Card. Van Thuan © Thuy-Ho-Commons.wikimedia.org

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« Je te porte avec moi jour et nuit »: la spiritualité eucharistique et mariale du card. Van Thuan

« Au fond de ma cellule, sans lumière, sans fenêtre… »

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« Je te porte avec moi jour et nuit »:

La spiritualité eucharistique et mariale

du vénérable cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuan

  fr François-Marie Léthel ocd

            Le vénérable François-Xavier Nguyên Van Thuân (1928-2002) offre à toute l’Eglise une splendide spiritualité eucharistique et mariale, fruit de sa profond expérience mystique vécue en prison.  Arrêté  le 15 août 1975, il devait rester plus de 13 ans en prison, dont 9 ans en isolement, jusqu’à sa libération le 21 novembre 1988. Pour lui, ces deux fêtes de l’Assomption et de la Présentation de Marie avaient une grande signification pour éclairer toute cette période si dramatique de sa vie.   En effet, avec Marie, Van Thuân vit une profonde expérience mystique qui a comme centre l’eucharistie, en toutes ses dimensions de sacrifice, présence réelle, communion et adoration. 

  Une prière écrite en prison 

Après une très dure première année de prison, le 7 octobre 1976, Mgr Thuân écrit cette belle prière qui synthétise toute sa spiritualité eucharistique:

            Jésus Bien Aimé,

            ce soir, au fond de ma cellule, sans lumière, sans fenêtre, très chaude, je pense avec une très forte nostalgie à ma vie pastorale.

            Evêque pendant 8 ans dans cette résidence, à deux kilomètres de ma cellule de prison, sur la même route, sur la même plage… J’entends les vagues de l’Océan Pacifique et les cloches de la cathédrale!

            Alors, je célébrais avec patène et calice dorés,

maintenant avec ton sang dans la paume de ma main.

            Alors, j’allais te visiter au tabernacle,

maintenant je te porte avec moi, jour et nuit, dans ma poche.

            Alors, je célébrais la Messe devant des milliers de fidèles; maintenant dans l’obscurité de la nuit, en passant la communion sous les moustiquaires.

            Alors, je prêchais les Exercices spirituels aux prêtres, religieux, aux laïcs…

            Maintenant, c’est un prêtre, prisonnier lui aussi, qui me prêche les Exercices de saint Ignace à travers les fentes de la cloison.

            Alors, je donnais la bénédiction solennelle avec le Saint Sacrement dans la cathédrale, maintenant je fais l’adoration eucharistique chaque soir à 21 heures, en silence, chantant à voix basse le Tantum Ergo et le Salve Regina, en concluant avec cette brève prière:

            « Maintenant, Seigneur, je suis content d’accepter tout de tes mains: toutes les tristesses, les souffrances, les angoisses, jusqu’à ma propre mort. Amen [1].  » 

Beaucoup de saints prêtres ont célébré la Messe dans des conditions semblables d’extrême souffrance, dans les camps de concentration nazis ou communistes. Mgr Thuân vit l’eucharistie comme le sacrement de la kénose, c’est-à-dire de l’anéantissement du Christ en la plus extrême pauvreté et petitesse, de Bethléem à la Croix. L’aspect le plus original et le sommet de sa spiritualité eucharistique est le fait de porter toujours sur soi l’hostie consacrée. C’est dans cette prière que nous trouvons l’expression la plus caractéristique de sa spiritualité:  Je te porte avec moi jour et nuit!

Porter toujours sur soi Jésus Eucharistie 

            Van Thuân vit cela comme prêtre et évêque, mais dans la même période de persécution communiste, les laïcs les plus engagés vivaient la même expérience. En effet, les Évêques du Vietnam avaient donné à ces fidèles, hommes et femmes, la permission de porter sur eux l’eucharistie, pour donner la communion dans les lieux où les prêtres ne pouvaient pas pénétrer. Il en était allé de même au moment de la Révolution Française.

            Ce fait de porter sur lui l’Hostie consacrée avait aussi frappé l’Archevêque de Huê, qui écrivait dans sa relation à Rome en 1978: « Il a pris l’habitude de garder sur lui, après la Messe une petite hostie consacrée ». Il vit alors des moments d’extrême souffrance avec Jésus à Gethsémani. Selon le témoignage de sa soeur, « en voyant la souffrance des autres prisonniers et sa propre souffrance, il s’était rendu compte que seule la présence de Jésus Eucharistie pouvait donner sens et force à leur situation de vie. »

            Van Thuân ne craint pas de partager cette spiritualité eucharistique avec les autres, comme en témoigne un prêtre, le Recteur du Séminaire Diocésain, qui était prisonnier avec lui et lui avait prêché les Exercices de saint Ignace en prison:

            Comme signe d’espérance, il me fit un autre cadeau que je trouvai très précieux. Avec le fer-blanc des boîtes de conserve, il avait réalisé une bague qu’il me remit en me demandant ce que c’était. Je lui répondis que c’était un jouet, mais il me dit que c’était une bague dans laquelle il avait caché un petit fragment d’Hostie consacrée, afin que je porte toujours avec moi Jésus Eucharistie. J’ai trouvé cela extraordinaire et maintenant encore, je suis tout ému en pensant à ce qu’il a fait pour moi.  

            Ce « cadeau très précieux » que l’évêque offrait à son frère prêtre était un « mini-tabernacle » à porter continuellement sur soi. Il partageait ainsi l’aspect le plus fort et le plus audacieux de sa spiritualité eucharistique.

            Plus tard, après sa libération, Van Thuân a souvent témoigné de cette expérience eucharistique  vécue en prison. Il en offre une en des plus belles synthèses dans son livre Cinq pains et deux poissons (publié en italien en 1997). Le chapitre IV est intitulé: Quatrième pain: Ma seule force, l’eucharistie.   

« Ma seule force: L’eucharistie » 

            Mgr Thuân a souvent raconté comment, dès le début de sa détention, il avait réussi à avoir un peu de vin dans un flacon de « médicaments contre le mal d’estomac », avec des petites hosties cachées. Il pouvait donc célébrer la Messe chaque jour avec trois gouttes de vin dans la paume d’une main et un fragment d’hostie dans l’autre. Il célébrait totalement seul pendant la période d’isolement. A d’autres moments, il célébrait pour ses frères prisonniers, même dans les pires conditions de misère et de saleté comme par exemple sur le bateau qui l’avait porté du sud au nord avec des milliers d’autres prisonniers, et ensuite dans le camp de rééducation. Ainsi, la Messe est célébrée dans la plus extrême pauvreté, dans cette kénose, et il en va de même pour la conservation du Saint Sacrement, dans les plus humbles ciboires et tabernacles, donnés par lui aux prisonniers catholiques, alors qu’il porte toujours sur lui l’hostie consacrée:

            Nous fabriquons de petits sacs avec le papier des paquets de cigarettes, pour conserver le Saint Sacrement. Jésus eucharistie est toujours avec moi dans la poche de ma chemise. (…)

            Chaque semaine a lieu une session d’endoctrinement à laquelle doit participer tout le camp. Au moment de la pause, avec mes camarades catholiques, nous en profitons pour passer un petit paquet à chacun des quatre autres groupes de prisonniers: Tous savent que Jésus est au milieu d’eux, et que c’est Lui qui prend soin de  toutes les souffrances physiques et mentales.

            La nuit, les prisonniers se succèdent en tours d’adoration; Jésus eucharistie aide merveilleusement par sa présence silencieuse. Beaucoup de chrétiens reviennent à la ferveur de la foi pendant ces journées; même des bouddhistes et d’autres non-chrétiens se convertissent. La force de l’amour de Jésus est irrésistible. L’obscurité de la prison devient lumière, la semence a germé sous terre pendant la tempête.

           J’offre la Messe avec le Seigneur: quand je distribue la communion je me donne même avec le Seigneur afin de me faire nourriture pour tous.  Cela signifie que je suis toujours totalement au service des autres.  Chaque fois que j’offre la Messe j’ai la possibilité d’étendre les mains et de me clouer sur la Croix avec Jésus, de boire avec lui la coupe amère. Chaque jour, en récitant ou en écoutant les paroles de la consécration, je confirme de tout mon coeur et toute mon âme un nouveau pacte, une alliance éternelle entre moi et Jésus, par le moyen de son Sang mélangé au mien (1Co 11, 23-25).

            Jésus sur la croix commença une révolution. Votre révolution doit commencer à la table eucharistique et se développer à partir de là.  Ainsi, vous pourrez renouveler l’humanité. 

            Dans ce très beau texte adressé aux prêtres, on voit toutes les dimensions du Mystère Eucharistique comme Sacrifice de la Nouvelle Alliance, célébré par le prêtre in Persona Christi, mystiquement identifié avec Lui, avec une forte insistance sur la Présence Réelle et permanente de Jésus dans l’hostie Consacrée. Ici, Thuan parle de la Messe célébrée pour les autres prisonniers à qui il donne la communion et il laisse la Présence du Saint Sacrement.

            Puis il raconte, comment il a vécu l’Eucharistie quotidienne quand il était complètement seul,  en rappelant encore ce fait de porter toujours sur soi l’hostie consacrée:

            J’ai passé 9 ans en isolement. Pendant cette période je célèbre la Messe chaque jour vers 3 heures de l’après-midi: l’heure de Jésus agonisant sur la croix. Je suis seul, je peux chanter ma Messe comme je veux, en latin, français, en vietnamien. Je porte toujours avec moi le petit sachet qui contient le Saint Sacrement: « Toi en moi et moi en toi ». Ce sont les plus belles Messes de ma vie!

       Le soir, de 21 à 22 heures, je fais une heure d’adoration, je chante Lauda Sion, Pange lingua, Adoro Te, Te Deum et des cantiques en langue vietnamienne, malgré le bruit du haut-parleur qui dure de 5 heures du matin à 11 heures 30 du soir. Je sens une grande paix de l’esprit et du coeur, la joie et la sérénité en compagnie de Jésus, Marie et Joseph. Je chante Salve Regina, Salve Mater, Alma Redemptoris Mater, Regina Caeli… en unité avec l’Église universelle. Malgré les accusations, les calomnies contre l’Église, je chante Tu es Petrus, Oremus pour Pontifice nostro, Christus vincit…

            Comme Jésus a rassasié la foule qui le suivait dans le désert, dans l’eucharistie, c’est lui-même qui continue à être la  nourriture de vie éternelle. Dans l’eucharistie nous annonçons la mort de Jésus et nous proclamons sa résurrection.

      Il y a moments de tristesse infinie, et alors, que puis-je faire?  Regarder Jésus crucifié et abandonné sur la croix. Aux yeux humains, la vie de Jésus est un échec, inutile, manquée!  Mais aux yeux de Dieu, c’est sur la croix que Jésus a accompli l’action la plus importante de sa vie, parce qu’il a versé son sang pour sauver le monde. Jésus est totalement uni à Dieu, quand, sur la croix, il ne peut plus prêcher, soigner les malades, visiter les gens, faire des miracles, mais il reste dans l’immobilité absolue!

      Tout ceci est profondément théologique et très important pour rappeler la valeur de la Messe célébrée par le Prêtre dans la solitude, quand la présence des autres n’est pas possible. Dans la même période, Paul VI insistait sur cette vérité, très souvent contestée dans ces années de profonde crise de la foi en l’eucharistie, d’où la crise du sacerdoce qui a provoqué le départ de milliers de prêtres.  Dans son isolement total, le prêtre prisonnier accomplit l’oeuvre la plus grande et la plus efficace quand il célèbre la Messe. Il s’unit à Jésus Crucifié et Rédempteur, et il est en communion avec toute l’Église du Ciel et de la Terre.

Jésus Eucharistie rayonne son Amour envers tous, amis et ennemis 

      Dans l’expérience de Mgr Thuân c’est toujours Jésus Eucharistie qui rayonne son amour envers tous, amis et ennemis, prisonniers catholiques et policiers communistes. On remarque cette étonnante expression: Le poison de l’amour de Jésus! On peut rappeler que le mot grec pharmakon signifie le remède et le poison!

      L’eucharistie est par excellence le Sacrement de l’amour de Jésus qui nous unit à Lui et à tous les frères, sacrement de l’unité dans le Christ Jésus. Le témoignage de Van Thuân est ici très fort. Le contact continuel avec Jésus Eucharistie, qu’il porte toujours sur lui, le rend capable d’un amour extraordinaire envers les ennemis, à tel point que beaucoup deviennent ses amis! C’est de sa part un choix libre et radical: « J’avais décidé de les aimer ».

      Thuân voulait être « instrument de l’amour de Jésus », en vivant dans la plus grande profondeur cette spiritualité de l’unité que la Servante de Dieu Chiara Lubich partageait avec l’oeuvre de Marie (Mouvement des Focolari).  Il avait connu et assimilé cette spiritualité quand il étudiait à Rome et il l’avait implantée dans son diocèse, en développant particulièrement sa dimension eucharistique et mariale. Entre lui et Chiara, il y avait une grande communion spirituelle. Chiara ira le visiter à l’hôpital quelques instants avant sa mort.

  Dans la dernière maladie 

      Dans la dernière et très douloureuse maladie, l’eucharistie quotidienne restera le centre de sa vie, selon ce beau témoignage: « Il me racontait que la nuit, ne pouvant pas dormir, il ne trouvait rien de mieux que d’aller prier dans sa chapelle privée, et il se mettait à célébrer la sainte Messe en priant pour les prêtres en difficulté ».  C’était la Messe célébrée dans la solitude, comme pendant la période de l’isolement en prison.

      Quand il était hospitalisé, il célébrait la Messe tous les jours, comme en témoigne un médecin qui l’avait soigné à Milan:

            Dès qu’il a été en état de le faire, le Serviteur de Dieu a tout de suite commencé à exercer les fonctions de son sacerdoce, et surtout, il a tout de suite commencé à célébrer la Sainte Messe dans sa chambre. Certaines fois, j’étais présent et j’y ai participé. Je remarquais que son attitude de prière était intense, et surtout dans la célébration de l’Eucharistie il restait totalement absorbé et pris par ce qu’il était en train de faire à ce moment-là, sans occasion de distraction ou n’importe quelle autre chose, malgré qu’il se trouvât objectivement dans une situation de santé très précaire.

      Pour les derniers jours de sa vie à Rome, nous avons ce témoignage d’une religieuse infirmière:

            Je me souviens que tous les jours quelques prêtres amis, pour la plupart vietnamiens, venaient le trouver et concélébraient la Sainte Messe avec lui, le Cardinal, dans sa chambre d’hôpital. C’étaient de très belles liturgies chantées, bien participées, et solennelles dans leur expression. Je voyais que le Cardinal en était content, car pour lui, pouvoir célébrer la Sainte Messe était le moment de réconfort quotidien.

« Verum Corpus natum de Maria Virgine » 

      Avec Jésus, Marie a toujours été très présente dans toute la vie de Van Thuân, depuis l’enfance jusqu’à la mort. Il en a donné un beau témoignage en 1999 à Cologne, en parlant à une assemblée de prêtres, en expliquant comment Marie se trouve au coeur de sa spiritualité eucharistique et sacerdotale, en rappelant toujours son expérience en prison:

            Comme fils de Marie, en particulier pendant la Sainte Messe, quand je prononce les paroles de la consécration, je m’identifie avec Jésus, in persona Christi. Quand je me demande ce que Marie a signifié dans mon choix radical pour Jésus, la réponse est claire: sur la croix Jésus dit à Jean: « Voilà ta mère »!  (Jn 19, 27). Après l’institution de l’eucharistie, le Seigneur ne pouvait nous laisser rien de plus grand que sa Mère.  Pour moi Marie est l’Évangile vivant, en format de poche, avec la plus vaste diffusion, plus proche de moi que la vie de tous les autres saints. Marie est ma Maman: celle que Jésus m’a donnée. La première réaction d’un enfant quand il a mal ou qu’il a peur, est celle d’appeler:  « Maman! ». Ce mot, pour un enfant, est tout. Marie a vécu entièrement et exclusivement pour Jésus. 

      Dans la période la plus dure de l’isolement il avait écrit cette prière de consécration, de don total de soi-même à Jésus par Marie:

          O Mère, je me consacre à Toi, tout à Toi, maintenant et pour toujours. En vivant dans ton esprit et en celui de saint Joseph,  je vivrai dans l’Esprit de Jésus, avec Jésus, Joseph, les anges, les saints et toutes les âmes. Je t’aime, ô notre Mère, et je partagerai ta fatigue, ta préoccupation et ton combat pour le royaume du Seigneur Jésus. Amen 

      C’est la même consécration de saint Louis-Marie Marie Grignion de Montfort vécue par Jean-Paul II et résumée dans son Totus Tuus. Ainsi, le Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie, qui a eu la même influence dans la vie de Karol Wojtyla e de Van Thuân, s’achève avec une finale eucharistique: Vivre pleinement la sainte Communion avec Marie et en Marie (VD 266-273).

      D’une manière splendide, le Cardinal Van Thuân nous invite à redécouvrir la centralité de l’Eucharistie dans la vie de l’Eglise en Pèlerinage, la Présence de Jésus Mort et Ressuscité, l’Emmanuel, Dieu avec nous, jusqu’à la fin du monde.

NOTE

            [1] De nombreux textes de Van Thuân ont été publiés, d’autre se trouvent, avec les témoignages, dans l’excellente Positio de sa béatification.

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François-Marie Léthel

Le pape Benoît XVI a adressé une lettre au Père François-Marie Léthel, o.c.d., secrétaire de l’Académie pontificale de théologie et professeur à la faculté pontificale de théologie « Teresianum », qui a prêché la retraite de carême au Vatican de 2011, sur le thème : « La lumière du Christ au cœur de l’Eglise – Jean-Paul II et la théologie des saints ». Il est aussi depuis 2004, consulteur de la Congrégation pour les causes des saints. https://fr.zenit.org/articles/lettre-de-benoit-xvi-au-pere-francois-marie-lethel/

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