Mgr Ivan Jurkovic © RV

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OMC : les droits de propriété intellectuelle sont en vue du bien commun

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Mgr Jurkovic invite à un geste de solidarité pour contrer la crise

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« Les droits de propriété intellectuelle ne sont pas une fin en soi mais plutôt un moyen d’atteindre une fin », a déclaré Mgr Jurkovic. « Afin de maintenir leur validité, ils doivent donc être subordonnés aux exigences du bien commun ». Dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, ces droits ne doivent pas créer des « obstacles à l’accès en temps utile à des produits médicaux abordables », a-t-il spécifié.

Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, est intervenu au Conseil des Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Genève, le 16 octobre 2020.

Pour promouvoir le « dialogue constructif » souhaité par le pape François et lutter contre les « conséquences négatives potentielles du système actuel », le représentant du Saint-Siège a invité le Conseil des ADPIC à témoigner une « solidarité concrète » en accordant certaines dérogations concernant « la prévention, le confinement ou le traitement de la Covid-19 ».

Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Ivan Jurkovic.

HG

Intervention de Mgr Ivan Jurkovic

Monsieur le Président,

Comme c’est la première fois que ma délégation prend la parole au cours de la présente session du Conseil des ADPIC, permettez-moi de commencer par vous féliciter pour votre accession à la présidence et par vous assurer du plein engagement du Saint-Siège.

Monsieur le Président,

Le pape François nous a récemment rappelé qu’ « une tragédie mondiale comme la pandémie de Covid-19 a momentanément ravivé le sentiment que nous sommes une communauté mondiale, tous dans le même bateau, où les problèmes d’une personne sont les problèmes de tous. Une fois de plus, nous avons réalisé que personne n’est sauvé seul ; nous ne pouvons être sauvés qu’ensemble ». (1)  Comme cela est apparu au cours des derniers mois et a été constamment rappelé par cette délégation, « l’accès à des médicaments abordables ne représente plus un défi uniquement pour les pays les moins avancés et les autres pays en développement ; c’est également devenu une question de plus en plus urgente pour les pays développés ». (2)

Dans le contexte de l’urgence mondiale actuelle, il est important pour la communauté internationale dans son ensemble, et pour les membres de l’OMC en particulier, de travailler ensemble pour garantir que les droits de propriété intellectuelle, tels que les brevets, les dessins industriels, les droits d’auteur et la protection des informations non divulguées, ne créent pas « d’obstacles à l’accès en temps utile à des produits médicaux abordables, notamment les vaccins et les médicaments, ou à l’intensification de la recherche, du développement, de la fabrication et de la fourniture de produits médicaux essentiels pour lutter contre la Covid-19 ». (3)

Un système de propriété intellectuelle bien conçu doit établir un équilibre entre les droits privés des inventeurs et les besoins publics de la société. Les réglementations internationales en matière de propriété intellectuelle reflètent le principe, énoncé dans les objectifs de l’accord ADPIC, selon lequel « la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle devraient contribuer à la promotion de l’innovation technologique ainsi qu’au transfert et à la diffusion des technologies, au bénéfice mutuel des producteurs et des utilisateurs de connaissances technologiques et d’une manière propice au bien-être social et économique, ainsi qu’à un équilibre des droits et des obligations ».  Ces droits doivent être reconnus de manière adéquate, dans la mesure où ils compensent les investissements en temps et en capital et encouragent une recherche prometteuse. En outre, ces droits favorisent le bien commun en accélérant la recherche de solutions qui profitent à toutes les personnes dans le besoin dans le monde moderne. Par exemple, dans la recherche de nouveaux traitements médicaux, des protections spéciales sont nécessaires pour garantir que les producteurs puissent récupérer leurs dépenses massives en matière de recherche. Ces protections comprennent l’assurance de salaires justes pour les scientifiques et les chercheurs, ainsi que des mesures visant à garantir le respect des réglementations relatives à la sécurité des produits. À cet égard, la protection des droits de propriété intellectuelle permet de rechercher des solutions aux problèmes mondiaux.

Néanmoins, il est important de noter que les droits de propriété intellectuelle ne sont pas une fin en soi mais plutôt un moyen d’atteindre une fin. Afin de maintenir leur validité, ils doivent donc être subordonnés aux exigences du bien commun. Cela nécessite la mise en place de mécanismes de contrôle pour surveiller et, le cas échéant, corriger la logique du marché. Comme l’affirmait Saint Jean-Paul II, « la loi du profit seul ne peut s’appliquer à ce qui est essentiel pour la lutte contre la faim, la maladie et la pauvreté ».  Ces mots continuent de sonner juste.

Les politiques et les lois doivent maintenir une perspective axée sur le respect et la promotion de la dignité humaine, dans un esprit de solidarité au sein des nations et entre elles. Cela signifie que, tout en reconnaissant l’importance de la protection des droits de propriété intellectuelle, nous devrions nous concentrer sur la finalité de ces droits et nous efforcer d’éviter les conséquences négatives potentielles du système actuel, qui peuvent survenir lorsque les droits susmentionnés sont dissociés de leur fondement inhérent dans la poursuite du bien commun et de la dignité de la personne humaine. Lorsque, par exemple, les pays à revenu élevé protègent de manière excessive leurs connaissances en se fondant sur une affirmation rigide des droits de propriété intellectuelle, il en résulte un déséquilibre qu’il convient de corriger. N’oublions pas que les soins de santé ne doivent pas être subordonnés à des intérêts privés ; ainsi, l’accès aux médicaments doit être garanti conformément au principe de non-discrimination et dans un esprit d’équité, de transparence, de participation et de responsabilité.

Comme l’a déclaré le pape François, « ce qu’il faut, c’est un dialogue sincère et ouvert, avec une coopération responsable de la part de tous : autorités politiques, communauté scientifique, monde des affaires et société civile ».  Afin de promouvoir un dialogue constructif susceptible de déboucher sur des actions positives, les principes de solidarité, de subsidiarité et de souci du bien commun doivent être appliqués. La solidarité nous inciterait à être attentifs aux besoins et aux préoccupations des autres autant qu’à nos propres besoins et préoccupations. La subsidiarité nous amènerait à fournir l’expertise technique et la capacité de fabrication aux communautés qui n’y auraient pas accès autrement.

Monsieur le Président,

Au cœur de cette crise sanitaire mondiale, nous sommes tous appelés à apporter généreusement le meilleur de nos capacités pour relever les défis de la pandémie actuelle sous tous ses aspects et dans toutes les régions du monde et envisager l’avenir avec créativité et espérance. Nous parviendrons ainsi à témoigner de la solidarité concrète indispensable pour relever les défis mondiaux de notre époque. Il y a près de 20 ans, les membres de l’OMC ont convenu de lever un obstacle important à l’importation de médicaments à des prix abordables : ils ont renoncé à certaines restrictions de l’accord ADPIC concernant l’importation et l’exportation de médicaments génériques sous licence obligatoire, afin de garantir un accès facile et abordable à ces médicaments.

De la même manière, compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, le Conseil des ADPIC pourrait recommander au Conseil général d’accorder, dès que possible, une dérogation à la mise en œuvre, à l’application et à l’exécution des sections 1, 4, 5 et 7 de la partie II de l’accord sur les ADPIC en ce qui concerne la prévention, le confinement ou le traitement de la Covid-19.

Les politiques et les lois devraient maintenir une perspective axée sur le respect et la promotion de la dignité humaine, dans un esprit de solidarité au sein des nations et entre elles. Cela implique, entre autres, que, tout en reconnaissant la valeur de la protection des droits de propriété intellectuelle, nous devrions nous concentrer sur l’objectif de ces droits et sur les limites et les conséquences négatives potentielles du système actuel. « Il serait triste que, pour le vaccin contre la Covid-19, la priorité soit donnée aux plus riches ! Il serait triste que ce vaccin devienne la propriété de telle ou telle nation, au lieu d’être universel et pour tous ».

Je vous remercie, Monsieur le Président.

(1) Pape François, Lettre encyclique “Fratelli tutti”, n. 32.

(2) Mgr Ivan Jurkovič, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, 26e session, Point 5 du Comité permanent des brevets – Brevets et santé, Genève, 4 juillet 2017.

(3) Cf. Doc IP/C/W/669.

(4) Accord sur les ADPIC, Article 7.

(5) Pape Jean-Paul II, Discours à la « Campagne du Jubilé 2000 sur la dette », 23 septembre 1999.

(6) Pape François, Discours à l’Office des Nations Unies à Nairobi, voyage apostolique au Kenya, en Ouganda et en République centrafricaine, 26 Novembre 2015.

(7) Pape François, Audience générale, 19 août 2020.

© Traduit par Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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