A Rome, en ce Dimanche 1er novembre 2020, jour de la Résurrection de Jésus et solennité de tous les Saints, j’écris ce nouveau texte sur l’Eucharistie, au moment où la France entre dans l’épreuve d’un second confinement avec la suspension de toutes les Messes en présence des fidèles.
Dès le début du premier confinement, à partir du mois de mars, j’avais écrit plusieurs textes sur le même sujet, publiés dans Zenit (et ensuite réunis dans un recueil qui est une sorte de « livre virtuel » – gratuit, ndlr). J’y ai ensuite ajouté mon propre témoignage comme prêtre malade et guéri de la Covid 19, après avoir passé 17 jours à l’hôpital au mois de Juin.
Plus récemment, Zenit a publié mon bref article sur le témoignage eucharistique du jeune Carlo Acutis, béatifié le 10 octobre dernier à Assise, un témoignage qui est de la plus grande actualité. Auparavant, j’avais publié deux articles concernant des témoins récents de ce grand Mystère d’Amour: le Vénérable Cardinal vietnamien François-Xavier Nguyên Van Thuan et la Servante de Dieu Vera Grita, laïque italienne consacrée dans la famille salésienne.
La pandémie est une grande épreuve qui a touché le monde entier. En profonde communion avec notre Pape François, toute l’Eglise Catholique s’est efforcée d’affronter cette épreuve dans la grande diversité des situations, des différents choix pastoraux des évêques, en tenant toujours compte des décisions des gouvernements concernant les lieux de culte et les célébrations communautaires. Dans cette grande perspective de la catholicité, c’est à dire de l’universalité de notre Eglise, et en dialogue fraternel avec les autres Eglises Chrétiennes, il conviendrait de réfléchir ensemble sur la manière de mieux affronter cette deuxième grande offensive de la pandémie.
Vivant à Rome dans une communauté internationale, avec des frères asiatiques, africains, malgaches et latino-américains, j’ai pu mieux connaître cette grande diversité des choix pastoraux concernant l’Eucharistie, au-delà de nos frontières européennes, avec le grand souci de maintenir un contact réel (et pas seulement virtuel) entre les fidèles et le Sacrement du Corps de Jésus.
En France comme en Italie, il serait urgent de réfléchir comme Peuple de Dieu, en communion avec les évêques, les prêtres, les diacres, les laïcs et les consacrés, sur les nouvelles possibilités de maintenir ce contact réel et fréquent de tous les fidèles avec le Vrai Corps de Jésus. Pour beaucoup de laïcs engagés qui participaient chaque jour à l’Eucharistie, l’absence totale de la communion pendant plusieurs mois, même le jour de Pâques, a été une immense souffrance, à laquelle la Messe télévisée et la communion spirituelle ne pouvaient pas remédier (ce que notre Pape François a si bien exprimé dans son homélie du 17 avril dernier). J’avais parlé à ce propos d’une profonde Blessure Eucharistique dans le Peuple de Dieu. De nombreux laïcs et surtout des femmes (qui ne peuvent pas accéder au sacerdoce) ont été blessés par l’attitude de prêtres refusant de leur donner la communion lorsqu’ils la demandaient humblement.
Notre Pape François nous met toujours en garde contre le cléricalisme. Nous sommes prêtres pour le Peuple de Dieu, ministres, c’est à dire serviteurs de l’Eucharistie, et non pas patrons et propriétaires. Thérèse de Lisieux nous ramène au coeur de notre vie sacerdotale lorsqu’elle dit à Jésus: « Je sens en moi la vocation de prêtre ; avec quel amour, ô Jésus, je te porterais dans mes mains lorsque, à ma voix, tu descendrais du Ciel… Avec quel amour je te donnerais aux âmes! » (Ms B, 2v). Plus que jamais, dans cette situation de souffrance, nous devons avoir le souci de donner Jésus Eucharistie à nos frères et soeurs qui en ont faim!
Thérèse, si chère à notre Pape François, est Docteur de l’Eglise et Patronne des Missions. Elle a une splendide doctrine eucharistique centrée sur la communion, à une époque encore marquée par le courant janséniste opposé à la communion fréquente. Même au Carmel, la communion quotidienne n’était pas encore autorisée. Elle en souffrait et elle disait à Jésus: « Ah ! je ne puis recevoir la Sainte Communion aussi souvent que je le désire, mais, Seigneur, n’êtes-vous pas Tout-Puissant ? Restez en moi, comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie » (Acte d’Offrande à l’Amour Miséricordieux). Beaucoup de fidèles maintenant privés de la communion quotidienne peuvent redire ces paroles de Thérèse, qui expriment aussi une conception très juste, du point de vue théologique, de la permanence de la Présence eucharistique en nous après la communion (contrairement à l’opinion commune à son époque d’une présence « fugitive » ne durant que quelques minutes), et cela selon la parole de Jésus: « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en Lui » (Jn 6, 56).
Concernant cette privation de la communion, je rappellerai encore qu’il vaut mieux ne pas parler de « jeûne eucharistique » (comme on le fait souvent aujourd’hui), car cette expression traditionnelle signifie au contraire se priver de toute autre nourriture pour recevoir la Nourriture eucharistique. A propos de cette douloureuse privation de l’Eucharistie, il ne faut pas imposer aux fidèle cette idée, théologiquement fausse, d’un « jeûne », comme si la communion quotidienne était une nourriture superflue dont il serait bon de se priver. Malheureusement, cette idéologie s’est largement répandue en France et en Italie depuis la crise de 1968. Personnellement j’en avais fait l’expérience dans une de nos communautés. Au contraire, depuis plus d’un siècle, avec les décrets de saint Pie X en faveur de la Communion quotidienne (1905), tous les saints modernes sont des saints de la communion quotidienne. Avant lui, Thérèse de Lisieux mettait l’accent non pas d’abord sur notre désir de recevoir Jésus, mais sur son désir de se donner à nous pour vivre en nous et nous unir à Lui.
Dans la communion ecclésiale et dans un dialogue confiant et ouvert entre les évêques, les prêtres et les laïcs, il faut donc chercher, explorer et aussi inventer toutes les voies possibles pour donner Jésus Eucharistie à tous, même en dehors de la célébration de la Messe – lorsqu’elle n’est pas possible avec les fidèles – comme on le fait pour les malades. Car maintenant de nombreux fidèles sont malades, souffrant si douloureusement de la faim du Pain eucharistique. Dans les églises de Rome comme dans de nombreux pays les prêtres donnent volontiers la communion à tous les fidèles qui la demandent, ce qui n’est pas le cas ailleurs.
Certes, il faut absolument respecter toutes les exigences sanitaires pour éviter la contagion (port du masque, fréquente désinfection des mains, distance, etc…) et respecter les décisions des gouvernements concernant les lieux de culte qui sont des lieux publics (églises, basiliques, sanctuaires, chapelles). Mais il faut aussi rappeler que la vie sacramentelle de l’Église n’est pas liée de façon essentielle à ces lieux de culte quand, pour des raisons diverses, ils sont inutilisables. A Rome, ils n’existaient pas pendant les trois premiers siècles, au temps des persécutions. Mais il y avait alors des églises domestiques, c’est-à-dire les maisons des fidèles. Même chose dans toutes les persécutions, comme pendant la Révolution Française, quand les prêtres fidèles au Pape devaient se cacher. Plus récemment en Italie, on retrouvait le même genre de situation dans les zones frappées par les tremblements de terre, quand les prêtres ne pouvaient plus célébrer dans les églises menaçant de s’écrouler.
Pour les prêtres, les règles du confinement ne leur permettront sans doute pas de célébrer des Eucharisties domestiques, dans les maisons des fidèles (et pas seulement dans des églises vides et fermées aux fidèles, ne pouvant y assister que « virtuellement » par les médias), mais il serait sans doute possible de confier la Présence Eucharistique à des familles chrétiennes sûres, en rappelant que déjà dans le passé, de telles familles recevaient des évêques cette permission de l’oratoire. Ainsi, il serait possible pour ces familles de vivre ensemble l’adoration eucharistique, la célébration de la Parole et la communion. Cela vaut également pour les communautés de religieuses qui ne peuvent plus avoir la Messe quotidienne, mais qui vivent chaque jour une célébration communautaire de la Parole suivie de la Communion grâce à la réserve eucharistique que des prêtres leur donnent régulièrement. Les exemples sont nombreux en France et en Italie.
De même, il serait important de donner la plus grande place aux laïcs dans cette exceptionnelle pastorale de l’Eucharistie. J’en avais déjà parlé dans un texte sur les laïcs et l’Eucharistie au temps de la pandémie du coronavirus, publié dans Zenit pendant l’octave de Pâques, à partir d’un exemple magnifique: comment un groupe de médecins catholiques du service covid de l’hôpital de Prato, en Toscane, ont eu l’inspiration de donner la communion aux malades du covid le jour de Pâques, en accord avec l’évêque et avec l’aumônier de l’hôpital.
Plus que jamais, dans la situation présente, il conviendrait de valoriser le rôle des ministres extraordinaires de la communion, institués par le saint Pape Paul VI après le Concile. Ces laïcs, hommes et femmes, qui ont la mission de donner la communion au malades et personnes âgées, devraient maintenant être plus nombreux, avec une formation accélérée et adaptée à cette nouvelle situation. De même, on devrait confier la Présence Eucharistique aux femmes consacrées de l’Ordo Virginum pour leur vie de prière et leur apostolat, pour porter et donner Jésus Eucharistie à leurs frères.
Enfin, il serait souhaitable de lancer un grand Mouvement Eucharistique du Peuple de Dieu, international, aux dimensions de la catholicité de l’Eglise, réunissant évêques, prêtres et diacres, laïcs, religieux et religieuses pour affronter ensemble ces nouveaux défis.