« L’humanité fleurit dans le ciel », écrit Mgr Francesco Follo dans sa méditation sur les textes de la messe de dimanche prochain, 1er novembre 2020, fête de la Toussaint et pour la fête du 2 novembre, commémoration des fidèles défunts.
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, cite le pape François: « La solennité de la Toussaint est « notre fête, non parce que nous sommes bons, mais parce que la sainteté de Dieu a touché notre vie ». »
Pour Mgr Follo, « la commémoration des morts est une fête de famille qui célèbre nos défunts dont nous savons qu’ils sont heureux au Ciel et qui veulent que nous soyons heureux avec eux ».
L’humanité fleurit dans le ciel
Introduction
Le mois de novembre commence par la fête de la Toussaint et il est immédiatement suivi par la commémoration des morts. Qu’il ne semble pas étrange que ces deux célébrations se succèdent immédiatement, car elles ont une chose en commun : elles nous ouvrent à l’au-delà et renforcent notre foi en la résurrection. Si nous ne croyions pas à une vie après la mort, il serait inutile de célébrer la fête des Saints et il serait une simple sentimentalité d’aller au cimetière. A qui rendrions-nous visite et pourquoi allumerions-nous des bougies ou apporterions-nous des fleurs ?
Ces deux jours nous invitent à méditer avec joie et sérieux sur le verset du psaume qui dit: «Apprends-nous à compter nos jours et nous arriverons à la sagesse du cœur» (Ps 89, 12). Cette phrase biblique ne s’arrête pas à l’observation poétique de Giuseppe Ungaretti: « Nous sommes comme des feuilles en automne sur les arbres ». Parce qu’au printemps, l’arbre recommence à fleurir, mais avec d’autres feuilles. Les feuilles n’ont pas une seconde vie, elles tombent et pourrissent. Aux feuilles que nous sommes, « la vie n’est pas enlevée mais transformée » (Préface de la messe des morts).
L’important est de croire avec toujours plus de fermeté en Jésus qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. Quiconque vit et croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25). À ce stade, la question peut spontanément se poser : « Que font les saints et tous les morts au ciel ? » Nous pouvons obtenir la réponse de la première lecture d’aujourd’hui. Les sauvés adorent, jettent leurs couronnes devant le trône, crient : « Louange, honneur, bénédiction, action de grâce … ». En eux se réalise la véritable vocation humaine qui est d’être «la louange de la gloire de Dieu » (Ep 1, 14). Leur chœur est dirigé par Marie qui continue son chant de louange au ciel : « Mon âme magnifie le Seigneur ». C’est dans cette louange que les saints trouvent leur béatitude et leur exultation : « Mon esprit se réjouit en Dieu ». L’homme est ce qu’il aime et ce qu’il admire. En aimant et en louant Dieu, nous nous identifions à Dieu, nous participons à sa gloire et à son propre bonheur.
Bref, le but de la solennité de ce jour et de la commémoration de tous les morts, demain, est de nous faire contempler l’exemple brillant des saints et de nous souvenir de nos morts pour éveiller en nous le grand désir d’être comme ceux qui sont au ciel : heureux de vivre proches de Dieu, à sa lumière, dans la grande famille des amis de Dieu, être saints signifie : vivre au plus près de Dieu, vivre dans sa famille. C’est la vocation de nous tous, réaffirmée avec vigueur par le Concile Vatican II, et aujourd’hui portée à notre attention de manière solennelle.
1) Aie confiance en l’Amour
Aujourd’hui la liturgie de l’Eglise nous invite à faire mémoire des fidèles défunts dans une grande prière qui les rassemble tous dans nos pensées et dans nos souvenirs. Aujourd’hui nous devons prier le Seigneur pour qu’Il accueille dans son royaume de joie et de paix éternelles ceux qui ont quitté ce monde et sont passés dans l’éternité. Nos morts : parents, amis, connaissances, et les défunts de tous les temps qui pour nous n’ont pas de nom mais que Dieu connaît bien.
La prière pour les saintes âmes du purgatoire, particulièrement celles qui sont abandonnées et dont nous ne connaissons ni le nom ni l’existence. Les morts de toutes les guerres et de toutes les violences, les morts du passé, et ceux d’aujourd’hui : les morts de la route, les morts en mer, dans les hôpitaux, dans les maisons, dans les petites et les grandes villes, les morts naufragés et les victimes des épidémies, et, naturellement, ceux qui, ces derniers jours, ont laissé notre cœur profondément meurtri. Nous commémorons tous les morts, sans exclure personne, et nous élevons notre prière pour eux tous, afin que le Seigneur leur donne le repos éternel, la paix parfaite.
S’il est naturel que nous nous souvenions plus particulièrement de nos chers défunts, et qu’au moment de la séparation nous ayons confié nos morts à l’amour et à l’éternité du Seigneur, il est tout aussi « naturel » de recevoir d’eux cet enseignement : que l’amour éternel de Dieu conserve dans son cœur ceux qu’Il aime après les avoir accueillis avec son pardon. Nos chers défunts nous rappellent qu’il ne faut pas perdre notre temps et notre peine dans la réalisation de nos ambitions et des choses éphémères, parce que tout passe, et seul l’amour demeure.
Le 2 novembre, ne l’oublions pas, n’est pas uniquement le jour où s’imposent à notre attention la fugacité et la brièveté de la vie qui marque douloureusement notre histoire humaine. C’est un jour consacré à la célébration de notre plus grande espérance si nous croyons réellement dans la foi pascale du Ressuscité. Le jour dédié à tous les défunts n’est donc pas une célébration de deuil. Si nous considérons la toute-puissance du Dieu-Amour qui ne laisse pas les morts dans leurs tombes parce qu’Il a lui-même fait mourir la mort en sortant ressuscité et glorieux du sépulcre, la mort chrétienne n’est pas un simple passage de l’âme d’un état dans un autre, mais elle réalise une rencontre individuelle avec Dieu-Amour qui sauve, apportant la confiance et l’espérance en la vie éternelle. Comme il est dit dans la préface de la messe des défunts : « La vie ne nous est pas enlevée, mais elle est transformée » par le pardon, comme c’est arrivé à Marmeladov, l’alcoolique que dépeint Dostoïevsky dans « Crime et Châtiment ».
Marmeladov est un bon à rien, un alcoolique qui n’aime pas travailler. Son comportement a ruiné sa famille et sa fille, Sonia, a été obligée de se prostituer. Cet homme éprouve au plus profond de lui un sentiment aigu d’échec et de culpabilité. C’est un perdant. Un jour, dans un restaurant, ivre mort, il se lance dans un discours chaotique et, dans une sorte de vision, il parle du Jugement dernier qu’il résume ainsi : « Dieu appelle en premier lieu auprès de lui ceux qui ont vécu une vie irréprochable, sainte. Ce sont des personnes qui méritent de vivre auprès de Dieu, du moins selon un critère humain. Ensuite, il convoque ceux qui n’ont pas fait beaucoup de bien, les ivrognes comme lui, les drogués, ceux que nous, les bien-pensants, nous osons appeler « les méchants ». Donc, c’est nous qu’il convoquera « vous aussi approchez », dira-t-il, « approchez vous les alcooliques, approchez, vous les faibles, approchez fils de la honte ! ». Et nous tous, nous approcherons, pleins de honte et nous nous tiendrons debout devant Lui. Et Lui dira : « vous êtes des porcs, faits à l’image de la Bête et marqués de son sceau, mais venez, vous aussi ! ».Et les sages et les personnes de bon sens diront : « Seigneur, pourquoi accueilles-tu ces hommes ? » Et il répondra : « pourquoi je les accueille, hommes bien-pensants, c’est parce qu’aucun d’eux n’a pensé être digne de cela».
Tout cela est-il possible ou est-ce seulement une façon superficielle de parler, à tort et à travers, comme le font les ivrognes ? Non seulement c’est possible, et cela se produit réellement, comme c’est arrivé à la femme adultère et à Marie-Madeleine, à Zachée comme à Pierre : tous ont remis leur souffrance au Christ, se sentant indignes, et tous ont été pardonnés. Comme le dit le psaume 26, « Le Seigneur est ma lumière et mon salut… Il est le rempart de ma vie… Je crie vers lui : pitié, réponds-moi ! C’est ta face, Seigneur, que je cherche… J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants ». Cela, parce que Jésus a vécu une agonie extrême, comme tant de malades que nous avons vus, en apparence sans aucun espoir, sur leur lit de mort. Parce qu’Il est mort comme l’homme, à cause de l’homme, pour l’homme, avec l’homme et devant l’homme. Cette foi s’unit à l’espérance qui, comme l’écrit Paul aux chrétiens de Rome, « ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné» (Rm 5,5).
2) Les Défunts et les Saints, des personnes qui vivent dans la vérité de l’Amour
La proximité des dates célébrant la fête des Saints (1er novembre) et la Commémoration des défunts (2 novembre) nous rappelle la mystérieuse vérité de la vie éternelle et le lien de fraternité qui nous unit à nos êtres chers qui sont passés sur l’autre rive.
Ce n’est pas par nostalgie du passé que nous nous rendons au cimetière, mais parce que nous gardons l’espérance d’un avenir de gloire et de joie. Donc, quand nous prions pour les défunts, eux, du ciel, nous tendent la main et nous assurent de leur présence intense et quotidienne, parce que nous aussi, nous marchons avec constance vers la vie qui n’a pas de fin.
C’est dans l’espérance que le chrétien perçoit et accueille sa fin sur terre, la mort. Sa foi en Jésus Christ ressuscité lui donne l’assurance que la mort n’est pas une défaite irréparable, mais le dramatique passage à la condition glorieuse avec son Seigneur. «Celui qui vient à moi, je ne le repousserai pas ». Nous ne sommes pas des étrangers pour Dieu, mais ses fils, ses héritiers, destinés à partager la résurrection de Jésus.
Un hymne des Laudes chante : « nous qui veillons de nuit, attentifs à la foi du monde, dans l’attente du retour du Christ, nous regardons vers la lumière ». Dans la nuit de la mort où tous pénètrent, une lumière nous est donnée, qui illumine la profondeur sacrée de notre cœur et dans la foi nous pouvons faire une expérience religieuse où se reflète la résurrection finale. Le Christ embrasse chaque instant de notre vie et Il nous fait comprendre et vivre que chaque moment renferme une abondance d’éternité, que chaque instant lié à Lui implique l’éternité.
A cette étreinte s’unissent les vierges consacrées dans le monde à qui est « confié le devoir de montrer que le Fils de Dieu fait homme est « l’objectif eschatologique vers quoi tend toute chose», la splendeur face à laquelle tout autre lumière pâlit, l’infinie beauté qui, seule, peut satisfaire totalement le cœur de l’homme» (St Jean-Paul II, Exhortation apostolique Vita Consacrata n.16).
Le choix de la vie virginale est un rappel du caractère éphémère des réalités terrestres et l’anticipation des biens à venir. Elle rappelle à tous les fidèles l’exigence de marcher au milieu des événements du monde, toujours orientés vers la cité future et elle contribue, de façon exemplaire, à mettre en lumière la nature authentique de la vraie Eglise dont la caractéristique est d’être à la fois humaine et divine, visible mais dotée de réalités invisibles, brûlante dans l’action et adonnée à la contemplation, présente dans le monde et cependant toujours en pèlerinage.
A cette signification spirituelle et eschatologique de la condition virginale fait référence l’ancienne prière romaine de consécration du pontifical Romain attribuée à saint Léon le Grand : « Tu … as réservé à certaines de tes fidèles un don particulier prenant sa source à ta miséricorde. A la lumière de la sagesse éternelle tu leur as fait comprendre que, alors que demeuraient intacts la valeur et l’honneur des noces sanctifiées au début de ta bénédiction, selon ton dessein providentiel, il doit surgir des vierges qui, malgré leur renoncement au mariage, aspirent à posséder dans leur cœur la réalité de son mystère. Tu les appelles ainsi à réaliser, au-delà de l’union conjugale le lien sponsal avec le Christ dont les noces sont une image et un signe. (n.38).
De la consécration des vierges jaillit la grâce ecclésiale spécifique qui rend opérant le symbolisme originel de ce rite. Ainsi, le don de la virginité prophétique et eschatologique acquiert la valeur d’un ministère au service du peuple de Dieu et intègre les personnes consacrées dans le cœur de l’Eglise et du monde. (Conc. Vat. II, Const. Dogm. Sur l’Eglise, Lumen Gentium, n 42). Cet acte public et reconnu de l’alliance entre le Christ et les vierges consacrées, proclame à la face du monde la primauté et la fécondité du don de soi total et perpétuel avec une entière disponibilité aux exigences de la charité envers Dieu et envers le prochain.
Avec l’exemple et le témoignage de ces vierges consacrées qui vivent leur foi avec joie et zèle, qui chaque jour vivent dans l’amour, par l’amour, pour aimer, persévérons sur le chemin de la sainteté auquel nous sommes tous conviés. En cela, que tous les saints intercèdent pour nous et nous aident, eux qui sont tellement fascinés par la beauté de Dieu et par sa vérité parfaite qu’ils en sont transformés. Pour cette beauté, cette vérité et cet amour, ils furent prêts à renoncer à tout, jusqu’à eux-mêmes, et ils vécurent dans la louange à Dieu et dans le service humble et désintéressé du prochain.
Lecture Patristique
Saint Ambroise de Milan: la foi dans la résurrection des morts
Du livre sur la mort de son frère Satyre
(Lib. 2, 40.41.46.47.132.133; CSEL 73, 270-274, 323-324)
Nous voyons que la mort est un avantage, et la vie un tourment, si bien que Paul a pu dire : Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Qu’est-ce que le Christ ? Rien d’autre que la mort du corps, et l’esprit qui donne la vie. Aussi mourons avec lui pour vivre avec lui. Nous devons chaque jour nous habituer et nous affectionner à la mort afin que notre âme apprenne, par cette séparation, à se détacher des désirs matériels. Notre âme établie dans les hauteurs, où les sensualités terrestres ne peuvent accéder pour l’engluer, accueillera l’image de la mort pour ne pas encourir le châtiment de la mort. En effet la loi de la chair est en lutte contre la loi de l’âme et cherche à l’entraîner dans l’erreur. ~ Mais quel est le remède ? Qui me délivrera de ce corps de mort ? — La grâce de Dieu, par Jésus Christ, notre Seigneur.
Nous avons le médecin, adoptons le remède. Notre remède, c’est la grâce du Christ, et le corps de mort, c’est notre corps. Alors, soyons étrangers au corps pour ne pas être étrangers au Christ. Si nous sommes dans le corps, ne suivons pas ce qui vient du corps ; n’abandonnons pas les droits de la nature, mais préférons les dons de la grâce.
Qu’ajouter à cela ? Le monde a été racheté par la mort d’un seul. Car le Christ aurait pu ne pas mourir, s’il l’avait voulu. Mais il n’a pas jugé qu’il fallait fuir la mort comme inutile, car il ne pouvait mieux nous sauver que par sa mort. C’est pourquoi sa mort donne la vie à tous. Nous portons la marque de sa mort, nous annonçons sa mort par notre prière, nous proclamons sa mort par notre sacrifice. Sa mort est une victoire, sa mort est un mystère, le monde célèbre sa mort chaque année.
Que dire encore de cette mort, puisque l’exemple d’un Dieu nous prouve que la mort seule a recherché l’immortalité et que la mort s’est rachetée elle-même ? II ne faut pas s’attrister de la mort, puisqu’elle produit le salut de tous, il ne faut pas fuir la mort que le Fils de Dieu n’a pas dédaignée et n’a pas voulu fuir.
La mort n’était pas naturelle, mais elle l’est devenue ; car, au commencement, Dieu n’a pas créé la mort : il nous l’a donnée comme un remède. ~ L’homme, condamné pour sa désobéissance à un travail continuel et à une désolation insupportable, menait une vie devenue misérable. Il fallait mettre fin à ses malheurs, pour que la mort lui rende ce que sa vie avait perdu. L’immortalité serait un fardeau plutôt qu’un profit, sans le souffle de la grâce.
L’âme a donc le pouvoir de quitter le labyrinthe de cette vie et la fange de ce corps, et de tendre vers l’assemblée du ciel, bien qu’il soit réservé aux saints d’y parvenir ; elle peut chanter la louange de Dieu dont le texte prophétique nous apprend qu’elle est chantée par des musiciens : Grandes et merveilleuses sont tes œuvres. Seigneur, Dieu tout-puissant : justes et véritables sont tes chemins. Roi des nations. Qui ne te craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ? Car toi seul es saint. Toutes les nations viendront se prosterner devant toi. Et l’âme peut voir tes noces, Jésus, où ton épouse est conduite de la terre jusqu’aux cieux, sous les acclamations joyeuses de tous — car vers toi vient toute chair — ton épouse qui n’est plus exposée aux dangers du monde, mais unie à ton Esprit.
C’est ce que le saint roi David a souhaité, plus que toute autre chose, pour lui-même, c’est ce qu’il a voulu voir et contempler : La seule chose que je demande au Seigneur, la seule que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, et de découvrir la douceur du Seigneur.