Le card. Parolin © Vatican News

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« Fratelli tutti » : la fraternité est « la manifestation d’actes concrets », par le card. Parolin 

Le dialogue « ouvre des espaces de pardon »

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« La fraternité n’est pas une tendance ou une mode qui se développe au fil du temps », « mais plutôt la manifestation d’actes concrets », a déclaré le cardinal secrétaire d’État du Saint-Siège Pietro Parolin. La nouvelle encyclique Fratelli tutti du pape François « ne se limite pas à considérer la fraternité comme un instrument ou un souhait, a-t-il poursuivi, mais elle esquisse une culture de la fraternité à appliquer aux relations internationales ».

Le numéro 2 du Vatican est intervenu à une conférence de presse présentant la nouvelle encyclique Fratelli tutti (Tous frères) dans la Nouvelle Salle du Synode, le dimanche 4 octobre 2020.

« Pour faire de la fraternité un instrument d’action dans les relations internationales », explique le secrétaire d’État, « il faut faire croître », selon les paroles du pape François, « non seulement une spiritualité de la fraternité, mais en même temps une organisation mondiale plus efficace, pour aider à résoudre les problèmes urgents ».

Le cardinal Parolin souligne le rôle important du dialogue dans les relations internationales, rappelant que « le dialogue détruit les barrières du cœur et de l’esprit, ouvre des espaces de pardon, favorise la réconciliation ». « C’est l’instrument dont la justice a besoin pour s’affirmer », ajoute-t-il.

« En parcourant l’encyclique, affirme le cardinal, nous nous sentons rappelés à nos responsabilités individuelles et collectives face aux nouvelles tendances et aux nouveaux besoins sur la scène internationale. »

Voici le texte de l’intervention du cardinal Parolin traduit par Zenit.

MD

Intervention du cardinal Pietro Parolin

Même pour l’observateur le moins attentif, face à cette Encyclique, une question s’impose : quelle place et quelle considération la fraternité trouve-t-elle dans les relations internationales ? Ceux qui sont attentifs à l’évolution des relations au niveau mondial s’attendent à une réponse en termes de proclamations, de normes, de statistiques et peut-être même d’actions. Si, en revanche, nous nous laissons guider par le pape François dans l’observation des faits et des situations, la réponse est autre : « La société mondiale présente de graves déficiences structurelles qui ne peuvent être résolues par des correctifs ou des solutions rapides purement occasionnelles » (FT, 179).

L’encyclique ne se limite pas à considérer la fraternité comme un instrument ou un souhait, mais elle esquisse une culture de la fraternité à appliquer aux relations internationales. Une culture, certes : c’est l’image d’un savoir dont la méthode et le but sont développés.

Quant à la méthode. La fraternité n’est pas une tendance ou une mode qui se développe au fil du temps ou dans une période donnée, mais plutôt la manifestation d’actes concrets. L’encyclique nous rappelle l’intégration entre les pays, la primauté des règles sur la force, le développement et la coopération économique et, surtout, l’instrument du dialogue considéré non pas comme un anesthésique ou pour des « patchs » occasionnels, mais comme une arme au potentiel destructeur bien plus grand que toute autre arme. En effet, si les armes et avec elles la guerre détruisent des vies humaines, l’environnement, l’espoir, au point d’éteindre l’avenir des personnes et des communautés, le dialogue détruit les barrières du cœur et de l’esprit, ouvre des espaces de pardon, favorise la réconciliation. Au contraire, c’est l’instrument dont la justice a besoin pour s’affirmer et dans son sens et son effet les plus authentiques. Combien l’absence de dialogue permet-elle aux relations internationales de dégénérer ou de s’appuyer sur le poids du pouvoir, sur les résultats de l’opposition et de la force ! Le dialogue, en revanche, surtout lorsqu’il est « persévérant et courageux, ne fait pas les gros titres comme les affrontements et les conflits, mais il aide discrètement le monde à vivre mieux, bien plus que nous ne pouvons le réaliser » (FT, 198). Certes, au regard des événements internationaux, le dialogue fait aussi ses victimes. Ce sont ceux qui ne répondent pas à la logique du conflit à tout prix ou qui sont considérés comme naïfs et inexpérimentés uniquement parce qu’ils ont le courage de surmonter les intérêts immédiats et partiels des réalités individuelles qui risquent d’oublier la vision globale. Cette vision qui progresse et se poursuit dans le temps. Le dialogue exige de la patience et se rapproche du martyre, c’est pourquoi l’Encyclique l’évoque comme un instrument de fraternité, un moyen qui rend ceux qui s’engagent dans les dialogues différents de ces « personnes ayant des fonctions importantes dans la société et qui n’avaient pas l’amour du bien commun dans leur cœur » (FT, 63).

Venons-en maintenant à l’objectif. L’histoire, mais aussi les visions religieuses et les différents chemins de spiritualité parlent de fraternité et en distinguent la beauté et les effets, mais en les reliant souvent à un chemin lent et difficile, presque une dimension idéale derrière laquelle se cachent des impulsions de réforme ou des processus révolutionnaires. C’est aussi une tentation constante de limiter la fraternité à un niveau de maturité individuelle, capable d’impliquer uniquement ceux qui partagent le même chemin. L’objectif, selon l’Encyclique, est plutôt un chemin ascendant déterminé par cette saine subsidiarité qui, partant de la personne, s’élargit pour englober les dimensions familiale, sociale et étatique jusqu’à la communauté internationale. C’est pourquoi, rappelle François, pour faire de la fraternité un instrument d’action dans les relations internationales : « il faut faire croître non seulement une spiritualité de la fraternité, mais en même temps une organisation mondiale plus efficace, pour aider à résoudre les problèmes urgents » (FT, 165).

Ainsi définie, la fraternité, avec sa méthode et son objectif, peut contribuer au renouvellement des principes qui président à la vie internationale ou être en mesure de dégager les lignes nécessaires pour faire face aux nouveaux défis et conduire la pluralité des acteurs travaillant au niveau mondial à répondre aux besoins de la famille humaine. Ce sont des acteurs dont la responsabilité en termes de politique et de solutions partagées est cruciale, surtout face à la réalité de la guerre, de la faim, du sous-développement, de la destruction de notre maison commune et de ses conséquences. Des acteurs qui sont conscients du fait que la mondialisation, face aux problèmes réels et aux solutions nécessaires, n’a exprimé, même récemment, que des aspects négatifs. Pour exprimer cette vérité, le Pape se sert de l’expérience de la pandémie « qui a mis en évidence nos fausses certitudes » (FT, 7), rappelant la nécessité d’une action capable d’apporter des réponses et non pas seulement d’analyser les faits. Cette action fait encore défaut et restera peut-être telle même face aux objectifs que la recherche et la science atteignent chaque jour. Elle fait défaut parce que « l’incapacité d’agir ensemble est devenue évidente. Bien qu’ils soient hyper-connectés, il y a eu une fragmentation qui a rendu plus difficile la résolution des problèmes qui nous touchent tous ». (Ibid.)

Ce que nous trouvons dans le scénario international contemporain est la contradiction ouverte entre le bien commun et la capacité à donner la priorité aux intérêts des États, et même des États individuels, dans la croyance qu’il peut exister des « zones sans contrôle » ou avec la logique selon laquelle ce qui n’est pas interdit est permis. Il en résulte que « la multitude des abandonnés restent à la merci de la bonne volonté éventuelle de quelques-uns » (FT, 165). L’exact opposé de la fraternité qui, en revanche, introduit l’idée d’intérêts généraux, capables de constituer une véritable solidarité et de changer non seulement la structure de la communauté internationale, mais aussi la dynamique des relations en son sein. En effet, une fois acceptée la suprématie de ces intérêts généraux, la souveraineté et l’indépendance de chaque État cessent d’être un absolu et doivent être soumises à « la souveraineté du droit, sachant que la justice est une condition indispensable pour réaliser l’idéal de la fraternité universelle » (FT, 173). Ce processus n’est pas automatique, mais exige « courage et générosité pour établir librement certains objectifs communs et pour assurer le respect de certaines normes essentielles dans le monde entier » (FT, 174).

Dans la perspective de François, la fraternité devient donc le moyen de faire prévaloir les engagements pris selon l’ancien adage pacta sunt servanda, de respecter effectivement la volonté légitimement exprimée, de résoudre les différends par les moyens offerts par la diplomatie, la négociation, les institutions multilatérales et le désir plus large de réaliser « un bien commun vraiment universel et la protection des États les plus faibles » (Ibid.).

Il ne manque pas, à cet égard, de référence à un thème constant de l’enseignement social de l’Église, celui du « gouvernement » – la gouvernance, comme il est d’usage de dire aujourd’hui – de la communauté internationale, de ses membres et de ses institutions. Le pape François, en cohérence avec tous ses prédécesseurs, soutient la nécessité d’une « forme d’autorité mondiale régie par le droit », mais cela ne signifie pas « penser à une autorité personnelle » (FT, 172). À la centralisation des pouvoirs, la fraternité substitue une fonction collégiale – ici la vision « synodale » appliquée au gouvernement de l’Église, qui est celle de François, n’est pas étrangère – déterminée par « des organisations mondiales plus efficaces dotées de l’autorité nécessaire pour assurer le bien commun du monde, l’éradication de la faim et de la misère et la défense certaine des droits fondamentaux de l’homme » (Ibid.).

Travailler dans la réalité internationale à travers la culture de la fraternité, exige d’acquérir une méthode et un objectif capables de remplacer ces paradigmes qui ne sont plus en mesure de répondre aux défis et aux besoins qui se présentent sur le chemin que la communauté internationale parcourt, certainement avec fatigue et contradictions. En fait, la volonté de vider la raison et le contenu du multilatéralisme, d’autant plus nécessaire dans une société mondiale qui connaît la fragmentation des idées et des décisions, ne manque pas d’inquiéter fortement, en tant qu’expression d’un post-globalisme qui progresse. Une volonté qui est le résultat d’une approche exclusivement pragmatique, qui oublie non seulement les principes et les règles, mais aussi les nombreux appels au secours qui apparaissent aujourd’hui de plus en plus constants et complexes et donc aussi capables de compromettre la stabilité internationale. Et voici les oppositions et les affrontements qui dégénèrent en guerres qui, en raison de la complexité des causes qui les déterminent, sont destinées à se poursuivre dans le temps sans solutions immédiates et réalisables Invoquer la paix ne sert pas à grand-chose. Le pape François nous dit qu’« il y a un grand besoin de négocier et donc de développer des chemins concrets vers la paix. Cependant, les processus réels de paix durable sont avant tout des transformations artisanales menées par les peuples, dans lesquelles chaque personne peut être un ferment efficace par son mode de vie quotidien. Les grandes transformations ne se construisent pas sur une table ou dans un bureau » (FT, 231).

En parcourant l’encyclique, nous nous sentons rappelés à nos responsabilités individuelles et collectives face aux nouvelles tendances et aux nouveaux besoins sur la scène internationale. Se proclamer frères et sœurs et faire de l’amitié sociale notre habitude ne suffit probablement pas. Tout comme il ne suffit plus de définir les relations internationales en termes de paix ou de sécurité, de développement ou de référence générale au respect des droits fondamentaux, même si, au cours des dernières décennies, elles ont représenté la raison d’être de l’action diplomatique, le rôle des organismes multilatéraux, l’action prophétique de nombreuses personnalités, l’enseignement des philosophies, et ont également caractérisé la dimension religieuse.

Le rôle effectif de la fraternité, permettez-moi de le dire, est perturbateur, car il est lié à de nouveaux concepts qui remplacent la paix par des artisans de la paix, le développement par des coopérateurs, le respect des droits par une attention aux besoins de chaque voisin, qu’il s’agisse d’une personne, d’un peuple ou d’une communauté. La racine théologique de l’encyclique nous dit très clairement qu’elle tourne autour de la catégorie de l’amour fraternel qui, au-delà de toute appartenance, même identitaire, est capable de se réaliser concrètement dans « celui qui est devenu le prochain ». (FT, 81). L’image du bon Samaritain est là comme un avertissement et un modèle.

Aux dirigeants des nations, aux diplomates, à ceux qui travaillent pour la paix et le développement, la fraternité propose de transformer la vie internationale d’une simple coexistence, presque nécessaire, en une dimension fondée sur ce sens commun de « l’humanité » qui inspire et soutient déjà tant de règles et de structures internationales, favorisant ainsi une coexistence efficace. C’est l’image d’une réalité dans laquelle les exigences des peuples et des personnes deviennent prédominantes, avec un appareil institutionnel capable de garantir non pas des intérêts particuliers, mais le bien commun mondial souhaité (cf. FT, 257).

La fraternité a donc pour protagoniste la famille humaine qui, dans ses relations et ses différences, va vers la pleine unité, mais avec une vision très éloignée de l’universalisme ou du partage abstrait, comme de certaines dégénérations de la mondialisation (cf. FT, 100). Par la culture de la fraternité, le pape François appelle chacun à aimer l’autre peuple, l’autre nation comme la sienne. Et donc à construire des relations, des règles et des institutions, en abandonnant le mirage de la force, de l’isolement, des visions fermées, des actions égoïstes et partisanes, parce que « la simple somme des intérêts individuels ne peut générer un monde meilleur pour toute l’humanité » (FT, 105).

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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