« La beauté est le grand besoin de l’homme, écrit Mgr Francesco Follo ; c’est la racine d’où surgi le tronc de notre paix et les fruits de notre espérance. La beauté est aussi révélatrice de Dieu parce que, comme Lui, la belle oeuvre est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache de l’égoïsme. »
L’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris offre cette méditation sur le sens des cathédrales, à quelques jours de l’incendie de la cathédrale de Nantes.
AK
Les cathédrales : pourquoi ?
par Mgr Francesco Follo
Après l’incendie de la cathédrale de Nantes advenu le 18 juillet 2020, de nombreux commentaires ont été prononcés et écrits. Permettez-moi de proposer une contribution qui entend rappeler quelques éléments qui n’ont pas toujours été explicités sur l’importance et la valeur d’une Eglise, cet édifice à construire et à laisser au centre de la ville ou du village.
Je m’inspire de deux vers de T.S. Eliot qui dans “The Rock” écrit : “Quelle vie est votre vie si elle n’est pas commune ;il n’y a pas de vie commune sans louange à Dieu” et “Il n’y a pas de maisons sans Eglises”.
Dans les Actes du Martyre de saint Justin et ses compagnons, on lit : “Le préfet Rustico demanda encore : “Où vous réunissez-vous ?”. Justin répondit : “Là où chacun peut et préfère ; tu crois que nous nous réunissons tous dans le même lieu, mais il n’en est pas ainsi car la Dieu des chrétiens, qui est invisible, ne peut être circonscrit en aucun lieu, mais il remplit le ciel et la terre et il est vénéré et glorifié où que soient les fidèles”. Dans sa réponse, saint Justin répétait répétait devant le juge ce que Jésus avait dit à la Samaritaine : “Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.” (Jn 4,21-24).
Quand on parle d’“Eglise” qui est – comme le dit la Bible – Porte du Ciel et Maison de Dieu, ainsi que l’écrivait Lanspergius le Chartreux (1489-1539) l’on parle de trois maisons.
“La première est le sanctuaire matériel. Certes, on peut prier partout et il n’existe pas de lieu où l’on ne peut pas prier. Cependant il est juste d’avoir consacré à Dieu un lieu particulier où nous tous, chrétiens, nous pouvons nous réunir, louer et prier Dieu ensemble et obtenir plus facilement ce que nous demandons, grâce à cette prière commune.
La deuxième maison de Dieu est le peuple, la communauté sainte qui trouve son unité dans cette église, c’est-à-dire nous qui sommes guidés, instruits et nourris par les Pasteurs de l’Eglise. C’est la demeure spirituelle de Dieu dont notre église, maison matérielle de Dieu, est le signe. Le Christ s’est construit ce temps spirituel pour lui-même.
Cette demeure est composée des élus de Dieu passés, présents et futurs, réunis dans l’unité de la foi et de la charité, dans cette Eglise, une, fille de l’Eglise universelle, une seule avec l’Eglise universelle. Considérée à part par les autres Eglises particulières, elle est une partie de l’Eglise, comme le sont toutes les autres Eglises, qui ensemble forment l’Eglise universelle, mère de toutes les Eglises.
La troisième maison de Dieu est toute âme sainte donnée à Dieu, consacrée à travers le Baptême, devenue temple de l’Esprit-Saint et demeure de Dieu. En gardant présent cela, souvenons-nous du don reçu par Dieu quand il nous a choisis pour venir habiter en toi par sa grâce”.
A présent, une brève réflexion finale sur la dimension culturelle de la Maison de Dieu, en particulier lorsqu’il s’agit de chef-d’œuvres comme les cathédrales françaises, parmi lesquelles deux ont été durement touchées par le feu : Notre Dame de Paris et Saint Pierre et Paul à Nantes.
Dans le cœur de ces deux villes, comme dans le cœur de nombreuses autres villes du monde, sous le regard de Dieu et des hommes, dans un acte de foi humble et joyeux, nous avons élevé une grande quantité de matériau fruit de la nature et d’un incalculable effort de l’intelligence humaine, constructrice de cette oeuvre d’art. Ces cathédrales sont un signe visible de Dieu invisible, à la gloire duquel s’élancent ces tours, ces flèches qui indiquent l’absolu de la lumière et de celui qui est la lumière, la Hauteur et la Beauté mêmes.
Les architectes ont donné “forme” à la foi du peuple en s’inspirant de trois grands livres dont ils se nourrissaient comme hommes, comme croyants et comme architectes : le livre de la nature, le livre de l’Ecriture Sainte et le livre de la Liturgie. Ils ont ainsi uni la réalité du monde et l’histoire du salut, comme elle est racontée dans la Bible et rendue présente dans la Liturgie.
Ils ont introduit dans les édifices des pierres sacrées et la vie humaine, afin que toute la création converge dans la louange divine.
De cette façon, ils ont collaboré de façon géniale à l’édification d’une conscience humaine ancrée dans le monde, ouverte à Dieu, éclairée et sanctifiée par le Christ. Et ils ont réalisé ce qui est aujourd’hui l’un des devoirs les plus importants : dépasser la scission entre conscience humaine et conscience humaine, entre existence dans ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu comme Beauté. Les architectes des cathédrales n’ont pas réalisé tout cela par des paroles, mais par des pierres, des lignes, des superficies et des sommets. En réalité, la beauté est le grand besoin de l’homme ; c’est la racine d’où surgit le tronc de notre paix et les fruits de notre espérance. La beauté est aussi révélatrice de Dieu parce que, comme Lui, la belle oeuvre est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache de l’égoïsme.
Certes ces lieux – qui sont un espace sacré pour Dieu, qui s’est révélé et donné à nous dans le Christ pour être définitivement Dieu avec les hommes – ont une valeur culturelle de laquelle tous, croyants et non croyants, ont le droit de bénéficier, car comme le disait déjà Aristote (384 – 322 a. C.): “La beauté est la splendeur de la vérité” et la vérité unit. La splendeur de la vérité dans toute sa beauté est de fondamentale importance dans la vie humaine et doit être proposée pour que tout le monde puisse faire l’expérience de vérité parmi la beauté, comme le disait déjà le philosophe grec Héraclite (seconde moitié du VIe sec. A. C.): “Tu ne trouveras jamais la Vérité si tu n’es pas disposé à accepter aussi ce que tu n’attendais pas”.
Traduction de Zenit, Anne Kurian