Claire Monestès © Xaviere sisters

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Bientôt 100 ans: «Claire Monestès et le charisme de la Xavière» (2/2)

Le charisme fondateur de Claire Monestès

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Il est des récits de fondation qui attendent leur cinéaste. C’est le cas de l’itinéraire spirituel et missionnaire de Claire Monestès (26 novembre 1880 – 14 février 1939) qui passe par la rude épreuve d’un refus, après un postulat prometteur.

Marie-Thérèse Desouche et Lydie Rivière, xavières, racontent ici, pour les lecteurs de Zenit, cet itinéraire d’amour et de service, de créativité apostolique et de persévérance féconde: « A la veille d’entrer au noviciat, la fondatrice lui signifie qu’elle n’a pas de vocation religieuse. Pour Claire Monestès, ce renvoi est un véritable traumatisme, psychologique et spirituel. C’est pourtant  cette exclusion qui, paradoxalement, a donné naissance à la Xavière« .

Le pape François a demandé aux media de raconter de beaux récits. Voici le second volet consacré au charisme qui se déploie dans cette aventure apostolique stimulante.

La première partie a été publiée ici, lundi, 24 février 2020.

Pour aller plus loin:

-Marie-Françoise Boutemy, Prier 15 jours avec Claire Monestès, fondatrice des xavières (Nouvelle Cité, 2011)

-Geneviève Roux, Petite vie de Claire Monestès (DDB, 2011)

AB

Bientôt 100 ans !

Fondée en 1921 par Claire Monestès, La Xavière aura très prochainement 100 ans.

La Xavière est une congrégation religieuse fondée en 1921 par Claire Monestès (1880-1939) et reconnue officiellement en 1963 par l’Église catholique sous le nom d’« Institut La Xavière, missionnaire du Christ Jésus ».

Femme engagée dans la société de son temps, Claire Monestès a ressenti l’appel à proposer une vie religieuse missionnaire souple et intense en plein monde à la suite de saint Ignace de Loyola et de saint François-Xavier.

Ancrées dans la spiritualité de saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus (les Jésuites) et enracinées dans ses Exercices spirituels, les religieuses xavières cherchent à écouter et discerner les appels de l’Esprit dans la rumeur du monde. Elles vivent une vie religieuse au cœur de nos sociétés pour chercher et trouver Dieu en toutes choses avec nos contemporains.

De nombreux évènements se dérouleront de février à novembre 2021 pour célébrer cet anniversaire, rendre grâce et se projeter dans l’avenir.

Un pèlerinage-rassemblement ouvert à tous aura lieu du 31 juillet au 2 août 2021 à Lourdes.

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3 – Le charisme fondateur de Claire Monestès

Il est possible de retenir trois grands axes pour tenter de traduire le charisme de la Xavière : une visée missionnaire, nourrie par une spiritualité, celle d’Ignace de Loyola, colorée par la personnalité d’une femme, et vécue selon un certain style de vie.

3.1 Premier aspect du charisme : une visée missionnaire qui consiste à étendre le Règne du Christ pour la gloire du Père

En 1906, Claire âgée de 26 ans, va écouter le Père Eymieu qui prêche le carême dans l’église Saint- Philippe de Marseille. Il suit probablement l’itinéraire des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Après la méditation des péchés, Ignace place celui qui fait les Exercices face au Christ ressuscité qui appelle l’univers entier et tous les humains à entrer dans la gloire du Père. Pour cela, il s’agit de se mettre à sa suite pour engager un combat spirituel contre le mal et ce qui fait obstacle au Règne de Dieu. C’est ce qu’on appelle la méditation du Règne. Il s’agit de « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jean 11, 52).

Et Claire Monestès entend là un appel fort qui réactualise les élans missionnaires de son adolescence, que les religieuses du Sacré-Cœur lui avaient inculqués dans les retraites qu’elles organisaient pour leurs élèves chaque année. Cet appel est au cœur de la spiritualité de la Xavière et détermine tout le reste.

Ce nouveau royaume, quel est-il pour elle ? C’est celui où pourront entrer ceux qui sont le plus loin de l’Église. Dans un pays qui se sécularise, elle veut annoncer le Christ à ceux que les conditions de vie maintiennent loin d’une Église assez étrangère au monde des travailleurs. La JOC, l’ACO, ne sont pas encore créées, et la France est en train de devenir « un pays de mission » comme le montreront les abbés Godin et Daniel en 1943. Ce monde-là est peu touché par l’Eglise officielle, soit à cause de sa visibilité, soit parce que beaucoup de religieux, hommes et femmes, sont encore en exil.

Pour enraciner l’intuition missionnaire de Claire Monestès, le P. Eymieu, en rédigeant avec elle les premières Constitutions de la Xavière, s’est beaucoup appuyé sur la théologie du Corps Mystique du Christ qui commençait à être revisitée, ainsi que sur les écrits et actes du Pape Pie XI, en particulier l’encyclique Quas Primas qui instaure la fête du Christ Roi (1925). La doctrine du Corps mystique reprend les lettres de Paul aux Éphésiens et aux Colossiens. Cette vision grandiose du monde et de l’Église esquisse la toile de fond de la vie apostolique de la Xavière. « Travailler à la croissance et à l’unité du Corps du Christ dans la disponibilité à l’Esprit Saint » (n° 5), cette affirmation de Claire Monestès résume ce premier aspect du charisme de la Xavière.

Pour parvenir à cette visée apostolique, Claire Monestès a adopté la spiritualité qui lui était familière depuis sa jeunesse, celle d’Ignace de Loyola.

3.2 Deuxième aspect du charisme : la spiritualité ignatienne.

Pour étendre le Règne du Christ et rendre gloire au Père, Ignace de Loyola trace un chemin qui lui est propre. C’est celui des Exercices spirituels. Le Père Antonin Eymieu étant jésuite, c’est tout naturellement que Claire Monestès a adopté l’itinéraire de celui qui avait reçu mission de la guider dans l’Église. La note dominante de la vie mystique d’Ignace de Loyola et qu’il a consignée dans les Exercices est la communion à la Sainte Trinité. L’union au Dieu Père, Fils et Esprit pénétrait toutes ses pensées, ses prières et ses activités. Aussi pouvait-il éprouver et contempler en toutes choses, en toute conversation, la présence de Dieu. Il n’y avait pas d’opposition ni de séparation entre la prière et l’action. La prière fécondait ses actions, de même que ses travaux apostoliques vivifiaient en retour sa prière. Être contemplatif dans l’action, trouver Dieu en toutes choses, c’est ce qui définit le mieux la mystique de l’apôtre selon Ignace et c’est le chemin des Exercices spirituels. Cette spiritualité est à l’œuvre dans la vie de François-Xavier, figure de l’appel à la mission au début du XXe siècle et que Claire Monestès admirait depuis toujours. Aussi nous a-t-elle légué ce trésor qui structure depuis l’origine notre vie apostolique.

A la suite de ses maîtres Ignace et François-Xavier, sachant les risques d’une vie aussi mêlée au monde, claire Monestès insistait sur la contemplation du mystère de Dieu, révélé dans le Christ Jésus, Elle disait par exemple : « La contemplation de Dieu et des choses divines est tellement  la fin de la Xavière que c’est en vain qu’elle porte le nom de Xavière si elle n’est pas tout entière occupée de Dieu ». L’itinéraire à suivre est celui des Exercices spirituels qui nous invitent à mettre nos pas dans ceux du Christ pauvre et humble, à nous tenir sans cesse « à la disposition de l’Esprit saint », quelle que soit l’étape où en est chacune, quel que soit son état physique ou psychologique ou spirituel.

Les moyens sont bien sûr la prière personnelle, mais aussi l’office liturgique et l’eucharistie. Une vocation missionnaire se ressource continuellement à ces nappes phréatiques, par des retraites, par des triduums, par l’oraison quotidienne, moyens somme toute classiques, mais aussi par la relecture permanente de ce qui est vécu dans la prière et dans l’action. Cette relecture n’est pas seulement une analyse objective des expériences, c’est une confrontation à la lumière de l’Esprit Saint de son désir profond et de ce qui est effectivement réalisé au service de Dieu et du prochain. Elle permet de perdre ses illusions sur soi-même, de mieux se connaître, d’évaluer sa fidélité ou l’inverse, de miser sa vie sur la fidélité de Dieu. C’est réellement une prière et un moyen efficace pour tester notre amour de Dieu et des autres. Cette prière contemplative, personnelle et communautaire, donne sens à la mission de chacune, la nourrit et la rend féconde. C’est elle aussi qui permet de tenir le choc dans des périodes plus désertiques, traversées parfois par des turbulences.

Cette tradition ignatienne, colorée par la personnalité de Claire Monestès et plus tard influencée par les apports du Concile Vatican II et l’évolution de l’Église, continue à structurer nos engagements et à dynamiser nos vies par le dedans. Comment concrètement cela s’incarne-t-il dans le quotidien ?

3.3. Troisième aspect du charisme : le style de vie

Celui-ci va se caractériser par l’immersion dans le monde, l’absence d’œuvre spécifique, la disponibilité à l’Esprit Saint, le respect des autres, une vie intensément communautaire.

Dans le Corps du Christ, il va donc s’agir de faire le lien entre l’Eglise et ceux qui en sont le plus loin. La notion d’éloignement et de proximité varie bien sûr avec le contexte. Ainsi, au début du XXe siècle, dans la société laïque de France, il fallait, pour rejoindre les gens et leur annoncer le Christ, se démarquer des formes traditionnelles qui exprimaient alors la vie religieuse. De même qu’Ignace de Loyola au XVIe siècle a rompu avec l’office choral des moines et moniales, de même Claire Monestès appuyé par le Père Antonin Eymieu a voulu inaugurer un nouveau style de vie religieuse.

Une vie de plein vent

Les xavières mènent une vie séculière, immergée dans le monde, sans signe distinctif, sans dénomination religieuse, avec des engagements dans des milieux divers, l’essentiel étant de connaître et aimer le monde pour lui annoncer la bonne nouvelle du Christ. Quand on demande aux xavières pourquoi elles ont choisi cette forme de vie religieuse plutôt qu’une autre, elles nomment très souvent en premier lieu l’appel missionnaire à témoigner du Christ au cœur du monde et une manière particulière de vivre notre rapport à ce monde.

Pas d’œuvre spécifique

Outre l’absence de costume, de signe distinctif, d’habitat séparé, pour mieux se fondre « au cœur des masses », comme le dira le Père Voillaume quelques années plus tard, Claire Monestès avec le Père Eymieu n’envisageaient pas d’œuvre spécifique. Autrement dit, les xavières devaient recevoir une formation qui les incite à être compétentes là où elles travaillaient, quel que soit le type de travail effectué : Missions de midi à Marseille, Action catholique pour les élèves de l’enseignement public, foyer d’étudiantes, catéchèse et loisirs en milieu populaire à Paris. C’était un appel missionnaire de fond, propre à l’Église de France à cette époque. Et c’est toujours actuel.

La vie communautaire

En ce qui concerne la vie communautaire, Claire Monestès souhaitait une atmosphère familiale, simple et chaleureuse, même si la fraternité évangélique est d’un autre ordre que la famille humaine. L’union au Christ qui est lui-même uni au Père dans l’Esprit, doit en être le ciment. « Qu’ils soient un » telle était une des devises de la Xavière primitive. En 1934, Claire Monestès écrivait aux xavières : « En communauté, ne perdons pas nos habitudes de charme, de politesse. Gardons le sourire. Nous sommes dans la maison du Père […] Il s’agit d’être effrontément bon, plein d’exquise compréhension, de charité pénétrante, de courtoisie quotidienne, familiale […] Membres d’une même famille, avec des liens si forts que le Christ seuls a créés, mangeant le même pain, à la même table […] » (L.c.18.10.1934). Cette fraternité qui prend sa source dans la communion trinitaire, est sans cesse à construire et à vivifier. Elle est elle-même missionnaire. Mais elle est aussi un facteur d’équilibre humain et spirituel en même temps qu’un rempart contre l’individualisme qui guette chacune d’entre nous.

En résumé, le charisme fondateur de la Xavière peut se définir comme la suite du Christ où se déclinent à la fois fidélité à l’Église et souci des personnes aux frontières, obéissance et créativité, vie personnelle et vie communautaire, immersion dans le monde et retrait, contemplation et action. Mais il est assez difficile de traduire cela en mots. On pourrait évoquer d’autres traits. En 2004, les communautés de Côte d’Ivoire et du Tchad, du Canada et de France étaient invitées à réfléchir sur le charisme au cours de trois sessions sur le sujet. Il n’en est pas sorti de définition standard. Il s’agit plutôt d’un climat, d’une ambiance, d’un certain air qu’on respire, d’un je ne sais quoi qui caractérise l’esprit de telle famille religieuse et qui en fait son charme et sa spécificité.

 

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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