c’est-à-dire Vérité ; le Côté et la Bouche sont les principaux lieux du Corps contemplé comme source de la Vie.

D’abord, le Corps de Jésus est la Voie, c’est-à-dire l’Échelle ou le Pont qui nous conduit sûrement de la terre jusqu’au ciel. Le génie propre de notre sainte est d’exprimer corporellement toutes les étapes de la vie chrétienne ou du cheminement spirituel. Ce que Thérèse d’Avila dira d’une manière plus détaillée avec le symbole des sept demeures de notre âme (dans son chef-d’œuvre : Le Château Intérieur), Catherine l’exprime avec les trois échelons du Corps de Jésus. Pour elle, la communion au Corps et au Sang de Jésus n’est pas seulement un aspect important de la vie chrétienne, mais c’est la réalité centrale qui contient toutes les autres. Toutes les étapes du cheminement spirituel ne sont rien d’autre que les étapes de la communion au Corps de Jésus, une communion intime toujours plus élevée et plus profonde et jusqu’à la communion totale dans la Résurrection de la Chair.

Le même Corps de Jésus Crucifié et Ressuscité est la Vérité. C’est le Livre vivant, Livre de la Vérité, où Lui-même a écrit l’Amour Infini de Dieu pour nous, non avec de l’encre, mais avec son propre Sang, non sur le papier, mais sur sa propre chair. Ce même thème du Christ Livre Vivant sera développé de façon un peu différente par Thérèse d’Avila, en référence à ses visions de la Sainte Humanité de Jésus. Catherine est illettrée, mais elle nous apprend à lire ce livre du Corps de Jésus mort et ressuscité. Dans cette lecture ascendante du Corps de Jésus elle nous conduit au « chapitre principal, celui de la brûlante charité, que nous trouvons dans son Côté, où lui-même nous montre le secret de son Cœur ». Ainsi le Côté ouvert de Jésus est le second chapitre, comme aussi le second échelon ; mais il est le chapitre central, celui qui a comme contenu l’Amour Infini de son Coeur. Catherine parle inséparablement du Côté et du Coeur de Jésus.

Enfin, le Corps de Jésus Crucifié et Ressuscité est la Vie, source de la Vie pour tous les hommes dans le Don de l’Esprit-Saint, Eau Vive de son Côté et Souffle de sa Bouche. La Bouche de Jésus qui, dans la Passion a bu toute l’amertume de nos péchés (symbolisée par le vinaigre), après la Résurrection prononce la paix et souffle l’Esprit Saint. C’est le baiser de l’Époux à son Épouse, selon le Cantique des Cantiques (1, 1), le baiser de la paix.

 

La Réforme de la Sainte Église, à la lumière du Soleil Eucharistique

 

Un des principaux thèmes du Dialogue (le grand livre dicté par Catherine) est la « Réforme de la sainte Église ». Il s’agit de cette profonde et urgente « Réforme dans la tête et dans les membres », désirée par tous les saints de cette époque tourmentée. Avant tout, la réforme « dans la tête », parce que c’est la hiérarchie de l’Église qui a le plus besoin de réforme, et cela au plus haut niveau, comme le démontrera le Grand Schisme d’Occident qui éclate en 1378, deux ans avant la mort de Catherine. Les principaux responsables sont évidemment les cardinaux qui ont élu l’antipape. Mais ce profond besoin de réforme concerne aussi tout le clergé, les séculiers et les religieux, et aussi les théologiens Et ainsi, la Réforme que Dieu promet à Catherine concerne principalement la hiérarchie, en référence au Mystère Eucharistique qui demeure toujours identique dans son absolue sainteté. Mais Catherine ne craint pas d’affirmer que « la Douce Épouse du Christ est lépreuse » à cause du péché des chrétiens, et surtout des prêtres.

Dans le Dialogue ce thème de la Réforme de l’Église est spécialement développé dans une longue section (chapitres 110-134). Pour Catherine, toute l’Église en pèlerinage est illuminée et vivifiée par l’Eucharistie qu’elle compare au Soleil. Ce Soleil Eucharistique nous communique continuellement sa lumière et sa chaleur! Au début de cette section, notre sainte affirme d’une manière très équilibrée d’abord l’immense dignité de tous les hommes à cause du Mystère de l’Incarnation, et ensuite la dignité spéciale des prêtres à cause du Mystère eucharistique dont il sont les ministres.

En Jésus le Verbe Incarné « toute la plénitude de la Divinité habite corporellement » (Col 2, 9). Cette « plénitude de la Divinité » présente dans son Corps Eucharistique est plénitude de l’Amour qui est la « matière » de l’homme et de la femme comme image et ressemblance de Dieu.  L’Amour Infini se fait nourriture de l’homme dans l’Eucharistie. Catherine raconte alors sa propre expérience eucharistique comme expérience corporelle et spirituelle qui consiste à voir, toucher et goûter le vrai Corps de Jésus réellement présent sous les espèces du pain.

A partir de ce Soleil Eucharistique, Catherine affirme la sublime dignité des prêtres qui en sont les ministres. Cette dignité supérieure à celle des anges comporte une spéciale exigence de sainteté. En référence au Corps de Jésus, Catherine insiste sur la sainteté sacerdotale comme charité et chasteté. Mais  tous ne répondent pas à cette exigence, et nous trouvons dans le Dialogue un long discours sur les bons et les mauvais ministres. Toutefois, pour elle comme pour saint François d’Assise, nous devons tous les aimer et les respecter à cause du Sacrement de l’Eucharistie dont ils sont les ministres par le sacrement de l’Ordre qu’ils ont reçu.

Les saints prêtres, toujours présents dans l’Église, sont une pure transparence du Soleil eucharistique. Parlant ensuite des prêtres corrompus, Catherine ne craint pas de regarder en face la douloureuse réalité de leur péché, mais elle le fait toujours dans la charité. Il faut les aimer eux aussi et les respecter à cause du Sacrement dont ils sont les ministres, et il faut prier intensément pour leur conversion. Avec réalisme et liberté de parole, Catherine décrit la triste situation de ces prêtres scandaleux, installés dans l’orgueil, l’injustice, l’avarice et l’impureté (selon son témoignage, la pratique de l’homosexualité était alors très répandue dans le clergé).

Tout ce discours de Catherine sur le péché des prêtres a un caractère essentiellement prophétique : c’est une invitation à la conversion, à la prière. L’intention n’est pas de condamner, mais de porter remède à une chose si douloureuse pour l’Église. Comme chez les prophètes, les reproches les plus forts sont accompagnés de la promesse du salut. Ici c’est la promesse de la Réforme de l’Église, opérée par la Miséricorde du Seigneur.

 

Le vrai Amour de Catherine envers les prêtres

 

Les nombreuses Lettres de Catherine nous révèlent la pleine ouverture de son cœur à toute l’Église et à toute l’humanité de son temps. Dictées par elle, elles sont adressées aux catégories les plus diverses de personnes : hommes et femmes, ecclésiastiques et laïcs, grands et petits, italiens et étrangers, lettrés et illettrés, justes et pécheurs… Parmi les destinataires des lettres il y a de nombreux prêtres : le Pape, les cardinaux et les évêques, et beaucoup de prêtres séculiers ou religieux. C’est tout le Peuple de Dieu.

Dans ces lettres se révèle l’immense maternité spirituelle de Catherine vécue dans l’union intime avec Marie près de la Croix de Jésus. Toutes les lettres commencent avec les mêmes paroles : « Au Nom de Jésus Christ crucifié et de la douce Marie ». Catherine partage l’amour maternel de Marie envers tous les hommes pour lesquels le Christ est mort, avec le désir passionné de leur salut. On pourrait dire que la sainte redit inlassablement à tous les paroles de Marie à Cana : « Faites tout ce que Jésus vous dira » (Jn 2, 5). Comme Mère, Catherine sait adapter à chacun de ses enfants la même exigence évangélique, hommes et femmes, justes et pécheurs. Mais cet amour maternel qui embrasse tous les hommes, se manifeste spécialement envers les disciples de la sainte, les membres de cette étonnante « famille », qui trouve son unité dans sa référence à la « Mamma », ainsi que tous l’appellent!

D’une manière particulière, Catherine est mère des prêtres. Les lettres à ses disciples prêtres la révèlent comme une merveilleuse formatrice et éducatrice de leur cœur dans l’amour de Jésus et du prochain. Sa relation aux prêtres se manifeste dans ses paroles adressée au franciscain Lazzarino de Pise: « Très cher père et frère et fils dans le Christ Jésus » ( Lettre 225). Par rapport à lui Catherine est en même temps une fille, une sœur et une mère, en étant d’une manière exclusive et jalouse épouse de Jésus. Comme femme pleinement réalisée dans l’Amour de Jésus et du prochain, Catherine est Epouse et Mère, Fille et Soeur. Ce sont les « quatre cordes » du coeur, comparé à une lyre par Thérèse de Lisieux. Elle vit cela dans la virginité consacrée. D’autres saintes le vivent dans le Sacrement du mariage.

Le premier titre utilisé par Catherine est celui de père. Pour elle le prêtre est père comme ministre ordonné de l’Eucharistie. Ainsi Catherine aime filialement tous les prêtres, dans le grand courant de son amour filial envers le Père, envers Marie et envers l’Église, et particulièrement envers le Pape qu’elle ne craint pas d’appeler « Babbo mio dolce » (ce qui correspond bien au mot « Abba »). Cet amour filial s’inscrit dans l’obéissance libre et aimante de Jésus à son Père.

Mais le titre de père donné par Catherine au prêtre est aussitôt complété par les deux autres : frère et fils. Et cela est nécessaire pour empêcher toute forme de paternalisme ou cléricalisme. Le titre de frère exprime l’égalité fondamentale de tous les baptisés dans l’Église, et aussi de tous les hommes, puisque chacun est un frère pour qui le Christ est mort. Le prêtre est aussi pour Catherine un fils. Par rapport à lui, Catherine n’est pas seulement une fille obéissante, une sœur dans l’égalité, mais aussi une mère et éducatrice. Dans ses Lettres aux prêtres il y a une référence spéciale à Marie, à sa maternité. Ceci est surtout évident quand elle écrit au prêtre le plus proche d’elle, le Bienheureux Raymond de Capoue, dominicain, qui est son père spirituel. Elle l’appelle en effet « Très cher père et fils dans le Christ Jésus donné par cette douce Marie » (Lettre 226). À un autre fils prêtre, le dominicain frère Barthélemy, elle dit : « Moi, comme Mère, je vous offrirai et vous tiendrai devant Dieu le Père éternel » (Lettre 129).

C’est proprement l’attitude de Marie près de son Fils crucifié. C’est le vrai amour maternel, totalement oblatif, qui offre le Fils jusqu’au sacrifice, jusqu’à la mort. Alors que l’iconographie de son temps représentait Marie évanouie et soutenue par Jean, Catherine au contraire, parfaitement fidèle au texte de l’Évangile, insiste sur la vraie attitude de Marie, qui se tient debout, forte et courageuse, acceptant pleinement dans la foi et dans l’amour le sacrifice de son Fils, dépassant ainsi les limites de l’amour maternel purement naturel qui tend toujours à protéger le fils, à sauver sa vie à tout prix. En tout cela, la maternité de Marie est en profonde harmonie avec la Paternité de Dieu « qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous » (Rm 8, 32). Comme Abraham, Marie n’épargne pas son Fils unique, mais l’offre en sacrifice. De même, elle aidera tous ses enfants à accepter la Croix. Dans l’épreuve, la femme se montre plus forte que l’homme, et c’est elle qui le soutient.

Tes est donc le vrai amour maternel que la sainte partage avec Marie. On en trouve un très beau témoignage dans ses Lettres au Bienheureux Raymond de Capoue. C’est l’amour qui aide le fils à grandir jusqu’à devenir un homme fort, adulte, un amour qui aide le prêtre à suivre Jésus jusqu’à la croix, sans peur, et à donner sa vie pour le salut de tous ses frères. Dans deux Lettres de Catherine à Raymond, nous trouvons les expressions les plus belles de sa maternité, dans le Mystère de l’Église Épouse de Jésus demeurant toujours dans son Côté ouvert.

D’abord dans la Lettre 273 – considérée comme son chef-d’œuvre – la sainte s’adresse à Raymond et aux autres disciples avec ces paroles : « Je veux donc que vous vous enfermiez dans le côté ouvert du Fils de Dieu, lequel est un magasin rempli de parfums, de telle manière que le péché y devient parfumé. En ce lieu, la douce épouse se repose sur un lit de feu et de sang. Là le secret du Cœur du Fils de Dieu est vu et manifesté ».  Ensuite, Catherine raconte l’épisode dramatique de la mort de Nicolas Tuldo. Avec toute la tendresse de son amour maternel, elle a ramené à Jésus ce jeune homme, condamné à mort injustement, désespéré et révolté contre Dieu et contre les hommes ; elle l’a aidé à accepter sa mort par amour, comme le moment des « noces ». Comme mère, elle est très proche de lui corporellement au moment de sa cruelle exécution, recevant sa tête coupée dans ses mains et inondée de son sang!  Mais aussitôt après ce fait horrible, elle voit la réalité merveilleuse des noces, quand cette âme à peine séparée de son corps et baignée dans le Sang de Jésus entre dans son Côté ouvert qui est toujours le lieu de l’Église Épouse, sur la terre comme au Ciel. C’est proprement le moment des noces éternelles pour cette âme qui entre pour toujours dans la « divine douceur ». Catherine la compare à l’« épouse quand elle est arrivée à la porte de son Époux ». Ce récit splendide est très riche du point de vue théologique, pour montrer comment la communion au Corps et au Sang de Jésus continue après la mort, dans la vision et non plus dans la foi, sans le voile des espèces eucharistiques. La dernière communion au Corps de Jésus sera au moment de la résurrection des corps, à la fin des temps. Cette totale communion est déjà donnée à Marie dans son Assomption corporelle.

Dans l’autre texte, la Lettre 219, Catherine raconte comme elle voit toute l’humanité entrer dans le côté ouvert de Jésus, « le peuple chrétien et le peuple infidèle », c’est-à-dire tous les hommes. Ce sont alors les chrétiens et les musulmans. C’est un texte splendide dans lequel se trouve la vision la plus complète de l’Église, élargie à toute l’humanité pour laquelle Jésus a ouvert son côté sur la Croix en versant son Sang Rédempteur. Catherine n’y entre jamais seule. Elle y entre avec tous ses fils, avec tous les hommes de son temps. Tel est donc pour elle l’horizon de la joyeuse espérance pour l’Église en pèlerinage, pour sa réforme assurée, une espérance toujours fondée sur la Pâque de Jésus, dans son Sang, dans son côté ouvert d’Époux qui ne sera jamais refermé. Cette espérance s’ouvre sur le Ciel, où l’Église restera toujours dans ce même lieu corporel du côté de Jésus, où elle ne cessera jamais de communier à sa Chair et à son Sang. Dans cette lettre Catherine exprime toute sa joie, la joie du salut offert tous les hommes. Elle reprend les paroles de l’Exultet pascal : « Oh heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur! »

Tel est le caractère le plus dynamique de la spiritualité de Catherine : entrer dans la Côté ouvert de Jésus et y faire entrer tous les autres. Elle vit cela pleinement dans la Communion Eucharistique, selon ce bref dialogue raconté par Raymond de Capoue.  Un jour, avant la communion, lorsqu’elle avait redit les paroles liturgiques : « Seigneur je ne suis pas digne que tu entres en moi », elle entendit la voix de Jésus lui répondant: « Mais moi je suis digne que tu entres en moi ».  C’est une grande vérité pour chacun d’entre nous. Nous ne serons jamais dignes de recevoir Jésus en nous, mais il est toujours digne de nous recevoir en Lui, de nous faire entrer dans le « temple de son Corps » à travers la porte toujours ouverte de son Côté, personnellement et communautairement, avec toute l’Eglise et toute l’Humanité. Chaque fois que nous communions au Corps de Jésus nous entrons réellement en Lui en portant tous les hommes nos frères!

Ainsi, Catherine Docteur du Corps et du Sang de Jésus nous ramène à l’Eucharistie comme au Coeur du Mystère de Jésus et de son Eglise, au coeur de notre vie chrétienne. Sa théologie est essentiellement eucharistique, comme celle de saint Irénée de Lyon qui affirmait déjà : « Notre pensée est en accord (sumphônos) avec l’Eucharistie, et l’Eucharistie en retour confirme notre façon de penser » (Adversus Haereses, IV/18/5). D’une manière prophétique et avec sept siècles d’avance, Catherine orientait déjà l’Église vers la communion quotidienne, comme en témoigne un de ses disciples le dominicain Thomas  Caffarini : « Alors que la coutume des chrétiens de son temps était d’éviter la communion fréquente, Catherine désirait communier chaque jour […]. Si elle avait pu, elle aurait communié tous les jours, parce qu’elle savait que le vénérable Sacrement était l’unique moyen de s’unir âme et corps avec son éternel Époux ».

Accueillons cet enseignement de sainte Catherine et demandons-lui d’aider tout le Peuple de Dieu a grandir dans l’Amour de Jésus et de son Eglise, en vivant ce contact quotidien avec son Vrai Corps livré pour nous et donné à nous dans l’Eucharistie. Qu’elle aide les fidèles et les pasteurs pour maintenir ce contact réel dans la situation difficile de la pandémie.

 

Rome, Dimanche 22 novembre 2020

 Solennité du Christ Roi de l’Univers

 

 

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François-Marie Léthel

Le pape Benoît XVI a adressé une lettre au Père François-Marie Léthel, o.c.d., secrétaire de l’Académie pontificale de théologie et professeur à la faculté pontificale de théologie « Teresianum », qui a prêché la retraite de carême au Vatican de 2011, sur le thème : « La lumière du Christ au cœur de l’Eglise – Jean-Paul II et la théologie des saints ». Il est aussi depuis 2004, consulteur de la Congrégation pour les causes des saints. https://fr.zenit.org/articles/lettre-de-benoit-xvi-au-pere-francois-marie-lethel/

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